1804

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02/03/2015

MAURICE DE VLAMINCK (1876-1958) EN MAJESTE A RUEIL

VLAMINCK EXPO 1.jpg

Rueil ville impériale accueille du 30 janvier au 25 mai 2015 une très grande exposition sur Maurice de Vlaminck (1876-1958) dans un cadre idyllique, l'atelier Grognard 6 avenue du Château de la Malmaison. Cette exposition signifie pour beaucoup d'entre nous une découverte. Une soixantaine d'œuvres de grand format de cet artiste qui habita Le Vésinet (1879) puis Chatou (1893) puis Rueil (1902) est présentée au public. Ce n'est pas le nez sur les peintures que nous les découvrons mais au contraire avec le recul qui leur donne une perspective, une couleur et une ambiance qui pénètrent le spectateur. De 1900 à 1950, Vlaminck a interprété les villes et les paysages de la France. Au cours de ses cinquante ans, son style s'est affirmé et affiné mais il n'a pas changé contrairement à d'autres. Maurice de Vlaminck  a éprouvé jusqu'à la dernière minute le même enchantement, la même nostalgie, le même goût de faire apparaître la couleur nuancée des champs, du ciel, des chemins, des carrefours, de la mer, cette couleur qu'il voulait comme la vie et qui traça sa route. Vlaminck n'a jamais abdiqué son talent pour la première faveur. Il est resté lui-même jusqu'à sa mort et s'est inscrit parmi les plus grands peintres français du XXème siècle. La Ville de Rueil lui rend un hommage historique et nous l'en remercions.

DERAIN VLAMINCK 1942 1.jpg

Derain et Vlaminck qui se rencontrèrent à Chatou où ils vécurent. Notre blog leur a consacré plusieurs rubriques.

LOCO DU PATRIMOINE 2.jpg

05/10/2014

ANDRE DERAIN ET MAURICE DE VLAMINCK, DES NOMS DE CHATOU

DERAIN VLAMINCK 1942.jpg

Un cliché pour l'histoire - " Toute la vie - n°26 - 1942 "

SITE CATALOGUE BING.jpg

 

Maurice de Vlaminck (1876-1958) vécut à Chatou de 1893 à 1905 39 rue de Croissy (rue du général Colin depuis 1918) puis 87 rue de Saint-Germain (avenue Foch depuis 1931). Il livra son témoignage à l'occasion de l'exposition à la Galerie Bing à Paris en mars 1947, exposition dont le titre était "Chatou".

 

"Au mois de juillet 1900, étant en permission  de quinze jours (ma libération devait avoir lieu en septembre), j’avais pris à Chatou le train pour Paris. Dans le compartiment où j’étais monté, assis en face de moi se trouvait André Derain. Bien qu’habitant depuis toujours le même pays, nous ne nous étions jamais adressé la parole.

Nous nous connaissions seulement de vue, pour nous être souvent croisés dans les rues du village. Derain avait assisté à des courses de vélo auxquelles je participais. Maintes fois, il avait pu me rencontrer, mon violon sous le bras ou trimbalant des toiles et ma boîte à couleurs.

A cette époque, Derain avait à peine vingt ans. C’était un grand type efflanqué, aux longues jambes. Il était habituellement vêtu d’un manteau à pèlerine et coiffé d’un chapeau  mou. Il avait vaguement l’air d’un escholier de la Basoche du temps de Louis XV : quelque chose comme un François Villon amélioré…

Je ne sais quelle rage intempestive me le fit attaquer : -         « ça va bientôt être votre tour de chausser des godillots ! » -         « pas avant l’année prochaine, me répondit-il, un peu interloqué. » Le même  soir, nous nous retrouvions sur le quai et nous reprenions notre entretien. Le résultat de cette rencontre fut qu’on se promit de travailler ensemble.

De notre historique atelier, des fenêtres d’où l’on apercevait le village de Chatou, le bateau-lavoir amarré à la berge, le clocher, l’église, les chevaux que les charretiers menaient à l’abreuvoir, les voitures des maraîchers qui passaient le pont, pour aller charger les carottes de Montesson et les navets de Croissy, il ne reste, à l’heure où j’écris ces lignes, qu’un dérisoire rez-de-chaussée. Avant que la bâtisse ne s’écroulât définitivement, on la fit battre et on n’en laissa, avec les sous-sols, que quelques murs sur lesquels on posa un toit.

Pour nous, c’est toujours le lieu où fut fondée « l’école de Chatou », premiers germes, premiers essais du mouvement qui devait prendre le nom de Fauvisme. Le Fauvisme n’était pas une invention, une attitude. Mais une façon d’être, d’agir, de penser, de respirer. Très souvent, quand Derain venait en permission, nous partions de bon matin, à la recherche du motif.

Notre habituel terrain de chasse, c’était les côteaux de Carrières-Saint-Denis (Carrières-sur-Seine) qui étaient encore couverts de vignes et d’où l’on apercevait toute la vallée de la Seine. A notre approche, les grives, les alouettes, s’envolaient dans le ciel clair.

D’autres fois, nous partions, pour faire en explorateurs une balade à pied de vingt à trente kilomètres. Nous remontions la Seine jusqu’à Saint-Ouen en suivant la berge. Notre enthousiasme n’avait d’égal que notre endurance et notre bonne humeur. Cinq francs dans la poche : nous n’en demandions pas plus ! nous déjeunions au hasard d’un morceau de boudin ou de petit salé ; tout nous était bon et la vie nous paraissait belle. La fille qui nous servait, les masures dans le soleil, les remorqueurs qui passaient, traînant une file de péniches : la couleur de tout cela nous enchantait… c’était Chatou !"

SITE SIGNATURE VLAMINCK.jpeg

Maurice de Vlaminck (1876-1958)

 

 

 

 

Né le 10 juin 1880 à Chatou, André Derain (1880-1954) vécut 13 avenue de Saint-Germain jusqu'en 1900 puis 7 place de l'hôtel de ville et quitta Chatou en 1907. Voici également son témoignage lors de l'exposition de la galerie "Bing":

 

"Chatou ! mais j’y suis né !

J’ai débuté avec le père Jacomin, dont les fils étaient mes camarades de classe, avant 89. Ce père Jacomin était un ancien ami de Cézanne, mais il détestait sa peinture. Je n’ai probablement pas profité de ses leçons. Comme beaucoup d’artistes, le père Jacomin habitait Chatou qui était alors une sorte de « Barbizon », aux portes de Paris.

Il m’emmenait faire du paysage avec ses fils, mais il nous appelait, Vlaminck et moi, les « Intransigeants ». C’est ainsi qu’on nommait, vers 1860, les méchants, les révolutionnaires. Mais même le courroux esthétique change d’expression ; Pierre Wolf avait lancé « les Barbouilleurs » pour flétrir l’impressionnisme.

