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14/02/2018

A L'HEURE EGYPTIENNE AVEC GEORGES REMON

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Nous avions abordé dans un article précédent le commentaire de l’architecte décorateur Catovien Georges Rémon (1889-1963) sur la nouvelle résidence générale du Maroc, construite sur les plans de l’architecte Albert Laprade à partir de juillet 1918.

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Un dessin de Georges Rémon dans ses jeunes années avant 1914 pour une fantaisie orientale dans son album "Intérieurs d'Appartements Modernes" - éditions Thézard. Collection de l'auteur.

 

Georges Rémon aborde l’architecture nouvelle de l’Egypte dans une rubrique qu’il lui consacre en 1927 dans la revue "Jardins et Cottages". L’Egypte est un pays sous occupation britannique depuis 1876 – les troupes anglaises ne quittent le pays qu’en 1936 – avec une colonie française autour du canal de Suez, un pays dont Fouad Ier fut le sultan en 1917 avant d'être proclamé roi d’Egypte et du Soudan (1922-1936).

« Les villas construites récemment à Alexandrie et au Caire par Messieurs Messieurs Azéma, Edrei et Hardy, architectes, avec la collaboration de Monsieur P. Labbé, nous rappellent celles que "Jardins et Cottages" présentait dans un de ses précédents numéros.

Elles s’inspirent du même esprit, affectent les mêmes caractères généraux. Nous ne saurions mieux faire que de reproduire les remarques typiques qui émaillaient pertinemment l’étude à laquelle nous faisons allusion.

« Si l’on veut bien considérer que l’aristocratie égyptienne, écrivait-on, passe en France les mois les plus chauds de l’année, on comprendra que la conception d’une villa en Egypte ne possède pas nécessairement l’architecture des pays chauds . »

Et, de fait, il ne faut pas s’attendre à rencontrer dans ces types d’habitations somptueuses, créées pour satisfaire les goûts et les habitudes d’une élite qui entend vivre à l’européenne, celle qui rappelle l’architecture autochtone.

Ce que les architectes ont pu faire au Maroc, par exemple, en combinant étroitement le goût latin et les conceptions arabes, soumis pareillement aux conditions du climat et à la nature du site, n’est plus du tout exigible en Egypte, puisque « les besoins et les habitudes de sa population cultivée amènent l’architecte à exécuter ses constructions suivant les modes septentrionaux. »

On lui demande seulement d’obéir à certaines prescriptions, toujours identiques, influant sur le plan et le dessin des façades. C’est d’abord la terrasse, laquelle sert à deux fins. Partagée en deux parties bien distinctes et bien séparées, sans qu’on puisse et qu’on doive voir de l’une ce qui se passe dans l’autre, elle comprend une zone réservée aux maîtres qui y séjournent volontiers et y tiennent leurs réceptions, et une zone à l’usage du service.

L’architecte ne peut donc mieux faire que d’adopter, en la modifiant, en la tempérant, en lui communiquant une note personnelle, l’ordonnance des villas latines ou italiennes. Il lui faut donc se garder de tomber dans la copie étroite et servile de types dont la formule est depuis longtemps fixée et ressassée.

Mais il lui faut surtout éviter de suivre, dans toutes leurs exigences, les indications d’une clientèle malheureusement trop encline à aimer la pompe et l’apparat. A ce double point de vue, Messieurs Azéma, Edrei et Hardy ont eu le mérite de créer des ouvrages qui, tout en tenant compte des préférences individuelles, marquent une parfaite leçon de goût.

Ils ont réussi à imposer une remarquable économie en matière d’ornements. Ils ont scrupuleusement fait triompher  le sens de la ligne, le sens de l’équilibre, et ils ont introduit le judicieux emploi de la polychromie qui, conférant à leurs productions un accent en rapport avec le milieu, suffit à compenser ce qu’un parti pris essentiellement classique eût pu comporter de froideur et de sécheresse.

Examinons, par exemple, la villa construite au Caire pour Monsieur Green (illustration ci-dessous). Le principe de la couleur y est observé. Les tuiles romaines et les dessous de corniche opposent leurs tonalités rouges à la nuance ocrée de l’enduit de façade.

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Un porche d’entrée conduit directement à un bureau et au hall qui dessert le salon, le fumoir et la salle à manger. Le fumoir donne sur une loggia, la salle à manger sur une terrasse dominant les jardins.

L’entrée de service, la cuisine et le garage sont situés sur la face sud de l’habitation. Au premier étage où l’on accède par un escalier partant du hall, se trouvent trois grandes chambres, la chambre d’enfants, une nursery, une chambre d’ami donnant sur la terrasse au-dessus du garage. La principale chambre a vue sur la terrasse aménagée au-dessus de la loggia.

 

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Voici maintenant la villa de Monsieur Barcilon (ci-dessus), construite à Alexandrie, et qui par l’utilisation des graciles colonnettes que l’on distingue en haut de l’escalier d’entrée, évoque la grâce des fines arcatures mauresques. Ici encore, le contraste entre les tons rouges des graffiti, des briques et des boiseries apparentes, d’une part, et le coloris jaune de l’enduit, est particulièrement heureux.  L’entrée communique avec un important vestiaire donnant sur les lavabos et les w-c . La partie centrale est occupée par un vaste hall débouchant sur une terrasse et située entre le grand salon, que prolonge une véranda, et la salle à manger agrémentée d’une pergola.

Le service est aménagé dans le sous-sol, autour d’une grande salle de billard qui en occupe le centre. Enfin, à la partie supérieure, une haute terrasse où prennent place, ainsi que nous l’avons indiqué, les chambres de domestiques, la buanderie avec séchoir, soigneusement séparées de la terrasse des maîtres, aménagée en salon de réception, avec pergola et motifs de verdure.

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Plan du jardin de la villa de Monsieur Barcilon à Alexandrie 

 

On examinera de même attentivement les plans de la villa de Monsieur  D. Cicurel , située, comme la précédente, à Alexandrie (illustration ci-dessous). L’entrée conduit à un vestibule et au vestiaire.

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Le hall central est situé entre deux salons, prenant jour sur une terrasse et la salle à manger qui donne sur une véranda. Au premier étage, six chambres et salles de bains entourent le hall. L’escalier de service occupe une tourelle construite à l’angle nord-est de la villa.

Les façades sont harmonieusement dessinées. Quelques ornements simples, balustres et acrotères, d’inspiration classique, une attrayante polychromie assurée par l’opposition entre les surfaces d’enduit jaune et les champs de briques rouges, tels en sont les principaux caractères. Il faudrait, pour ces trois villas, insister sur les somptueux jardins qui les entourent, eux-mêmes ordonnés avec un sentiment architectural très sûr.

