14/02/2018
A L'HEURE EGYPTIENNE AVEC GEORGES REMON
Nous avions abordé dans un article précédent le commentaire de l’architecte décorateur Catovien Georges Rémon (1889-1963) sur la nouvelle résidence générale du Maroc, construite sur les plans de l’architecte Albert Laprade à partir de juillet 1918.
Un dessin de Georges Rémon dans ses jeunes années avant 1914 pour une fantaisie orientale dans son album "Intérieurs d'Appartements Modernes" - éditions Thézard. Collection de l'auteur.
Georges Rémon aborde l’architecture nouvelle de l’Egypte dans une rubrique qu’il lui consacre en 1927 dans la revue "Jardins et Cottages". L’Egypte est un pays sous occupation britannique depuis 1876 – les troupes anglaises ne quittent le pays qu’en 1936 – avec une colonie française autour du canal de Suez, un pays dont Fouad Ier fut le sultan en 1917 avant d'être proclamé roi d’Egypte et du Soudan (1922-1936).
« Les villas construites récemment à Alexandrie et au Caire par Messieurs Messieurs Azéma, Edrei et Hardy, architectes, avec la collaboration de Monsieur P. Labbé, nous rappellent celles que "Jardins et Cottages" présentait dans un de ses précédents numéros.
Elles s’inspirent du même esprit, affectent les mêmes caractères généraux. Nous ne saurions mieux faire que de reproduire les remarques typiques qui émaillaient pertinemment l’étude à laquelle nous faisons allusion.
« Si l’on veut bien considérer que l’aristocratie égyptienne, écrivait-on, passe en France les mois les plus chauds de l’année, on comprendra que la conception d’une villa en Egypte ne possède pas nécessairement l’architecture des pays chauds . »
Et, de fait, il ne faut pas s’attendre à rencontrer dans ces types d’habitations somptueuses, créées pour satisfaire les goûts et les habitudes d’une élite qui entend vivre à l’européenne, celle qui rappelle l’architecture autochtone.
Ce que les architectes ont pu faire au Maroc, par exemple, en combinant étroitement le goût latin et les conceptions arabes, soumis pareillement aux conditions du climat et à la nature du site, n’est plus du tout exigible en Egypte, puisque « les besoins et les habitudes de sa population cultivée amènent l’architecte à exécuter ses constructions suivant les modes septentrionaux. »
On lui demande seulement d’obéir à certaines prescriptions, toujours identiques, influant sur le plan et le dessin des façades. C’est d’abord la terrasse, laquelle sert à deux fins. Partagée en deux parties bien distinctes et bien séparées, sans qu’on puisse et qu’on doive voir de l’une ce qui se passe dans l’autre, elle comprend une zone réservée aux maîtres qui y séjournent volontiers et y tiennent leurs réceptions, et une zone à l’usage du service.
L’architecte ne peut donc mieux faire que d’adopter, en la modifiant, en la tempérant, en lui communiquant une note personnelle, l’ordonnance des villas latines ou italiennes. Il lui faut donc se garder de tomber dans la copie étroite et servile de types dont la formule est depuis longtemps fixée et ressassée.
Mais il lui faut surtout éviter de suivre, dans toutes leurs exigences, les indications d’une clientèle malheureusement trop encline à aimer la pompe et l’apparat. A ce double point de vue, Messieurs Azéma, Edrei et Hardy ont eu le mérite de créer des ouvrages qui, tout en tenant compte des préférences individuelles, marquent une parfaite leçon de goût.
Ils ont réussi à imposer une remarquable économie en matière d’ornements. Ils ont scrupuleusement fait triompher le sens de la ligne, le sens de l’équilibre, et ils ont introduit le judicieux emploi de la polychromie qui, conférant à leurs productions un accent en rapport avec le milieu, suffit à compenser ce qu’un parti pris essentiellement classique eût pu comporter de froideur et de sécheresse.
Examinons, par exemple, la villa construite au Caire pour Monsieur Green (illustration ci-dessous). Le principe de la couleur y est observé. Les tuiles romaines et les dessous de corniche opposent leurs tonalités rouges à la nuance ocrée de l’enduit de façade.
Un porche d’entrée conduit directement à un bureau et au hall qui dessert le salon, le fumoir et la salle à manger. Le fumoir donne sur une loggia, la salle à manger sur une terrasse dominant les jardins.