Les journalistes n’ont eu aucun effort d’imagination à fournir, ils nous ont appelé les barbouilleurs. Comme si Dieu le Père avait orchestré leur indignation, les professionnels du critère, pendant 20 ans de campagne contre l’Art, avaient trouvé le même qualificatif pour Cézanne, Manet, Van Gogh, Lautrec, Gauguin, Henri Rousseau. Picasso, un peu plus tard, devait bénéficier de la même distinction :  barbouilleur ! ça vous classait ! Les deux barbouilleurs se promenaient comme des amoureux, ils avaient un amour commun : la peinture.

Que de fois ai-je accompagné Vlaminck jusque devant sa porte, il revenait jusque chez moi, je le raccompagnais encore, lui aussi, et ainsi de suite jusqu’au matin. Quelques heures après, nous repartions avec la boîte à couleurs et le chevalet de campagne. Toujours grisés de couleur, et de soleil qui fait vivre la couleur !

Vlaminck et moi avons ensuite eu un atelier commun, à côté de chez Fournaise, que les Impressionnistes avaient rendu célèbre. Renoir y a peint « La Grenouillère » et « Les Canotiers », je pense que « Les Demoiselles » de Courbet y ont été peintes en 1855. J’y ai encore vu Degas, en barque, sur la Seine, vêtu d’une épaisse fourrure, en plein mois d’août. Plus tard, les « Intransigeants » sont devenus les « Indépendants ». On nous a appelés les « Fauves » parce que ça « gueulait », mais Chatou, c’était bien notre Jungle."

 SITE SIGNATURE DERAIN.jpeg

André Derain (1880-1954) 

 

SITE DERAIN COIN DE CHATOU.jpeg
Un coin de Chatou par André Derain, 1900

 

In Catalogue de la Galerie Bing,174 rue du Faubourg Saint-Honoré, mars 1947, exposition « Chatou » 

SITE JARRY.jpeg
 
Une image du vieux Chatou disparu avec la rénovation-destruction de 1966. La rue de la Paroisse et à gauche à l'angle en 1900, la maison Jarry, marchand de couleurs des peintres de Chatou où venaient s'approvisionner Derain et Vlaminck.
 

10/02/2014

LES AMIS DE LA MAISON FOURNAISE EN MARCHE POUR 2014

AMF 2014 4.jpg

Samedi  8 février 2014, les Amis de la Maison Fournaise ont tenu leur assemblée générale dans une salle comble de plus de 200 personnes sous le cinéma de Chatou. 2014 n’est pas une date anecdotique puisqu’elle marque les 130 ans du Salon des Indépendants qui projeta pour la première fois la peinture impressionniste dans le monde de l’art.

L’assemblée a reflété une fois encore le dynamisme de l’association emmenée par Madame Marie Christine Davy. Avec l’aide de Monsieur Jean-Pierre Sarron (ci-dessous), pas moins de 25 manifestations dans l’année ont été organisées, parmi lesquelles de nombreux voyages et visites d’expositions. L’association tient également des réunions conviviales et ouvertes au public du Cercle des Amis de la Maison Fournaise le vendredi soir à Chatou dans l’Ile aux Rives de la Courtille abordant divers sujets de conférences sur l’art.

AMF 2014 1.jpg

Dans les projets à financer, la restauration emblématique de la peinture murale du Père Fournaise sur la maison, un juste hommage à celui par qui tout est arrivé, et peut être un jour l’exposition de son portrait conservé Outre-Atlantique, constituent de très belles perspectives.

Le trésorier, Monsieur Jean Marty, a illustré la comptabilité à l'appui de tableaux de l'époque.

 

Les productions éditoriales se sont enrichies de la publication du livre des 30 ans de l’Association laquelle vient s’ajouter à celle de la gazette annuelle.

AMF 2014 14.jpg

L’association  maintenant ses encouragements dans la peinture, une toile du peintre Luciano Faraoni a été sélectionnée et présentée au public avec divers autres tableaux de l’artiste (ci-dessous).

AMF 2014 12.jpg

 

Enfin, il serait injurieux d’omettre une activité qui suscite l’intérêt immédiat des touristes et donne un souvenir vivant du monde de l’impressionnisme : les manifestations de l’association Arts et Chiffons qui a offert sa participation au bal des Canotiers à Bougival mais aussi à un son et lumière pour la cathédrale de Rouen, soit un apport exceptionnel à la reconstitution historique grâce aux costumes d’époque réalisés par les membres de l’association dont le rapport nous était présenté par Madame Isabelle Wilbert, administratrice, en l'absence de Madame Danièle Daniélou, empêchée.

AMF 2014.jpg

De gauche à droite, Madame Suzanne Bertauld, vice-présidente et Monsieur Jean-Guy Bertauld, président d'honneur, Monsieur Gélineau, administrateur, historien et auteur de la production éditoriale de l'association, Monsieur Bernard Pharisien, écrivain, spécialiste de Renoir et Madame Marie-Christine Davy, présidente de l'association.

 

La réunion était clôturée par une conférence organisée par l'association sur André Derain par Madame Geneviève Javotte Taillade, comédienne et arrière petite nièce de l’artiste. Ce moment est devenu un souvenir important. La vie d’André Derain est apparue comme on ne le voyait pas : à travers ses parents et notamment son père Louis Charlemagne Derain dont le portrait nous fut présenté pour la première fois. Grand épicier de la petite ville de Chatou rue de Saint-Germain, rappelons qu’il fut conseiller municipal de 1883 à 1909. La représentation de son immeuble aujourd’hui détruit puis de celle d’un tableau méconnu d’André Derain de 1899 – ce dernier avait alors 19 ans – ont soulevé une curiosité empreinte d’émotion : « L’enterrement à Chatou » montrant en couleurs une procession vers l’église Notre-Dame.

AMF 2014 9.jpg

La vie de Derain traversa des lieux très différents avec sa peinture, l’atelier de Chatou Maison Levanneur à ses débuts puis celui de la rue Bonaparte de 1910 à 1928 puis les propriétés de Chailly-en-Bière, de Paruso, enfin de Chambourcy, magnifique domaine qu’il acquit en 1935 contre la vente de ses anciennes demeures. Là, le peintre créa un univers partagé entre l’art, qu’il exerçait de mille façons, et la nature, qu’il observait dans son parc entouré d’animaux. A Chambourcy, il accueillit aussi sa famille, les grands noms de l’art de l’époque et pour n’en citer qu’un, Paul Poiret, lui aussi naguère jeune assidu des bords de Seine de Chatou. Derain y réalisa de magnifiques portraits dont celui d’Emonde Charles-Roux en 1953.

Les diverses œuvres présentées lors de la conférence revêtaient toutes un intérêt particulier. De la fin des années trente aux années cinquante, celles-ci ont été une découverte dans l'assistance et l’on peut dire que tant le sujet que le talent de la conférencière elle-même ont permis de faire ressortir nombre de faits et de documents éclairant avec intérêt les nombreuses vies du natif de Chatou.