Nous voudrions insister tout particulièrement sur une autre villa (illustration ci-dessous), érigée en bordure du Nil, et qui, tant par la large ordonnance de son plan que par l’agrément de ses façades, nous semble avoir porté à leur point de perfection l’observation et la réalisation des principes mêmes que nous venons de signaler.

 

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Villa au bord du Nil de Monsieur et Madame Rateb Bey

 

Ajoutons qu’ici l’architecte a bénéficié d’une aisance inaccoutumée dans l’élaboration de son harmonieux dessein, la construction ne devant comporter aucune surcharge, aucun ornement superflu. La simplicité des lignes générales a, comme il était naturel, conduit l’artiste à concentrer toute son attention sur l’équilibre des volumes et sur le raffinement des détails. La façade qui domine le fleuve permet de juger de l’économie de l’ensemble et de la grâce des moindres parties, magnifiquement articulées.

C’est d’abord la terrasse couverte, avec la ligne de colonnes stylisées qui constituent un heureux souvenir des chapiteaux lotiformes.

C’est encore le fin profil de la loggia qui forme la partie médiane de la façade qu’on aperçoit en perspective. C’est, enfin, la belle ordonnance des larges baies avec le rythme élégant des fins piliers qui les encadrent.

N’ayons garde d’omettre de mentionner le charme qui se dégage d’une silencieuse répartition des champs colorés en rouge se découpant sur le ton ocré de l’ensemble, le tout couronné et festonné par les gracieuses lignes de verdure de la pergola supérieure.

Le plan nous renseigne sur les séductions de cette splendide propriété qui occupe vraiment une situation exceptionnelle et dont les habitants peuvent, au gré de l’heure, ravir leur vue des vastes perspectives du fleuve ou de l’intime et paisible enchantement de somptueux jardins sobrement ordonnés. »

 

Georges Rémon

Jardins et Cottages – avril 1927 - n°13

 

 

Sources :

Bibliothèque Nationale de France, département Sciences et Techniques

Archives Municipales de Chatou

Bibliothèque Historique de la Ville de Paris

Archives de la Légion d'Honneur 

27/12/2016

LE PAQUEBOT "PARIS", UNE CONTRIBUTION DES ATELIERS REMON

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La Grande Guerre avait ouvert en France une plaie géante, la tragédie d’une déshumanisation et d’une destruction sans précédent. La reconstruction devait se faire au plus vite. Le secteur de l’industrie s’y employa cependant que la création artistique française réapparut comme une fleur au printemps.

Mis en chantier en 1913, le paquebot « Paris » de la Compagnie Générale Transatlantique (carte ci-dessus) figura ce lien entre le rayonnement de la Belle Epoque et les lueurs du lendemain de la dévastation.

Lancé le 15 juin 1921, le navire disparut le 18 avril 1939 dans un incendie considéré communément comme criminel. Entre-temps, il avait redonné corps à une époque sur laquelle 4000 passagers ne manquèrent pas de jeter leur dévolu lors de chaque traversée.

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Le paquebot "Paris" (1921-1939) à quai à Saint-Nazaire

 

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paquebot "Paris", affiche d'Albert Sebille 

 

 

une illustration musicale de jazz des années cinquante sur une composition d'époque à écouter en installant windows media player sur votre bureau et une enceinte

 

 

  

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Cliché revue "La Renaissance de l'Art Français" (1921)

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Les ateliers Rémon (cf nos articles précédents sur le Catovien Georges Rémon) lui donnèrent le ton d’une magnificence passée à travers la réalisation d’une pièce commune, emblème de l’art de vivre à la française.

S’asseoir dans la grande salle à manger du « Paris » comme dans le fauteuil d’un palace 1900, contempler l’avenir, saluer l’Amérique, fouler le sol d’une nation conquérante tout en quittant le patrimoine rassurant et envié de la présence française, devint le programme attitré de milliers de voyageurs des deux continents. 

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Des vues de la grande salle à manger des premières classes réalisée par les ateliers Rémon. 

 

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Voici ce qu'écrivit  le journaliste Paul-Sentenac dans "La Renaissance de l'Art Français" en 1921 :

"La salle à manger des premières classes rivalise avec le grand salon pour la richesse de la conception Rémon et fils. Avec ses deux étages, avec le vitrage ouvragé de son plafond, avec la peinture d'Albert Besnard qui se place un peu à la manière d'un rideau de scène, cette pièce se présente presque comme une salle de théâtre. Ceci n'est-il pas très parisien pour un bateau qui a reçu le nom de "Paris" ?

Sur les panneaux, en clair citronnier de Ceylan, alternent en marqueteries, les souples retombées du léger houblon, de la vigne aux grappes plus lourdes, des feuillages du prunier aux fines feuilles, aux prunes violettes, ou du figuier aux larges feuilles.

Enfin, les rampes des escaliers, les balcons des galeries, les encadrements des fenêtres aux rosaces de pignes constituent de patients travaux de ferronnerie.

La sûreté et l'habileté du ferronnier Robert s'allient à l'élégance de ses arabesques. L'artiste a utilisé ingénieusement le sujet d'une fable de La Fontaine, "Le Renard et la Cigogne", pour la rampe centrale de l'escalier. Les sièges de cette salle à manger avec leurs formes amples, leurs tons éclaircis, avec l'entrelassure de leurs fonds, se montrent d'une accueillante modernité".

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L'expert français en grands paquebots, Louis-René Vian, ancien élève de l'école Camondo, écrivit au sujet du réaménagement intèrieur du "Paris" en 1929 :

"le salon de thé de 1929 comportait une innovation remarquable : la première piste de danse en dalles de verre lumineuses installée à bord d'un paquebot. Les ridicules colonnes cédaient la place à de robustes piliers cylindriques en laque noire moirée, que venaient égayer les tentures cyclamen. Les parois furent habillées de dessins des monuments de Paris traités dans des camaïeux doux et discrets".

 

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Le fumoir des premières classes - les colonnes étaient en marbre jaune et vert à médaillons, les sièges en cuir rouge. Architectes : Raguenet et Maillard, ferronnerie : Raymond Subes.

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La descente des premières classes du "Paris". 

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Le salon mixte du "Paris".

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Une cabine de luxe par Tardif - peinture décorative de Henri Lebasque pour le petit salon de luxe - piano avec marqueterie de nâcre.

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Le salon de conversation des premières classes du "Paris".

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La grande descente du "Paris" était surmontée d'une coupole. L'ensemble était conçu par Bouwens de Boijen et le maître ferronnier Edgar Brandt.

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L'incendie du "Paris" au Havre le 18 avril 1939, résultat d'un attentat supposé par les nombreux feux qui partirent du bateau et qui coûta la vie à l'officier de sécurité du bord, le capitaine Sourdille.  