L’entrée de service, la cuisine et le garage sont situés sur la face sud de l’habitation. Au premier étage où l’on accède par un escalier partant du hall, se trouvent trois grandes chambres, la chambre d’enfants, une nursery, une chambre d’ami donnant sur la terrasse au-dessus du garage. La principale chambre a vue sur la terrasse aménagée au-dessus de la loggia.
Voici maintenant la villa de Monsieur Barcilon (ci-dessus), construite à Alexandrie, et qui par l’utilisation des graciles colonnettes que l’on distingue en haut de l’escalier d’entrée, évoque la grâce des fines arcatures mauresques. Ici encore, le contraste entre les tons rouges des graffiti, des briques et des boiseries apparentes, d’une part, et le coloris jaune de l’enduit, est particulièrement heureux. L’entrée communique avec un important vestiaire donnant sur les lavabos et les w-c . La partie centrale est occupée par un vaste hall débouchant sur une terrasse et située entre le grand salon, que prolonge une véranda, et la salle à manger agrémentée d’une pergola.
Le service est aménagé dans le sous-sol, autour d’une grande salle de billard qui en occupe le centre. Enfin, à la partie supérieure, une haute terrasse où prennent place, ainsi que nous l’avons indiqué, les chambres de domestiques, la buanderie avec séchoir, soigneusement séparées de la terrasse des maîtres, aménagée en salon de réception, avec pergola et motifs de verdure.
Plan du jardin de la villa de Monsieur Barcilon à Alexandrie
On examinera de même attentivement les plans de la villa de Monsieur D. Cicurel , située, comme la précédente, à Alexandrie (illustration ci-dessous). L’entrée conduit à un vestibule et au vestiaire.
Le hall central est situé entre deux salons, prenant jour sur une terrasse et la salle à manger qui donne sur une véranda. Au premier étage, six chambres et salles de bains entourent le hall. L’escalier de service occupe une tourelle construite à l’angle nord-est de la villa.
Les façades sont harmonieusement dessinées. Quelques ornements simples, balustres et acrotères, d’inspiration classique, une attrayante polychromie assurée par l’opposition entre les surfaces d’enduit jaune et les champs de briques rouges, tels en sont les principaux caractères. Il faudrait, pour ces trois villas, insister sur les somptueux jardins qui les entourent, eux-mêmes ordonnés avec un sentiment architectural très sûr.
Nous voudrions insister tout particulièrement sur une autre villa (illustration ci-dessous), érigée en bordure du Nil, et qui, tant par la large ordonnance de son plan que par l’agrément de ses façades, nous semble avoir porté à leur point de perfection l’observation et la réalisation des principes mêmes que nous venons de signaler.
Villa au bord du Nil de Monsieur et Madame Rateb Bey
Ajoutons qu’ici l’architecte a bénéficié d’une aisance inaccoutumée dans l’élaboration de son harmonieux dessein, la construction ne devant comporter aucune surcharge, aucun ornement superflu. La simplicité des lignes générales a, comme il était naturel, conduit l’artiste à concentrer toute son attention sur l’équilibre des volumes et sur le raffinement des détails. La façade qui domine le fleuve permet de juger de l’économie de l’ensemble et de la grâce des moindres parties, magnifiquement articulées.
C’est d’abord la terrasse couverte, avec la ligne de colonnes stylisées qui constituent un heureux souvenir des chapiteaux lotiformes.
C’est encore le fin profil de la loggia qui forme la partie médiane de la façade qu’on aperçoit en perspective. C’est, enfin, la belle ordonnance des larges baies avec le rythme élégant des fins piliers qui les encadrent.
N’ayons garde d’omettre de mentionner le charme qui se dégage d’une silencieuse répartition des champs colorés en rouge se découpant sur le ton ocré de l’ensemble, le tout couronné et festonné par les gracieuses lignes de verdure de la pergola supérieure.
Le plan nous renseigne sur les séductions de cette splendide propriété qui occupe vraiment une situation exceptionnelle et dont les habitants peuvent, au gré de l’heure, ravir leur vue des vastes perspectives du fleuve ou de l’intime et paisible enchantement de somptueux jardins sobrement ordonnés. »
Georges Rémon
Jardins et Cottages – avril 1927 - n°13
Sources :
Bibliothèque Nationale de France, département Sciences et Techniques
Archives Municipales de Chatou
Bibliothèque Historique de la Ville de Paris
Archives de la Légion d'Honneur