Derain a porté la peinture française du XXème siècle. Son nom est digne d’un hommage national. Son ami Vlaminck serait encore aujourd’hui le premier à défendre son œuvre. L’Association des Amis d’André Derain à laquelle notre association a décidé d’adhérer se bat pour que ce qui reste du domaine de Chambourcy, aujourd’hui objet d’un projet public, soit élevé en mémoire de l’artiste, dans le respect d’un paysage qui inspira sa vie, en n’oubliant pas de préserver le caractère des lieux.

CAHIER ANDRE DERAIN.jpg

 

Et c’est un grand projet. Si l’on considère que l’art et le patrimoine sont le soleil de la France, Derain y tient une place éminente au milieu du rayonnement qu’il lui a apporté.

 

 

Pour en savoir plus :

Amis de la Maison Fournaise 06 85 11 85 59 amisfournaise@gmail.com

Luciano Faraoni 01 48 32 54 07 / www.drouot-cotation.org

Association des Amis d'André Derain : www.andre-derain.fr

 

LOCO DU PATRIMOINE.jpg

 

02/02/2014

CONFERENCE DES AMIS DE LA MAISON FOURNAISE SAMEDI 8 FEVRIER 2014

MAISON FOURNAISE 0.jpg

 

Les Amis de la Maison Fournaise

 

 nous prient d'annoncer leur conférence

ouverte au public 

à l'issue de l'assemblée générale annuelle

  

Samedi 8 février 2014

à 17 heures 30

 Salle Jean Françaix 3 Place Maurice Berteaux

 

Dans l’intimité d’André Derain

 

Par Geneviève-Javotte TAILLADE

Petite nièce d’André DERAIN

Présidente d’Honneur des Amis de Derain

 

 

DERAIN VLAMINCK 1942.jpg

André Derain et Maurice de Vlaminck - collection de l'auteur

 

 

En 1935, André Derain vend toutes ses habitations, celle de la rue du Douanier à proximité du Parc Montsouris à Paris, sa maison de Chailly-en-Bière près de Fontainebleau et le château de Parouzeau en Seine et Marne, pour s’installer à Chambourcy avec sa famille et ses animaux. Il y restera jusqu’à sa mort en 1954.

Petite nièce de Derain, Geneviève-Javotte Taillade a habité cette maison 40 ans, au milieu des collections, de ses meubles et dans le sillage du grand homme. Elle a posé pour lui toute petite, comme sa mère l’avait fait avant elle.

C’est ce souvenir « intime » que la conférencière, bien connue de nombre d’entre vous, veut bien nous faire partager. 

Rappelons qu’André Derain est né le 10 juin 1880 à Chatou et y a passé sa jeunesse.

 

 ***

 

A sa mort en 1954, Maurice de Vlaminck, avec qui il avait formé le duo de l'Ecole des Fauves à l'orée du siècle, lui rendit hommage dans le journal "Arts" :

 

" La mort d’André Derain fait ressurgir en moi des images, des paysages…Tout un monde de fantômes, de personnages vieillis, démodés ou encore en vie, se bouscule, s’agite et passe sur l’écran. La bobine dans l’appareil semble dérouler à rebours le film du passé.

Je revois André Derain à vingt ans, déambulant dans les rues de Chatou, l’air las et désabusé, grand, long, efflanqué, ayant l’allure d’un escholier de la basoche.

Dans ses propos, sans transition, il passait de l’amertume à l’humour, de la lassitude à l’ennui, de l’enthousiasme à la confiance et au doute. Il était jeune ! Derain laissait à ses pensées leur libre cours. Mais dans tout ce qu’il disait, dans les préoccupations d’un avenir incertain, une chose dominait et l’obsédait…la Peinture.

Au bout d’un an de travail en commun dans l’atelier que nous avions tous deux à Chatou – atelier devenu historique – Derain partit au régiment. Pendant le temps qu’il passe à Commercy à faire son apprentissage militaire, dans toutes ses lettres, il rage d’être là, encombré d’un fusil et d’écraser les mottes de terre sous ses godillots. Toutes ses pensées, tous ses désirs, l’appellent, autre part : ce qu’il demande c’est d’avoir des pinceaux et une palette chargée de couleurs dans les mains.

« Pour la peinture…m’écrivait-il quelques mois après son arrivée à la caserne, j’ai conscience que la peinture réaliste est finie. On ne fait que commencer en tant que peinture.

Sans toucher à l’abstraction des toiles de Vincent Van Gogh, abstraction que je ne conteste pas, je crois que les lignes, les couleurs ont des rapports assez puissants dans leur parallélisme à la base vitale pour permettre de chercher, de trouver un champ, pas nouveau mais surtout plus réel dans sa synthèse.. »

Plus loin, il écrivait : « il ne faut pas oublier que la seule définition complète de l’art est dans le fait du passage du subjectif à l’objectif. Hier, au détour d’un chemin, j’ai vu un vrai Rodin. Une femme portant un gosse à cheval sur une épaule : c’était très beau. Le gosse  était raide et vraiment à cheval…L’épaule qui portait, très large. Tout cela était rythmé et vraiment un peu dans l’avenir.

Je voudrais tout dire et je ne peux rien dans le papier. Des mots ne suffisent plus, ce ne sont plus que des mots, des dessins ou des sons. Parle-moi si tu as vu des nouveaux Van Gogh ou des Cézanne ou autre chose ? j’ai besoin maintenant d’un travail plus sincère, plus désintéressé que je ne l’ai jamais fait…Ecris-moi deux mots, n’importe quoi ! donne-moi des nouvelles de Chatou, même fausses !. »

Derain employait parfois dans sa conversation et dans ses lettres, des mots crus : mais si l’accent était rude, de tour direct, si le langage était coloré, ce qu’il exprimait relevait de la plus fine sensibilité ou soulignait la plus cruelle observation.

Les expressions parfois grossières étaient là, dites comme un mépris de la crasse indigente, un défi jeté à la bêtise et à l’ignorance. Si invraisemblable que cela puisse paraître, si nous avions certains points communs, la nature d’André Derain et la mienne s’opposaient. Mais si nos moyens de réalisation différaient, nos aspirations étaient qualitativement semblables :nous aspirions à un même idéal en empruntant des chemins différents.

Dés l’enfance, Derain avait été en classe. Ses facultés avaient été cultivées. Ses études au collège lui donnaient des certitudes et le différenciaient de moi. Je n’étais qu’une graine que le vent avait semée au hasard et qui s’accrochait à la terre où elle avait germé, croissant avec son seul instinct et en vue seulement des ses propres acquisitions.