 

Sources :

"La Renaissance de l'Art Français" - 1921  par Paul-Sentenac

"Arts Décoratifs à bord des Paquebots Français 1880 - 1960" - 1992 - éditions Fonmare par Louis-René Vian

Archives Ouest-France

 

 

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Pour en savoir plus, le bulletin historique de l'association 2010 (62 pages), en vente au prix de 15 euros pour les non-adhérents.Pour tout renseignement : piarri@orange.fr
 

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Locomotive SNCF 241 P compound fabriquée aux usines Schneider du Creusot de 1948 à 1952, emblème de l'association.

 

 

 

 

 

 

 

21/08/2014

LE CABINET DE TRAVAIL ET LE BUREAU PAR GEORGES REMON

 

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Bureau d'un administrateur - maison DIM, meubles en palissandre, frise de couleur crème, fauteuil en cuir rouge

 

Le catovien Georges Rémon (1889-1963) est l'homme le plus prolixe de ce blog. Décorateur du début du siècle à la deuxième guerre mondiale, il anima la rubrique des Arts Décoratifs, soit par ses entreprises notamment sur les grands paquebots, soit par ses nombreux articles sur la production et la création dans les arts décoratifs. 

Le temps s'y prêtait merveilleusement puisque quelques années après la victoire de 1918, la France s'offrit le prestige de l'Exposition Internationale des Arts Décoratifs de Paris de 1925, marquant par là-même qu'une victoire militaire dans un pays exsangue pouvait précéder sa formidable renaissance, et même sa révolution, dans les arts. 

Nous nous permettons ainsi d'évoquer un article de sa main édité dans la revue "L'Art Vivant" du 1er juin 1925 consacré au cabinet de travail qui nous a paru très évocateur de son époque: 

"L’homme d’affaires est un homme pressé. C’est surtout un homme précis. Son cabinet de travail et de réception  doit donner une impression d’ordre, de méthode, de netteté.

Il serait trop aisé de décrire tour à tour, afin de les mieux opposer, un bureau d’homme d’affaires  du bon vieux temps, comme un Balzac, ou un Dickens se seraient plu à en détailler le troublant fouillis et celui qui convient à un administrateur imbu des sobres pratiques à l’américaine.

Point de dossiers  et de liasses en désordre, de paperasse à la traîne, point de ces lamentables cartons verts que nos administrations publiques seront bientôt seules à vouloir tolérer.

 
Dans une pièce où l’air et la lumière circulent librement, les meubles devront être nets, et les moins heureux ne seront sans doute pas ces classeurs ingénieusement disposés et répartis, en chêne transparent vernis, ou encore ces bureaux admirablement agencés , répondant de façon parfaite à leur destination même, et dont la conception suit, peut-on dire, des données d’une rigueur toute scientifique.

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Bibliothèque maison DIM en acajou satiné ciré

 

Mais parce que les solutions à adopter sont des plus rigoureuses, la recherche en devait déduire et tenter nos décorateurs amis de la simplicité et que n’effraie pas l’apparent paradoxe de communiquer à une idée empreinte d’une sécheresse toute géométrique, par d’adroits et quasi insensibles correctifs, ce charme tout particulier qui s’attache à tout ce qui satisfait pleinement la raison.

Nous signalions naguère le cabinet de l’administrateur des ateliers DIM comme réalisant d’une manière ensemble ingénieuse et confortable le problème de l’installation de bureau moderne.

 

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Meuble secrétaire en ébène macassar verni, filet d'ivoire - maison DIM

 

En voici maintenant un autre, que nous estimons également très réussi, œuvre de Francis Jourdain. C’est le bureau d’un directeur, réduit à sa plus simple expression et dont l’agrément certain vient, à coup sûr, de quantités de petits détails observés avec une jalouse et méticuleuse attention. Ce sont les bureaux de de forme carrée reposant sur des pieds de boule qui en atténuent la rigidité ; c’est le dessin des sièges, fauteuils et chaises, qui, en dépit de l’inscription murale invitant le visiteur à être bref, n’entendent pas commettre cette impolitesse d’être inconfortables ; c’est encore la présence d’un tapis dont la tonalité discrète réchauffe cependant l’aspect plutôt frigide des parois nues. Et j’aime aussi la forme choisie pour le plafonnier et l’abat-jour de la lampe de bureau. Cet ensemble constitue une heureuse synthèse. Nous en proposerons d’autres exemples dont nous aimons le parti de simplification ordonnée avec goût.

Dans une lettre adressée à la Grande Mademoiselle, Madame de Motteville, contemporaine des Précieuses, écrivait : « je voudrais que dans toutes les petites maisons il y eut des chambres lambrissées de bois tout uni et dont le seul ornement serait la netteté, et que chacun de nous eût un cabinet qui, selon vos ordres, belle Amelinte, fût rempli  de livres ».

Ce n’est pas de la bibliothèque féminine que nous voulons parler mais du bureau que les femmes de jour conçoivent comme un meuble élégant, laissant au Grand Siècle le goût de la pédanterie chez les femmes.

Nos décorateurs ne sont plus à chercher des bureaux et de secrétaires, aimables de lignes et de couleurs, qui prendront place dans le petit salon ou le boudoir de Madame, sans toutefois revêtir un caractère frivole.

Tel celui de Marcel Charpentier, prévu pour un coin de boudoir, pièce finement dessinée, laquée noir avec panneaux en aventurine or.

 

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Bureau des ateliers Marcel Charpentier - meubles en loupe d'orme et noyer ciré, fauteuil en cuir

 

Tel encore le bureau en amaranthe et bois noir, avec marqueterie, de Maurice Dufrene.

Et tel surtout le secrétaire édité par DIM, meuble précieux en ébène macassar verni, avec filets d’ivoire.

Ces meubles attestent que si nos décorateurs savent, s’il le faut, s’astreindre à respecter la rigueur géométrique d’un ensemble, ils n’en ont pas moins, quand il s’agit de décorer de la demeure féminine le souci de montrer tels qu’ils sont, épris d’élégance et de distinction.

Georges Rémon

"L'Art Vivant" - 1er juin 1925

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06/03/2014

LES ARTS DECORATIFS A L'EPOQUE DE L'USINE PATHE (1929)

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Fade de l'usine Pathé-Marconi en 1998 rue Emile Pathé à Chatou 
 
Chatou
 Berceau de l'industrie phonographique française (1898)
Berceau du microsillon en Europe (1951) 
 
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photo ADAGP - J-B.Vialles - répertoire Inventaire Général pour l'Ile-de-France
 
 
 
 
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Extrait du plan de l'usine de 1929 des architectes londoniens Wallis, Gilbert et Partners : la porte d'entrée (à droite) était prévue avec des motifs décoratifs. Les plans sont signés de la Compagnie Française du Gramophone, filiale française de la compagnie anglaise Gramophone, plus connue sous le sigle "La Voix de Son Maître", l'une des trois sociétés phares formant le consortium de production phonographique à Chatou avec Columbia et Pathé, en fait la Compagnie des Machines Parlantes d'Emile Pathé. La réunion de l'ensemble prendra le nom d'Industries Musicales et Electriques (I.M.E.)Pathé-Marconi en 1936. Aprés-guerre, la production phonographique aux usines de Chatou couvrira un trust mondial des marques Pathé, Columbia, La Voix de Son Maître, Swing, Odéon, Cetrasoria, Pathé-Vox, Metro-Goldwyn-Mayer (musiques de films), Capitol, ce dernier fleuron de l'édition phonographique américaine étant racheté par EMI.
 
 
 
 
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 Couverture du catalogue de microsillons 1959
collection Pierre Arrivetz
 
 
 
 
L'association Chatou Notre Ville a mené deux grands combats dans son existence depuis 15 ans : la sauvegarde de la Foire à la Brocante et aux Jambons dans l'Ile de Chatou menacée par un projet public de complexe hôtelier en 1994, combat réussi au terme de 4000 signatures, le combat pour une préservation partielle de l'usine Art Déco Pathé-Marconi de 1999 à 2004, combat, qui, malgré les pétitions les plus prestigieuses, a vu le triomphe, avec le soutien avancé des pouvoirs publics locaux, de la spéculation la plus banale et la table rase du berceau du microsillon qu'était l'usine. Celle-ci avait été construite de 1929 à 1931 sur les plans des architectes Art Déco anglais les plus célèbres, Wallis, Gilbert et Partners. La présente rubrique présente des architectures et aménagements intèrieurs Art Déco contemporains de l'usine Pathé, laquelle aurait pu abriter un certain nombre d'équipements publics de la commune (médiathèque, conservatoire, salle de spectacle et de cinéma ...).
 
 
 
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Dessin de Raymond Gid pour les costumes de l'un des 45 tableaux
de la revue du Casino de Paris "Paris qui brille" de novembre 1931:
"La Folie des Disques" avec Mistinguett,
grande vedette de la Compagnie des Machines Parlantes
 
 
 
 
Rappelons aussi que la société Pathé,   branche cinématographique indépendante d'EMI (cette dernière société avait mis en vente l'usine), avait proposé d'apporter son aide documentaire et matèrielle en suggérant la réalisation d'un musée des industries cinématographiques et musicales dans le cas où les collectivités publiques auraient entrepris une conservation.
 
Voici quelques exemples, disparus ou non , de cette architecture appliquée notamment aux salles de spectacle française et américaine.
  

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La salle cinématographique du Palais de l'Information construit pour l'Exposition Coloniale de Paris de 1931.
 
 
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Une image de l'ancien monde de la IIIème République : le président de la République Paul Doumer traversant le corridor Art Déco du Palais de l'Information de l'Exposition Coloniale de Paris de 1931 aux côtés de son organisateur, le ministre Paul Reynaud.
 
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L'entrée du Palais de l'Information vue de la Porte Dorée.
Le Palais couvrait une superficie de 19.000 mètres carrés.
 
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Le grand hall du bureau de la presse au Palais de l'Information.
 
 
 
L'exemple des théâtres américains des années trente
 
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Une salle de théâtre américaine en 1933 
(une spectatrice presse sur un bouton
pour obtenir le programme)
 
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"Il est à peu près impossible d’énumérer les innombrables détails qui font de ces salles de spectacles des merveilles d’ingéniosité, de confort et de luxe. Quand un européen visite ces théâtres, il est comme Ali Baba pénétrant dans la caverne où se trouvent amassés des trésors . Chaque partie a été étudiée avec tant de soin et décorée avec tant de raffinement que l’on éprouve une sorte d’ivresse non pas tant à cause de la perfection que de la richesse de l’ensemble. Il ne faudrait cependant pas croire que ce luxe soit tapageur. Le style moderne, qui aime la simplicité, a permis aux architectes et aux décorateurs d’éviter certaines fautes qu’avaient commises les entrepreneurs de certains cinémas, « les plus grands du monde », qui étaient comparables à des châteaux forts transformés en salles des ventes. (…) Tout est donc combiné pour que le spectateur ne subisse aucune contrariété et qu’il ait une joie complète. Et, de fait, dés qu’il est entré dans un de ces nouveaux théâtres, l’homme de la rue est baigné dans une atmosphère miraculeuse. (…)
 

Après avoir visité ces théâtres, j’ai cherché une faute, une erreur de goût , un détail à critiquer, et je dois dire que l’éblouissement  que m’imposaient tout ce luxe et cet incroyable confort, ne m’a pas permis de garder tout mon sens critique (…) Ph.S

 

"Le Miroir du Monde" - 10 juin 1933

 

 

 

 

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Le Grand Rex, créé par Jacques Haïk et inauguré le 8 décembre 1932, contemporain de l'usine Pathé. Conçu pour 3300 places par l'architecte Auguste Bluysen et l'ingénieur Emerson, il demeure l'un des rares cinémas Art Déco français ayant gardé une authenticité. Il est le pionnier des salles dites "atmosphériques" dont la décoration prévoyait un ciel étoilé. La salle fut pourvue d'un décor paysagé dans le style Art Déco méditerranéen des villas de la Côte d'Azur. Son escalier mécanique, premier du genre en France, fut inauguré en 1957 par Gary Cooper et Mylène Demongeot.
 

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Le "Rex" à son inauguration en 1932
 

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La première grande salle de cinéma des Champs-Elysées : le "Marignan-Pathé" réalisé en 1933 à l'angle de la rue Marignan et de l'avenue des Champs-Elysées comportant 1800 places (833 à l'orchestre, 320 en mezzanine et le reste au balcon). Oeuvre de la Société Foncière des Champs-Elysées avec le concours de la Société "Constructions Edmond Coignet", des Etablissements Rontaix et de Monsieur Bruyneel, architecte décorateur. Les plans de l'immeuble ont été dressés par Monsieur Arfvidson, architecte du Gouvernement.

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La salle de cinéma d'une façade de 33 mètres et ci-dessous, un aspect du hall

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"Le Génie Civil" - 17 juin 1933 

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Le cinéma Paramount (plus tard appelé "Paramount Opéra") inauguré le 24 novembre 1927 à l'angle du boulevard des Capucines et de la Chaussée d'Antin dans le bâtiment du théâtre du Vaudeville construit en 1869. Il comportait une salle de prés de 2000 places et demeura la propriété de Paramount jusqu'en 2007, date à laquelle Gaumont reprit les lieux. Le réaménagement intèrieur de 1927 fut assuré par les architectes Bluysen et Verity. Quelques aspects de cette reconversion figurent ci-dessous.