Cependant, l’un comme l’autre, nous entendions refaire le monde à notre façon, à notre mesure. Nous y apportions la même hardiesse, le même enthousiasme. Avant d’avoir assemblé les matériaux d’un nouvel édifice, nous démolissions et nous nous placions sur un autre terrain avec l’espoir et parfois la certitude d’arriver à bâtir notre cathédrale.

Notre rencontre bouleversa les plans de ses parents. Il était appelé à faire une carrière d’ingénieur, tel était le désir de sa mère ! mais tel n’était pas le désir d’André Derain. Il devint artiste peintre.

En art, un goût sûr lui faisait distinguer  le vrai du faux et rejeter  l’artificiel et le banal. Le 13 août 1902, il m’écrivait : « il y a bientôt un an que nous avons vu Van Gogh et vraiment son souvenir me hante sans cesse…Je vois de plus en plus le sens véritable chez lui..Il y a bien aussi Cézanne. Grande puissance aussi ! mais à part la peinture de chevalet, il me semble que le but est dans la fresque. Michel-Ange, par exemple, comme sculpture, ses nus sont écrasants, sans but, ne-te semblent-ils pas idiots ou isolés ?

Une chose qui me tracasse, c’est le dessin. Je voudrais étudier des dessins de gosses. La vérité y est, sans doute. Mais il faut se faire une raison. Tout cela n’est plus de notre temps et il faut surtout être plus jeune que notre temps : c’est-à-dire plus vieux  comme idées, surtout avoir les idées non seulement d’un futur jeune, mais plutôt d’un futur vieux… »

Et le 18 août 1902 :

« Oui, pour sûr, tu as bien raison, c’est idiot d’être mort lorsqu’on a vécu et c’est bien beau de mourir lorsqu’on ne peut plus vivre. C’est tout naturel d’être mort ou bien en vie lorsque  l’on a jamais été.

Chacun pouvait bien écrire ou dire à l’autre qu’il se sentait à bout, qu’il était fou ! mais au fond de soi-même ni l’un ni l’autre ne se sentait vaincu ou las définitivement.

Tous deux, solidement charpentés, dotés d’une robuste constitution et d’un parfait équilibre physique, nous avions nettement conscience de tout ce qui pouvait être malsain, de tout ce qui pouvait altérer nos pensées  et notre santé morale. Notre mise n’était certes pas élégante ni même soignée, mais nous n’inspirions ni commisération ni pitié.

Derain était doué d’un sens  critique extrêmement développé. Il avait une façon personnelle de voir les êtres et les choses, d’approfondir les questions  les plus simples et les plus ardues, mais les conclusions qu’il tirait de ses controverses philosophiques  et artistiques  arrivaient à le faire souvent douter de lui-même.

Après une réplique ambigüe, on pouvait voir dans l’œil de Derain , accompagnant ses derniers mots , une expression de moquerie et sur ses lèvres une petite moue d’indifférence. Il résolvait les problèmes les plus ardus et pénétrait dans le monde des idées avec un petit rire intérieur (…)

Sur l’écran passent et repassent les images du film…1900…Chatou…L’atelier où nous nous retrouvions…où l’on remisait, toiles, couleurs, chevalets…Le pont de Chatou…La Grenouillère…Le restaurant Fournaise…Les balades à pied sous un soleil brûlant ou dans la campagne couverte de neige.

Sans un sou dans la poche, nous explorions Paris, parcourant des kilomètres le long des berges de la Seine…Montmartre, l’atelier de la rue de Tourlaque où « les putains respectueuses » de la place Blanche et du Rat Mort venaient poser, celui de la rue Bonaparte où pendant des soirées entières  nous parlions des peintres de la génération qui nous précédait, de ce que ces peintres avaient réalisé, des moyens qu’ils avaient employés et dans quel sens et vers quel but ils avaient dirigé leurs efforts. Manet, Renoir, Monet, Cézanne…Et le réalisme : Zola, les Goncourt…Les visites aux musées, au Louvre…Les Primitifs..La naissance du Cubisme. La mode dans l’invention dans la peinture, l’Art, l’intention de l’esprit, Picasso, Guillaume Apollinaire, « Dadaïsme », « Surréalisme »…

Foncièrement classique de nature, de sentiments et de goûts, André Derain acceptait difficilement de s’engager dans le chemin  des écoliers que prenait alors la peinture.

Cette interprétation déshumanisée, ces rébus d’où la vie était exclue, le chaos dans lequel  étaient plongées la nouvelle génération et la peinture, les nouvelles formules en « isme » le rendaient inquiet.

Il déserta les Salons et les Expositions, se retira à l’écart pour ne plus être d’avant-garde, acceptant de passer pour « ne plus être dans le coup ».

De tous les peintres de notre génération, je n’en connais aucun, sauf André Derain, qui eût été capable de bâtir, de mettre debout sans vulgarité, gaucherie et banalité, une composition comparable à celle de  l’ « Atelier », ou à celle de « Un enterrement  à Ornans », de Gustave Courbet.

Nos caractères et notre nature même s’opposaient. Etait-ce cela qui  nous faisait nous rapprocher et discuter sans fin sur les mêmes sujets ? la Vie ? la Peinture ? la Peinture qui avait fait naître en nous une amitié qui dura de longues années. Des évènements surgirent.

La guerre et la vie firent naître des dissentiments et des heurts et creusèrent pendant plus de vingt ans un fossé profond entre nous. Mais chacun reconnut toujours en l’autre qualités et défauts, sans haine ni mépris.

J’ai revu André Derain deux mois avant sa mort dans une auberge où nous avons déjeuné ensemble. Derain a aimé la vie  en égoïste raffiné, il a aimé la bonne chère, le bon vin et les femmes…Sa conversation était empreinte d’un humour singulier.

Je retrouvais malgré les ans qui avaient mûri son visage et alourdi son corps le Derain que je connaissais bien.

Pendant qu’il me parlait, je revoyais les toiles qu’il avait peintes à différentes époques. Le goût sûr et raffiné, l’intelligence de son dessin, l’équilibre et l’ordonnance des formes, le choix et la sobriété des tons et de la couleur qui se trouvent dans son œuvre contribuent à faire de Derain un peintre…Un Grand Peintre.

Avant de nous quitter, nous nous serrâmes la main :

-         « j’irai te voir, me dit-il. Nous avons tellement de choses à nous raconter et à mettre au point !

Avec André Derain disparaît un des piliers de la Peinture française contemporaine.

VLAMINCK "

 

Source : transcription du journal "Arts" du 22 septembre 1954, collection de l'auteur

 

LOCO DU PATRIMOINE 2.jpg

 

11/05/2013

VLAMINCK, L'ENFANT DE LA MUSIQUE

 DERAIN VLAMINCK 1942 1.jpg

Maurice de Vlaminck à droite et André Derain à gauche en 1942

 

 

Maurice de Vlaminck (1876-1958), fondateur de l'école des Fauves avec Derain, habita Chatou de 1893 à 1905 39 rue de Croissy (avenue du Général Colin depuis 1918) et 87 rue de Saint-Germain (avenue Foch depuis 1931). Son témoignage, qui s'étend jusqu'aux heures du phonographe dont Chatou était la capitale, vient rappeler un destin bercé par la musique,  une avalanche de notes qui conduisit  Vlaminck à se rendre à l'art pour le reste de sa vie :

 

"Mon père violoniste, ma mère pianiste, je suis né dans la musique. Il m’est impossible, malgré des efforts sincères, de me rappeler l’âge où j’ai su tenir un archet. Dès ma plus tendre enfance, je me suis réveillé, j’ai mangé, dormi au son du violon et du piano. Les exercices des élèves de mon père et de ma mère accompagnèrent toutes les pensées et les gestes d’une vie d’enfant.

Le carnaval de Venise, la Prière d’une Vierge, les Méthodes Lecoupey et Carpentier, Masas, Kreutzer, Etudes, duos, sonatines, morceaux à quatre mains étaient dans notre maison obligatoires et journaliers.

Tous ces petits airs radotants, pénibles, toujours les mêmes, inlassablement épelés, recommencés, accompagnent, bercent, situent dans ma mémoire le manque d’argent, et la misère des professeurs. Je vois nettement aujourd’hui, quand un hasard me fait prévenir aux oreilles ces petits exercices tristes et enfantins, la figure crispée de mon père, qui, anxieusement, pensait au montant du loyer échu, ou à l’obligation de l’acompte mensuel au boucher et au boulanger. Nous étions cinq enfants.

 

Je me revis écolier à l’âge de six ans, peinant sur un problème de règle de trois, insoluble pour moi, ou faisant un pensum pendant que dix fois de suite, sans interruption, un élève recommence les gammes majeures et mineures. Je poursuivis ou plutôt la musique me poursuivit au régiment. Je fis mon service dans une petite ville bretonne. Le jour même de mon arrivée à la caserne, le commandant-major dit au chef de musique : « voici une recrue pour vous ». Pendant trois années, de sept heures du matin à cinq heures du soir, printemps, été , automne, automne, hiver, on broyait la « grande musique » : Wagner, Massenet, Reyer, Leo Delibes, Saint-Saens, Verdi.

Dans la chambrée, où couchaient vingt-quatre hommes, dans une  odeur de coaltar, de cuir, de godillots, de rata, de crasse et de sueur humaine, les formidables harmonies du   " Vaisseau Fantôme " pétaradaient. Tous les opéras « Sigurds », « Les Huguenots », « Le Freyschutz », « Semiramis », « La Marche aux Flambeaux » de Meyerbeer, toute cette pluie de notes, ces averses d’harmonie grandiloquentes ou graves m’évoquent aujourd’hui la caserne !

Dés les premières mesures du Tannhauser, j’aperçois un képi de capitaine, un sabre posé sur un lit, ou bien encore le manteau du colonel et souvent, oh rappel futuriste, la sonnerie du clairon de garde sonnant aux consignés.

Un matin d’hiver, dans cette même chambre, où quarante musiciens militaires répétaient sans arrêt « Hérodiade » de Massenet, je lus, étant exempt de service pour une blessure à la main, « L’Affaire Clemenceau » de Dumas fils. Jamais on ne pourra me retirer de la tête que « L’Affaire Clemenceau n’est pas le livret d’Hérodiade ».

Puis, 1900. Libéré, les orchestres Tziganes de l’Exposition me happèrent. Les valses lentes, les valses bleues et roses. C’est toute la musique de cette époque qui aida Rigo à enlever une princesse… et m’aida à gagner ma vie.

Je sortais d’un orchestre pour entrer dans un autre comme un valet de chambre change de place. Orchestre de café, apéritif en musique, dîner en musique. Là, ce furent toutes les fantaisies arrangées par Tavan : « Rigoletto », « Miss Helyett », « La Fille du Tambou-Major », et des valses, des valses crispantes qui sentent l’amour, la volupté et le billet de cent francs. Minuit, musique de minuit, visions de femmes tristes et sentimentales, ayant dîné par cœur, écoutant recueillies cette musique qui leur remuait l’âme en buvant des alcools. Hébétées, elles attendaient un homme, en laissant leur esprit flotter, s’étirer, aux réminiscenses amoureuses, aux illusions perdues.

Toute une musique, faite de désirs insatisfaits, toute une époque de ma vie. L’une d’elles me donna un louis huit jours de suite  pour que, violon solo que j’étais, je joue pour elle le « Prélude » de Bach. Et de grosses larmes coulaient de ses yeux.

Que le lecteur ne s’imagine pas que je fais de l’humour ou que je dramatise, je lui fais part très sincèrement de mes impressions et du choc en retour qui réveille en moi  ce qu’il est convenu d’appeler la musique. Afin de pouvoir disposer de plus de temps pour peindre, je quittai Paris et les orchestres. Je devins le pauvre professeur chargé de famille. Ce fut la plus dure époque de ma vie. Je recommençais pour mon compte et celui de mes élèves : la méthode Mazas, Kreutzer, Mozart. Musique classique ? Bach, Haydn, Beethoven.

Sonates et concertos, combien avez-vous fait vivre de professeurs, de pauvres gens courant après le maigre cachet sous le froid et la pluie, avec un manteau trop mince et des souliers percés.

Oh, sonates de Mozart ! quand je vous écoute encore aujourd’hui, j’ai la sensation d’avoir les pieds trempés, le dos gelé et mouillé des averses reçues pour gagner ma vie avec vous. Je calculais : tant d’heures de Beethoven pour le loyer, tant d’heures de Mozart pour le cordonnier et le boulanger.

A l’âge de trente ans, ma carrière de musicien fut terminée par Vollard qui m’acheta toutes les toiles que je possédais et que j’avais peintes depuis plusieurs années avec un  enthousiasme gratuit pendant les heures de liberté que me laissaient mes élèves.

 

D’exécutant, je devins auditeur. Alors, j’ai entendu la musique de la guerre. Harmonies lugubres, « la Madelon » qui traîne dans ses jupons le désir du poilu, le « Communiqué » et la « Mort » ! « Tipperary » qui empeste le tabac anglais et le « Business ». « Tout le long, le long du Missouri  » qui fait surgir les accouplements en vitesse, le baiser sur les lèvres avant le départ du train pour le front, pendant que la grosse Bertha faisait trembler Paris, qui remet en mémoire les amours des femmes et des filles  énervées par le veuvage, séduites par nos amis d’outre-mer, absoutes et légalisées par les discours du président Wilson. Puis je sépare ces mélodies du vacarme guerrier de la joie de l’Armistice !...Pourquoi le pourrai-je ! quand il m’est impossible de séparer l’odeur des sureaux en fleurs et le parfum des bourgeons du peuplier, de certaines heures de ma jeunesse. Quand, me trouvant à Southampton, à Marseille, au Havre, le mugissement d’une sirène de remorqueurs fait apparaître devant mes yeux, le pont, les écluses et les coteaux de Bougival.