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 "Le Génie Civil" - 24 mars 1928

 
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Le théâtre du paquebot Normandie (1935)
 
 
 
 
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Ci-dessus, le grand salon du paquebot Normandie par le cabinet d'architectes Bouwens de Boijen avec les peintures de Dupas, les laques de Dunand, les verres gravés du maître-verrier Champigneulle.
 
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A bord du paquebot Normandie, la porte en laque signée Dunand
entre le grand salon et le fumoir.
 
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Salle à manger Art Deco du paquebot Normandie
 
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Grand hall du paquebot Normandie
 
 
 
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Crédit L'Illustration tous droits réservés - www.lillustration.com
 
 
Le 30 juin 1933, l'imprimerie du grand journal l'Illustration fut inaugurée à Bobigny, oeuvre de Messieurs Lefébure, dessinateur, et Hischmann, ingénieur. La porte d'entrée du hall ci-dessus était de Raymond Subes. Ci-dessous le grand hall Art Deco. Tout concourait à en faire un chef d'oeuvre de l'art industriel français. Le bâtiment, en béton armé comme l'était l'usine Pathé, a été préservé par les pouvoirs publics et est en cours de restauration bien qu'il n'ait jamais eu l'importance de l'usine Pathé de Chatou dans la culture du XXème siècle. Sa nouvelle vie est celle d'un équipement public universitaire.
 
  
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Crédit L'Illustration tous droits réservés - www.lillustration.com
 
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Crédit L'Illustration tous droits réservés - www.lillustration.com
 
 
Source : "L'Illustration" - 1er juillet 1933
 
 
 
A l'Exposition Universelle de Paris de 1937,
le pavillon Photo Cine Phono 
 
 
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Sur les Champs-Elysées, la "Maison de France"
 
 
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« Maçons, charpentiers en fer, menuisiers, marbriers, décorateurs, électriciens, tous les représentants des corporations du bâtiment se succédèrent et, animés par M.M. Louis Boileau et Charles Besnard, architectes, des mois durant, jour et nuit, travaillèrent jusqu’à ce qu’ils eussent érigés vers le ciel un immense palais, paré de marbre percé de larges verrières, et dont le gros œuvre fut terminé en octobre 1931 (…) ».

 

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L'un des vitraux du bâtiment illustrant les sports
 
 
 
 
 
De Paul Vallat, président de l’Office National du Tourisme :

 

« Dans ce vaste hall, sont groupés tous les services utiles au public. Ce bureau fournit à chacun une riche, une abondante documentation. Celui-ci est commun à tous les chemins de fer français. Ces deux autres appartiennent respectivement aux compagnies de navigation maritime aérienne. Ici, le Touring-Club et l’Automobile-Club délivrent les tryptiques nécessaires pour les passagers en douane. Là , le Crédit National Hôtelier pratique le change et l’établissement des chèques de voyage ; plus loin, un service spécial, relié directement à la Préfecture de police, délivre le passeports.

 

Il y aura même dans quelques jours, dans nos murs un studio, où l’on pourra se faire établir toutes photographies destinées aux cartes d’identité. Cette simple énumération  ne vous montre-t-elle point quelle économie de temps, d’urgence et de force nerveuse réalisera le touriste à la veille d’accomplir un voyage ? » (…)

 

« Voici une salle de correspondance, un bureau de tabac, un bureau de location pour tous les théâtres, concerts, music-halls de Paris ; une autre où les journalistes seront chez eux, pourront téléphoner, travailler se réunir. Deux étages de sous-sols, d’un style aussi moderne, aussi pratique que celui de ce hall, reliés avec lui par un ascenseur double, sont destinés à des expositions temporaires : couture, mode, joaillerie, bijouterie, etc…(…)

 

Dans nos sous-sols seront également installés un cinéma et des dioramas montrant la prodigieuse richesse de notre pays au point de vue touristique et thermal. Au-dessus du rez-de-chaussée, deux autres étages seront réservés à un salon permanent des industries d’art et à une exposition permanente des manufactures nationales des Gobelins, de Sèvres, de Beauvais, de la Monnaie, de la calcographie du Louvre. »

 

"Le Miroir du Monde" - 20 février 1932

 

29/11/2012

RAYMOND SUBES PAR GEORGES REMON OU L'AGE D'OR DE LA FERRONNERIE

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Cage d'escalier par Patouillard-Demorianne, architecte, et rampe par Raymond Subes, ferronnier 

 

La ferronnerie connut une sorte d'âge d'or dans l'entre-deux-guerres. Le mouvement des Arts Déco imprimé par la France lui apporta une place particulière dans le monde de l'art. Le décorateur Catovien Georges Rémon (1889-1963), qui en fit la promotion notamment à travers son propre dessin sur le paquebot "Paris", revient ici dans son rôle d'observateur de l'art contemporain dans un article de 1926 consacré à Raymond Subes (1893-1970), l'un des plus illustres ferronniers français, employé dans l'entreprise de ferronnerie d'art d'Emile Robert et Ernest Borderel. Raymond Subes devait plus tard être attaché à la décoration des paquebots "L'Atlantique" (1933) et "Normandie" (1935), temples de l'Art Déco sur les océans :

"Il est hors de conteste que nos modestes ferronniers ont su admirablement traiter tous les problèmes que leur proposaient nos architectes et nos décorateurs et que les meilleurs d’entre eux ont atteint par la vigueur et la grâce de l’exécution, par le sentiment des belles ordonnances architecturales, une maîtrise qui ne nous interdit pas de les comparer aux plus grands artisans du passé.

On sait quelle part revient à un Emile Robert dans ce renouveau d’une technique et non d’un art. Comment ne pas associer à ce nom vénéré celui d’un créateur tel que Raymond Subes, l’un de ceux qui ont à coup sûr le mieux compris, le mieux interprété, avec des dons tout personnels, la robuste et noble leçon du maître.

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Cage d'escalier par Bruno Pélissier, architecte, et rampe par Raymond Subes, ferronnier

 

Nulle pièce sortie de ses mains, qu’il s’agisse d’une grille, d’un balcon, d’un départ et d’une rampe d’escalier, d’un lampadaire, d’un cache-radiateur, qui n’accuse le plus vif souci de simplification, de clarté, de netteté en même temps qu’un sens très averti de la composition ornementale, à la fois très sobre et très raffinée, stylisée avec une délicatesse et une virtuosité hors de pair.

 

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Escalier et terrasse par Hennequet frères, architectes, et balustrade par Raymond Subes, ferronnier

 

Faut-il évoquer ici combien fut importante la participation de Raymond Subes à l’Exposition de 1925 , tant à la classe du métal que dans quelques-uns des pavillons et ensembles les plus remarqués.