« Vie de Bohêmes de Puccini ! pour la première fois, je vous ai entendu à la taverne d’Excelsior. Une femme, une femme que j’aimais avec passion était prés de moi. Je vous ai entendu bien d’autres fois, « Chanson de Mimi », vous avez et vous aurez toujours pour moi la même voix et les mêmes gestes que mon amour.  

Sérénade de Toselli. Petit restaurant de la rue Houdon : « Restaurant Italiano ». Apollinaire vient de mourir. Je vais à la première et l’unique représentation de sa pièce : « Couleur du temps » au théâtre Lara. Hier encore, couché et fiévreux, il confiait à notre amitié le soin de la mise en scène de son œuvre.

Un petit violoniste albinos joue dans la salle la sérénade de Toselli. Cette musique, le décor de la salle se lie peu à peu à la mort de Guillaume Apollinaire. Impossible que la Sérénade que j’entends pour la première fois ne devienne pas à cette minute une marche funèbre, impossible pour moi de ne pas adapter cette mélodie à cette vie trop vite fauchée, à la mort de mon ami, impossible aussi de ne pas me rappeler que Picasso et Cocteau déjeunaient en face de moi.  

 

Du doigt aujourd’hui je mets mon phonographe en marche. Instrument nouveau, musique neuve. Elle rompt avec les conventions sentimentales et morales du passé, l’aiguille grésille un peu…Un rythme lent monte, se précipite, monte encore… et nous rejette à terre, d’un seul coup. Ca ne me rappelle rien. Je ne vais jamais dans les dancings. Un chanteur anglais, des nègres américains. Je ne comprends pas les paroles, j’aime beaucoup mieux cela. Les paroles d’une chanson dans une langue étrangère ont le bénéfice du mystère. Les étrangers qui ne comprennent pas le français croient que nous sommes sentimentaux, pacifistes et légers en amour. Est-ce que je demande de comprendre la chanson du rossignol quand il vocalise dans la haie.

Des sonorités, des timbres nouveaux, musique d’aujourd’hui ! roulements de motos sur la piste.

 

CATALOGUE LVM 1930.jpg

Collection de l'auteur

 

"Le phonographe est devenu pour nos amis Matisse, Vlaminck, Gromaire, Favory, André Lhote, Simon Lévy, un véritable violon d'Ingres. Et tous avaient, cependant, contre l'instrument de Cros et d'Edison, à vaincre ce préjugé qui fait estimer comme un bas truchement l'appareil mécanique se substituant à l'orchestre, à la voix, au virtuose (...)" Florent Fels - "L'Art Vivant" -15 janvier 1928.

 

Jazz : accompagnements d’explosions des moteurs à quatre temps. Rien ne traîne pour moi derrière cette musique-là. Très peu d’intermédiaires. C’est fort, jeune, inattendu, enthousiaste, physique. Des hommes voltigent autour de trapèzes volants. Roulement des wagons sur les rails, bruit des bielles de la locomotive, guitares hawaïennes des transatlantiques.

Ce rythme me fait pressentir ce qui sera quand je ne serai plus.

Je fais tourner un autre disque. Un disque mélancolique, d’une mélancolie humoristique. L’amour du risque, de la tranquillité et de l’Occident.

Je regarde. Dehors, il fait un petit temps frais et sec. Du soleil fait scintiller le gel sur les branches. J’ai hâte d’entendre ronfler sur la route le moteur de ma voiture."

 

Maurice de Vlaminck pour la revue "L'Art Vivant" - 15 janvier 1928

 

 

 

 

06/04/2012

ANDRE DERAIN, IMPRESSIONS SUR LE CINEMA (1934)

 ANDRE DERAIN PORTRAIT.jpg

 Ayant à coeur de valoriser le patrimoine de la ville au XXème siècle, l'association a défendu son patrimoine industriel, mis en exergue par un coffret audio les moments forts de la Seconde Guerre Mondiale, évoqué sur ce blog les liens de Chatou avec le cinéma... Dans ce dernier domaine, nous ne pouvions que faire part des idées du peintre André Derain, né à Chatou en 1880, dans une interview à une journaliste du magazine cinématographique "Pour Vous" du 24 mai 1934 :

« Ce que je reproche au cinéma, c’est de n’avoir pas encore trouvé sa littérature. Il s’empêtre dans des anecdotes qu’il prend au roman, ou bien qu’il pille au théâtre. Ce ne sont qu’ "adaptations pour l’écran".

Comme si le monde des images ne devait pas posséder une technique nouvelle, différente, à coup sûr, de celle des livres et de celle des drames qui se jouent sur scène avec des personnages en chair et en os !..."

J’écoute Derain, qui parle doucement en faisant peu de gestes. Nous sommes dans sa maison charmante, posée dans un décor printanier d’arbres feuillus, d’oiseaux, avec un pan de ciel bleu et blanc qu’on aperçoit par la fenêtre. Malgré toute la gloire qui environne son nom, le peintre a de la gentillesse, un doux sourire, un éclair gai au coin de ses yeux. Il a bien raison d’être aimable, autrement sa taille considérable ferait un peu peur…

Il rappellerait assez les géants qui sont bons ou mauvais, on ne sait jamais, la première fois qu’on les rencontre.

Mais Derain n’entend point mes pensées. Il continue :

"Jusqu’à présent, le cinéma, ou plutôt la fabrication des films, est si compliquée, si difficile, elle met en train tant d’artisans, tant de machines, qu’elle ne nous donne presque toujours que des objets manufacturés et non point une œuvre d’art !"

N’est-ce pas toujours ainsi quand il s’agit d’une chose considérable ?

"Mais non, voyez autrefois quand on bâtissait des cathédrales merveilleuses. On utilisait des compétences innombrables et diverses, pourtant l’œuvre d’art naissait, parce qu’il y avait une cohésion, une entente entre les collaborateurs et surtout, parce tous obéissaient à une direction très précise et autoritaire."

Il y avait peut-être aussi la question d’argent qui était moins aigüe ?

"Oui et non ! la plupart des grands ouvrages du Moyen-Age se sont faits par contrat, liant, comme aujourd’hui, étroitement employeurs et employés. Mais ceux qui investissent des sommes dans le cinéma exigent un intérêt exagéré, qui mène chaque affaire à la banqueroute."

Dans le salon, un joli petit chat gris est grimpé prestement sur la table où je prends mes notes, puis sur mon épaule. Il a des gestes d’une souplesse, d’une douceur infinies. Derain dit en le regardant :

« Tout de même, le cinéma nous a apporté quelque chose de nouveau, que jusqu’alors l’œil humain  n’avait pu deviner, mais que la peinture et la photographie n’avaient pu saisir que par hasard, par accident. Il nous a révélé certains mouvements que les artistes avaient discernés presque sans les voir. Aussi bien chez les animaux que  chez les êtres humains, le corps a des mouvements de passage, des ruptures d’équilibre très brèves, très belles et qui mettent en valeur  telles attitudes, tels muscles, toutes sortes de jeux à quoi on n’avait jamais fait attention. Ainsi, j’ai filmé ce chat jouant dans la maison, dans le jardin. J’ai filmé des gazelles, des chevaux, des femmes nues. La bande de celluloïd a surpris des gestes dont je n’avais qu’une faible idée. Aussi, voilà en quoi le cinéma est merveilleux : il nous apporte une moisson de documents qui enchantera notre esprit.

Le cinéma n’est-il pas aussi un appel aux sens ?

"Jamais de la vie ! le cinéma, c’est le cauchemar, le fantôme. Les histoires d’amour qu’il nous raconte sont toujours lamentables. On dirait que les metteurs en scène  ont été chargés d’illustrer le proverbe populaire : « plus c’est triste, plus c’est beau ». D’un autre côté, il faut que les personnages aillent jusqu’au baiser pour qu’on soit ému. Et encore ! alors qu’au théâtre, c’est bien différent. Tout parle avec sens, et surtout la voix des acteurs."

N’avons-nous pas le cinéma parlant ?

"La voix humaine reproduite dans les scénarios est métallisée, banalisée, insupportable, sans souplesse. Elle ne vous donne pas d’émotion, elle vous agace ! pourquoi ne pas en convenir ? le cinéma est encore un art bégayant, un art qui utilise des moyens grossiers. Par exemple, actuellement, le drame est en trompe-l’œil. C’est le coup de revolver ou la mort qui finit tout, alors que dans la vie ce paroxysme réel et matériel n’a souvent rien à faire avec le drame. Le drame, c’était avant, ou ce sera après le coup de revolver, et combien il sera plus difficile à exprimer !"

La conversation de Derain est à la fois si substantielle et si abondante que je puis à peine prendre quelques notes. Maintenant, il suggère :

"Il devrait y avoir des bibliothèques de films, que l’on pourrait aller consulter comme on va demander des livres. Par exemple, si je veux peindre une rue de Pékin, ou un coin de Colorado, ou les bords du Nil, je voudrais pouvoir aller me renseigner au moyen d’images vraies prises sur les lieux et non point lire et lire des bouquins, ou me mettre en route pour l’autre bout du monde si je n’en n’ai point envie."

Le bon géant sourit en m’accompagnant vers la porte. Il promet de me convier à la présentation d’un petit film dont le siamois gris sera le principal acteur.

                                                             Michelle Deroyer"

 

11/10/2011

LA MORT D'ANDRE DERAIN, LE TEMOIGNAGE DE MAURICE DE VLAMINCK

 SITE CATALOGUE BING.jpg

Couverture du catalogue de l'exposition "Chatou" à la Galerie Bing en mars 1947 par Maurice de Vlaminck. Celui-ci habita Chatou de 1893 à 1905, 39 rue de Croissy (avenue du Général Colin depuis 1918) et 87 rue de Saint-Germain (avenue Foch depuis 1931).

 

ANDRE DERAIN PORTRAIT.jpg

 André Derain

 

Chatou. Les peintres ont porté son nom. Lorsqu'André Derain, qui naquit à Chatou le 10 juin 1880, meurt à Garches le 8 septembre 1954, Maurice de Vlaminck, autre Catovien non moins célèbre, lui parle encore : 

"La mort d’André Derain fait ressurgir en moi des images, des paysages…Tout un monde de fantômes, de personnages vieillis, démodés ou encore en vie, se bouscule, s’agite et passe sur l’écran. La bobine dans l’appareil semble dérouler à rebours le film du passé.

Je revois André Derain à vingt ans, déambulant dans les rues de Chatou, l’air las et désabusé, grand, long, efflanqué, ayant l’allure d’un escholier de la basoche.

Dans ses propos, sans transition, il passait de l’amertume à l’humour, de la lassitude à l’ennui, de l’enthousiasme à la confiance et au doute. Il était jeune ! Derain laissait à ses pensées leur libre cours. Mais dans tout ce qu’il disait, dans les préoccupations d’un avenir incertain, une chose dominait et l’obsédait…la Peinture.

Au bout d’un an de travail en commun dans l’atelier que nous avions tous deux à Chatou – atelier devenu historique – Derain partit au régiment. Pendant le temps qu’il passe à Commercy à faire son apprentissage militaire, dans toutes ses lettres, il rage d’être là, encombré d’un fusil et d’écraser les mottes de terre sous ses godillots. Toutes ses pensées, tous ses désirs, l’appellent, autre part : ce qu’il demande c’est d’avoir des pinceaux et une palette chargée de couleurs dans les mains.

« Pour la peinture…m’écrivait-il quelques mois après son arrivée à la caserne, j’ai conscience que la peinture réaliste est finie. On ne fait que commencer en tant que peinture. Sans toucher à l’abstraction des toiles de Vincent Van Gogh, abstraction que je ne conteste pas, je crois que les lignes, les couleurs ont des rapports assez puissants dans leur parallélisme à la base vitale pour permettre de chercher, de trouver un champ, pas nouveau mais surtout plus réel dans sa synthèse.. »

Plus loin, il écrivait : « il ne faut pas oublier que la seule définition complète de l’art est dans le fait du passage du subjectif à l’objectif. Hier, au détour d’un chemin, j’ai vu un vrai Rodin. Une femme portant un gosse à cheval sur une épaule : c’était très beau. Le gosse  était raide et vraiment à cheval…L’épaule qui portait, très large. Tout cela était rythmé et vraiment un peu dans l’avenir. Je voudrais tout dire et je ne peux rien dans le papier. Des mots ne suffisent plus, ce ne sont plus que des mots, des dessins ou des sons. Parle-moi si tu as vu des nouveaux Van Gogh ou des Cézanne ou autre chose ? j’ai besoin maintenant d’un travail plus sincère, plus désintéressé que je ne l’ai jamais fait…Ecris-moi deux mots, n’importe quoi ! donne-moi des nouvelles de Chatou, même fausses !. »

Derain employait parfois dans sa conversation et dans ses lettres, des mots crus : mais si l’accent était rude, de tour direct, si le langage était coloré, ce qu’il exprimait relevait de la plus fine sensibilité ou soulignait la plus cruelle observation.

Les expressions parfois grossières étaient là, dites comme un mépris de la crasse indigente, un défi jeté à la bêtise et à l’ignorance. Si invraisemblable que cela puisse paraître, si nous avions certains points communs, la nature d’André Derain et la mienne s’opposaient. Mais si nos moyens de réalisation différaient, nos aspirations étaient qualitativement semblables :nous aspirions à un même idéal en empruntant des chemins différents.