Rappelez-vous les ferronneries du pavillon Corcellet, à la douce patine bleutée, exécutées sur les plans de l’architecte P. Marrast, ou encore la porte du pavillon de la Société des Architectes, sur les plans de Tournon, rappelez-vous l’étonnante variété de ces lustres, lampes, appliques, consoles, miroirs, incomparables par le fini du détail et par l’esprit synthétique.

 

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Table, par Raymond Subes, ferronnier

 

Partout l’excellente remarque de mon ami G. Denoinville notant chez Subes l’heureuse subordination de l’effet décoratif à l’ensemble architectural. Ses œuvres, ajoutait-il, y gagnent ainsi en clarté et en vérité. »

En clarté, parce qu’il arrive, avec des moyens de composition qui lui sont très personnels, à tirer un parti excessivement ingénieux, ce qui emprunte de moins en moins aux éléments florifères des assemblages, des barres de fer, sans avoir recours à l’imitation, en leur infligeant  toutes les courbures possibles et en procédant par grandes lignes constructives qui dérivent le plus souvent de formules géométriques.  

Aussi bien ne soyons pas surpris si Raymond Subes est le collaborateur intime d’architectes aussi réputés que M.M. Perret, Tournon, Marrast, Haubold, Droz, Paquet, Expert, Hulot, Roux-Spitz, Lelièvre.

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Escalier par Granet, architecte, et Subes, ferronnier

 

Nous reproduisons ici quelques pièces récentes du maître ferronnier, en particulier plusieurs très belles rampes d’escalier, exécutées en collaboration avec M.M. Patouillard-Demorianne, Bruno Pélissier, Granet et Hennequet Frères.

Et ce sont encore une remarquable grille de porte avec imposte, à motifs fleuris, ou la grille de fenêtre à motifs filiformes. Subes exposait aux artistes décorateurs console, grilles et lampadaires présentés avec une aimable fantaisie, en même temps que de chatoyantes étoffes de Bianchini dont la souplesse et la grâce se mariaient avec bonheur à la rigidité et à la pureté des lignes du métal martelé.

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Porte par Lelièvre, architecte et Subes, ferronnier

 

Ce stand, l’un des meilleurs du salon, attestait les plus fines nuances du goût avec lequel Subes sait exalter dans l’esprit même de la matière qu’il façonne, la précision de son sentiment décoratif.

Nous retrouvons toutes les caractéristiques de son beau talent dans la table en fer avec piédestal et plateau de marbre que nous reproduisons, et surtout dans les ouvrages d’un style si pur, si dépouillé, où bannissant l’ornement floral, le maître ferronnier se meut dans les simples arabesques, les entrelacs, les réseaux et les moulurations rectilignes.

Voyez notamment à quelle sobriété de moyens et tout à la fois à quelles harmonieuses proportions est due la beauté grave et ferme d’une grille comme celle qui a été exécutée avec la collaboration de l’architecte Dureuil ou celle dont le décorateur Perret a fourni le modèle, comme celle, enfin, plus nourrie, plus pleine où se reconnaît la griffe de l’excellent architecte P. Marrast.

 

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Cache-radiateur par Raymond Subes

 

Il me semble que, dans ces créations, Raymond Subes affirme avec un bonheur singulier la mâle sûreté de son goût de plus en plus épris de simplicité, de calme et de perfection.

Georges Rémon 

Jardins et Cottage - juillet 1926

 

 

 

 

29/06/2012

UN DECORATEUR CATOVIEN DANS LES EXPOSITIONS UNIVERSELLES : HENRY PENON

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Une image nocturne de l'Exposition Universelle de 1867 : "le promenoir", aux abords des cafés et lieux de restauration.

 

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A l'Exposition Universelle de Paris de 1867, le pavillon de l'Isthme de Suez abritant d'importantes maquettes et tableaux des travaux entrepris. 

 

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Le café russe à l'Exposition Universelle de Paris de 1867 

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Les ascenseurs exposés par Monsieur Léon Edoux à l'Exposition Universelle de Paris de 1867

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Un atelier de gravure sur verre à l'Exposition Universelle de Paris de 1867

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A la demande de Napoléon III, la classe 94 était l'exposition réservée aux créations des ouvriers eux-mêmes représentés par 320 exposants. L'Empereur y récolta des applaudissements aprés y avoir fait une visite le 21 octobre 1867 au cours de laquelle il acheta divers objets et déclara : "c'est mon devoir de travailler au bonheur public et particulièrement à celui des classes ouvrières qui montrent tant de zèle, d'intelligence et de patriotisme." La gravure le représente avec Monsieur Sajour, président du comité d'admission de la classe 94.

 

 

Alors que des dizaines de millions de visiteurs s’y ruaient pour observer les œuvres de milliers d’exposants, les expositions universelles de Paris de 1867 et 1878 vinrent rappeler au monde que dans l’industrie des Beaux-Arts, la France entendait garder son rang.

Un Catovien s’y distingua : Henry Penon, décorateur-tapissier, né en 1831, dont les ateliers furent situés à leurs débuts 10 rue du Faubourg Saint-Honoré et rejoignirent vingt ans plus tard la rue La Boëtie.

Les expositions universelles avaient le don pour consacrer non seulement la richesse technique et artistique d’un pays  mais encore le talent de jeunes entrepreneurs. Sous le Second Empire, Henry Penon, tapissier-décorateur, fut de ceux-là.  L’un des pavillons de l’Exposition Universelle de 1867, « Le Repos de l’Impératrice », lui dut sa célébrité. Voici ce qu'écrivit Edmond About dans  «  L’album de l'Exposition Universelle de 1867 illustrée » : 

" J'ai gardé pour la fin la perle de cette Exposition. Ce petit pavillon, si simple et si modeste en apparence, est une œuvre aussi capitale dans son genre que la serre de M. Dormois…(...) C'est M. Henry Penon qui a conçu, esquissé, dessiné, fait exécuter cet ensemble et tous ces détails. L'exécution appartient par moitié à son associé, qui est son frère. Ces jeunes gens ont sous la main toute une école de peintres décorateurs dont l'aîné est à peine âgé de vingt-cinq ans.  

M. Henry Penon a-t-il, comme il le croit, inventé un nouveau style de décoration ? je n'ose me prononcer là-dessus. Il doit beaucoup aux artistes du temps de Louis XVI, quoiqu'il se fasse un point d'honneur de ne rien leur emprunter. Ce qui lui appartient incontestablement, c'est le sentiment du beau, la rage de bien faire, et un certain mépris des obstacles qui a produit dans le courant de cet hiver un résultat vraiment curieux. Je vous ai dit que les principaux sujets de sa décoration intérieure sont peints sur satin dégradé. Mais les teintes dégradées ne s’obtenaient jusqu’ici que par le tissage ou l’impression ; belles par le tissage, médiocres par l’impression lorsqu’elle les donne.