Dés l’enfance, Derain avait été en classe. Ses facultés avaient été cultivées. Ses études au collège lui donnaient des certitudes et le différenciaient de moi. Je n’étais qu’une graine que le vent avait semée au hasard et qui s’accrochait à la terre où elle avait germé, croissant avec son seul instinct et en vue seulement des ses propres acquisitions. Cependant, l’un comme l’autre, nous entendions refaire le monde à notre façon, à notre mesure. Nous y apportions la même hardiesse, le même enthousiasme. Avant d’avoir assemblé les matériaux d’un nouvel édifice, nous démolissions et nous nous placions sur un autre terrain avec l’espoir et parfois la certitude d’arriver à bâtir notre cathédrale. Notre rencontre bouleversa les plans de ses parents. Il était appelé à faire une carrière d’ingénieur, tel était le désir de sa mère ! mais tel n’était pas le désir d’André Derain. Il devint artiste peintre.

En art, un goût sûr lui faisait distinguer  le vrai du faux et rejeter  l’artificiel et le banal. Le 13 août 1902, il m’écrivait : « il y a bientôt un an que nous avons vu Van Gogh et vraiment son souvenir me hante sans cesse…Je vois de plus en plus le sens véritable chez lui..Il y a bien aussi Cézanne. Grande puissance aussi ! mais à part la peinture de chevalet, il me semble que le but est dans la fresque. Michel-Ange, par exemple, comme sculpture, ses nus sont écrasants, sans but, ne-te semblent-ils pas idiots ou isolés ?

Une chose qui me tracasse, c’est le dessin. Je voudrais étudier des dessins de gosses. La vérité y est, sans doute. Mais il faut se faire une raison. Tout cela n’est plus de notre temps et il faut surtout être plus jeune que notre temps : c’est-à-dire plus vieux  comme idées, surtout avoir les idées non seulement d’un futur jeune, mais plutôt d’un futur vieux… »

Et le 18 août 1902 :

« Oui, pour sûr, tu as bien raison, c’est idiot d’être mort lorsqu’on a vécu et c’est bien beau de mourir lorsqu’on ne peut plus vivre. C’est tout naturel d’être mort ou bien en vie lorsque  l’on a jamais été.

Chacun pouvait bien écrire ou dire à l’autre qu’il se sentait à bout, qu’il était fou ! mais au fond de soi-même ni l’un ni l’autre ne se sentait vaincu ou las définitivement.

Tous deux, solidement charpentés, dotés d’une robuste constitution et d’un parfait équilibre physique, nous avions nettement conscience de tout ce qui pouvait être malsain, de tout ce qui pouvait altérer nos pensées  et notre santé morale. Notre mise n’était certes pas élégante ni même soignée, mais nous n’inspirions ni commisération ni pitié.

Derain était doué d’un sens  critique extrêmement développé. Il avait une façon personnelle de voir les êtres et les choses, d’approfondir les questions  les plus simples et les plus ardues, mais les conclusions qu’il tirait de ses controverses philosophiques  et artistiques  arrivaient à le faire souvent douter de lui-même. Après une réplique ambigüe, on pouvait voir dans l’œil de Derain , accompagnant ses derniers mots , une expression de moquerie et sur ses lèvres une petite moue d’indifférence. Il résolvait les problèmes les plus ardus et pénétrait dans le monde des idées avec un petit rire intérieur (…)

Sur l’écran passent et repassent les images du film…1900…Chatou…L’atelier où nous nous retrouvions…où l’on remisait, toiles, couleurs, chevalets…Le pont de Chatou…La Grenouillère…Le restaurant Fournaise…Les balades à pied sous un soleil brûlant ou dans la campagne couverte de neige. Sans un sou dans la poche, nous explorions Paris, parcourant des kilomètres le long des berges de la Seine…Montmartre, l’atelier de la rue de Tourlaque où « les putains respectueuses » de la place Blanche et du Rat Mort venaient poser, celui de la rue Bonaparte où pendant des soirées entières  nous parlions des peintres de la génération qui nous précédait, de ce que ces peintres avaient réalisé, des moyens qu’ils avaient employés et dans quel sens et vers quel but ils avaient dirigé leurs efforts. Manet, Renoir, Monet, Cézanne…Et le réalisme : Zola, les Goncourt…Les visites aux musées, au Louvre…Les Primitifs..La naissance du Cubisme. La mode dans l’invention dans la peinture, l’Art, l’intention de l’esprit, Picasso, Guillaume Apollinaire, « Dadaïsme », « Surréalisme »…

Foncièrement classique de nature, de sentiments et de goûts, André Derain acceptait difficilement de s’engager dans le chemin  des écoliers que prenait alors la peinture. Cette interprétation déshumanisée, ces rébus d’où la vie était exclue, le chaos dans lequel  étaient plongées la nouvelle génération et la peinture, les nouvelles formules en « isme » le rendaient inquiet. Il déserta les Salons et les Expositions, se retira à l’écart pour ne plus être d’avant-garde, acceptant de passer pour « ne plus être dans le coup ».

De tous les peintres de notre génération, je n’en connais aucun, sauf André Derain, qui eût été capable de bâtir, de mettre debout sans vulgarité, gaucherie et banalité, une composition comparable à celle de  l’ « Atelier », ou à celle de « Un enterrement  à Ornans », de Gustave Courbet.

Nos caractères et notre nature même s’opposaient. Etait-ce cela qui  nous faisait nous rapprocher et discuter sans fin sur les mêmes sujets ? la Vie ? la Peinture ? la Peinture qui avait fait naître en nous une amitié qui dura de longues années. Des évènements surgirent. La guerre et la vie firent naître des dissentiments et des heurts et creusèrent pendant plus de vingt ans un fossé profond entre nous. Mais chacun reconnut toujours en l’autre qualités et défauts, sans haine ni mépris.

J’ai revu André Derain deux mois avant sa mort dans une auberge où nous avons déjeuné ensemble. Derain a aimé la vie  en égoïste raffiné, il a aimé la bonne chère, le bon vin et les femmes…Sa conversation était empreinte d’un humour singulier.

Je retrouvais malgré les ans qui avaient mûri son visage et alourdi son corps le Derain que je connaissais bien. Pendant qu’il me parlait, je revoyais les toiles qu’il avait peintes à différentes époques. Le goût sûr et raffiné, l’intelligence de son dessin, l’équilibre et l’ordonnance des formes, le choix et la sobriété des tons et de la couleur qui se trouvent dans son œuvre contribuent à faire de Derain un peintre…Un Grand Peintre.

Avant de nous quitter, nous nous serrâmes la main :

-         « j’irai te voir, me dit-il. Nous avons tellement de choses à nous raconter et à mettre au point !

Avec André Derain disparaît un des piliers de la Peinture française contemporaine.

VLAMINCK "

Arts – 22 septembre 1954