Ils ont fait, font et feront des élèves. L'art si français et si parisien de la tapisserie devra beaucoup à leur initiative et à leur exemple.  Ils ne sont pas riches, ils commencent, et les voilà qui fournissent une quote-part exorbitante dans un travail collectif qui doit durer six mois et coûte 200.000 francs pour le moins." 

 

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Panorama du "Jardin Réservé " à l'Exposition Universelle de Paris au Champ de Mars en 1867 avec à sa gauche le pavillon octogonal d'Henry Penon dédié à l'impératrice Eugénie

 

 

Dans son ouvrage « L’Art Industriel à l’Exposition Universelle de 1867 », Auguste Luchet décerna ce commentaire :

« M. Henry Penon, de la maison Penon Frères, est un tapissier illustre. Et, comme on vient de le voir, nous ne sommes pas enthousiaste des tapissiers, lesquels, en fait d’art, empruntent beaucoup plus qu’ils ne prêtent. Mais celui-ci fait exception.

Celui-ci est sérieusement un homme de génie dans son genre. L’auteur du pavillon de l’Impératrice, songeant à employer le terrain qu’on lui concédait, entreprit de créer  un kiosque dans un parc. Ce n’est pas qu’il y en eût déjà, Dieu merci ; mais personne, que nous sachions, n’avait, fût-il même architecte à ruban, distingué ces habitations mignonnes des lois d’ensemble et d’intérieur  qui régissent les pièces banales de la grande habitation.(…)

Le sujet : Le Matin, un poème.  Et, pour chanter ce poème  dans la pièce octogone, quatre panneaux principaux, accompagnés chacun de deux panneaux latéraux. Les quatre autres faces percées à jour par de hautes fenêtres. Nature et lumière, éther et parfums. » Alors que des boiseries en sycomore furent choisies par le décorateur, il y sculpta des motifs de houx et d’aubépine, de rose sauvage et de muguet, de feuillages de peuplier, de platane, d’orme et de chêne.

Des panneaux en soie teints  en tons dégradés, « depuis celui de satin bleu d’argent à celui d’azur un peu plus obscurci, afin de reproduire le ciel », figuraient « la  blonde Psyché » qu’Eros  éveillait en secouant un bouquet sur son front tandis qu’au fond du tableau, des enfants joyeux dansent en rond."

Le 1er juillet 1867, pendant l'Exposition, Henry Penon reçut une Médaille d'Or parmi quatorze exposants distingués de l'Europe entière.

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Ci-dessus, une gravure représentant la  ruée  vers l'Exposition Universelle de Paris de 1878.

 

En 1878, la France de Mac-Mahon brava son isolement international par une nouvelle exposition universelle. Celle-ci offrit notamment l’avantage de réduire les opinions desséchées de tous ceux, qui en Europe, se faisaient fort de convoyer sans fin le char funèbre de la guerre Franco-Prussienne.

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L'inauguration de l'Exposition Universelle de Paris le 1er mai 1878 autour du Palais du Trocadéro nouvellement construit.

 

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Vue générale de l'Exposition de 1878 au Champ de Mars.

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La maison égyptienne, un jour de conférence de Ferdinand de Lesseps à l'Exposition Universelle de 1878.

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Mobilier de la Société des Marbres et Onyx d'Algérie à l'Exposition de 1878

 

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 Lanterne en fer forgé de M.Bodart à l'Exposition Universelle de Paris de 1878, élégante et discrète...

 

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Fontaine Renaissance, par la maison Christofle, à l'Exposition Universelle de Paris de 1878.

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Le marteau pilon à vapeur du Creusot et en fond, le Pavillon du Creusot à l'Exposition Universelle de Paris de 1878.

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L’œuvre des décorateurs à l’Exposition Universelle de Paris fut rapportée par le Rapport du Jury International édité par le Ministère de l’Agriculture et du Commerce :

« si nous pouvions convier les visiteurs de notre exposition à une incursion dans le Paris moderne (un hommage à l’œuvre si conséquente de Napoléon III et du baron Haussmann ), c’est là seulement qu’ils pourraient se rendre compte du véritable rôle du tapissier décorateur et de l’importance du concours qu’il a pu prêter à l’architecte pour créer ces habitations, dont un grand nombre  sont des types achevés de haut goût et de véritable élégance.

 

Ce sont ces maisons d’élite qui ont été, avec les écoles d’architecture et les écoles d’apprentis, le plus précieux soutien de l’industrie du tapissier décorateur, et qui l’ont aidé à maintenir la réputation que la France s’est faite dans cet art. Il ne faut pas non plus oublier l’heureuse influence de la Société pour la Propagation des Livres d’Art, qui ne saurait être trop encouragée.

 

Paris est donc toujours resté le grand centre de l’industrie du tapissier décorateur, et, sur un mouvement d’affaires annuelles de 100 millions pour toute la France, Paris peut revendiquer à lui seul 70 millions.

 

(…) Il faut bien que nous disions que les objets figurant à une exposition de tapissiers décorateurs sont sacrifiés d’avance ; et le sacrifice à faire est considérable, puisque la somme dépensée par les vingt exposants de la France s’est élevée à prés d’un million de francs.

 

Mais, pour peu nombreuses qu’elles aient été, les maisons qui ont exposé n’en ont pas moins représenté brillamment l’industrie parisienne du tapissier décorateur. » Et le rapporteur de citer Fourdinois en premier lieu et en second, « la maison Penon, dont l’exposition a eu la bonne fortune d’attirer et de captiver la foule.

 

Nous sommes ici en présence d’un véritable ensemble décoratif : au point de vue du coloriste, il est difficile d’éprouver une satisfaction plus complète. Le choix des étoffes, leurs nuances rompues, la manière dont elles sont drapées, la richesse des passementeries, tout est bien œuvre du décorateur.

 

M. Penon a aussi exposé des panneaux en broderies, qui sont d’une grande beauté et d’un grand effet décoratif. L’un de ces panneaux est un mélange de tapisserie de basse lice et de broderies d’application. Le relief est puissant et la coloration est vraiment belle. Ces trois panneaux exposés, représentant l’un une figure, l’autre une fête champêtre et le troisième un paysage, trouveraient leur digne place dans un musée des travaux à l’aiguille. »

 

Henry Penon quitta l’exposition universelle de Paris de 1878 avec la Légion d'Honneur au grade de Chevalier dans les classes 17 à 29 du mobilier, la seule qui fut remise à un tapissier.

 

L’un de ses mérites, écrivit-on, fut également d’avoir mis à la mode la peluche.

 

A Chatou, Henry Penon quitta la rue de la Procession pour emménager  rue de Sahüne où il se rendit acquéreur de la villa "le Cèdre" en 1884.

 

Domicilié également à Paris 95 avenue Victor Hugo, il séjourna au « Cèdre » jusqu’à sa mort en 1907.

 

La villa (ci-dessous) avait été déclarée au cadastre en 1866. Couvrant les lieux-dits "les Justices" et "les Gargouilles", son immense domaine fut morcelé en 1891 par le décorateur lui-même, ce qui donna lieu à l’ouverture de la voie qui porte son nom à Chatou par une décision unanime du conseil municipal du 9 septembre 1892 sur proposition de Maurice Berteaux. A la demande d'Henry Penon, celle-ci prit le titre d'avenue et non de rue. Quant à la seconde voie ouverte dans le prolongement de la rue Sous-Bois, le conseil lui attribua le nom de François Laubeuf, en l'honneur du maire héroïque de Chatou lors du siège de 1870. 

 

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En 1882, c’est en qualité d’artiste « sorti du rang » qu’Henry Penon observa l’exposition rétrospective de l’Union Centrale des Arts Décoratifs. Point de participation mais un jugement sévère de ses pairs à travers une critique sans ambages du mobilier en vigueur exprimée dans son ouvrage « Etude du Mobilier ». Il fut également un membre actif de la Société des Arts Appliqués à l’Industrie.

 

 

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Modéle de papier peint de la collection des ateliers Penon - bibliothèque Forney

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Projet de décoration intèrieure par les ateliers Penon - bibliothèque Forney

 

Quelques années plus tard, il fit don d’ouvrages de projets de ses ateliers, dont la liste a été conservée à la Bibliothèque du Musée de l'Union Centrale des Arts Décoratifs (ci-dessous, modèle de papier peint). Ceux-ci renferment plus de 2000 dessins ainsi que vint en témoigner pour l’association en l'an 2000 Madame Odile Nouvel, conservateur du département du XIXème siècle du Musée des Arts Décoratifs et spécialiste du mobilier Napoléon III-1880.

 

Les 14 et 15 mai 1891, Henry Penon dispersa une partie de son mobilier aux enchères à Drouot. Son inventaire ne laisse pas indifférent : tableaux de l’école française du XVIIIème siècle, des écoles flamandes et hollandaises parmi lesquels des tableaux de Boucher, Breughel, Chardin, des aquarelles de Fragonard et Géricault, dessins de Girodet et d’Hubert-Robert, pastels de Van Loo et Watteau, sculptures et bronzes du XVIIIème siècles. Retenons pour la postérité ce cliché d’un canapé de Madame de Pompadour :

 

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Henry Penon maria sa fille Henriette au général Joffre, alors directeur du Génie au Ministère de la Guerre, en 1905, faisant rentrer, sans le savoir, sa famille au coeur de la plus grande conflagration que le monde ait connue.

 

 

 

Sources :

Madame Odile Nouvel-Kammerer, conservateur - Musée de l'Union Centrale des Arts Décoratifs, spécialiste du mobilier Napoléon III - 1880, auteur de "L'aigle Et Le Papillon - Symboles Des Pouvoirs Sous Napoléon 1800-1815" (2007 -Les Arts Décoratifs), "Papiers peints panoramiques" (2001 -Flammarion), "Le style Second Empire" (1999 - Flammarion)

Archives départementales des Yvelines : "La Liberté de Seine-et-Oise", 23 août 1907

Archives municipales de Chatou : recensements de population

"L'Album de l'Exposition Universelle de 1867 Illustrée"

"L'Art Industriel à l'Exposition Universelle de 1867"

Exposition  Universelle de 1867 - "Les Arts dans l'Industrie - Rapport du Jury International"

"Les Merveilles de l'Exposition de 1878"

Bibliothèque Forney

Service Historique de la Défense

L'auteur remercie Madame Strugo, propriétaire de la villa d'Henry Penon à Chatou, qui lui a permis de prendre la photo qui illustre cet article en 2005. 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

16/04/2012

1912 : IL Y A CENT ANS, LE NAUFRAGE DU "TITANIC" CEDAIT LA PLACE AU LANCEMENT DU "FRANCE"

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Gravure du supplément du Petit Journal -28 avril 1912

 

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La prière sur les lieux du naufrage du "Titanic" à bord du "Mackay-Bennet" affrété la White Star Line. L'expédition permit de repêcher une centaine de nouveaux cadavres. Gravure du supplément du Petit Journal - 5 mai 1912  

 

 

L'année 1912 sonna comme le glas de la Belle Epoque. En dépit des affaires européennes où un semblant de détente paraissait annoncer un avenir sans nuage, le monde n'eut d'yeux que pour la catastrophe maritime qui emporta le 15 avril 1912 le gratin du monde des affaires, ou plutôt des milliers de pauvres gens sous les sentences présomptueuses des promoteurs du plus grand navire de son temps, le "Titanic" de la White Star Line. L'aventure humaine n'apparaissait plus sans danger ni sans limite.  

Cinq jours après le naufrage, la Compagnie Générale Transatlantique, encore sous capitaux entièrement privés,  avait entendu répliquer dans un domaine accaparé par le monde anglo-saxon par une audace :  le lancement du paquebot "France" (illustration ci-dessous).

 

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Non un défi par sa taille, modeste pour ses concurrents avec ses 220 mètres en longueur. Mais imposant ses quatre cheminées (de 34 mètres de haut) que l'on ne retrouva sur aucun autre paquebot français, il se situa en première place pour la richesse du décor intèrieur,  alliée aux impérissables ressources de la gastronomie française et à la cordialité du service.

L'identité française n'était plus reléguée, elle était instruite sur les flots et portée par les artistes dont les noms cités aux  salons des Beaux-Arts rencontraient là une évidente célébrité.

Le style dominant, le style "Grand Siècle", valut au navire d'être surnommé le "Versailles des Mers", au gré de la réputation que lui accordait ses 2000 passagers lors de chaque traversée vers l'Amérique. Des décorateurs se surpassèrent pour y installer le confort de la "grandeur française".

 

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Le style "louisquatorzien" égrenait les plus grandes salles du pont des premières classes.  

Le salon mixte de musique décoré par les ateliers Rémon dont le futur Catovien Georges Rémon était l'un des maîtres d'oeuvre, menait à une enfilade de pièces, salon mauresque, café-fumoir, café-terrasse, dont la réalisation fut confiée à ces mêmes ateliers.

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Salon mixte de musique décoré par les ateliers Rémon et fils à bord de "France" 1912

 

Plus vaste encore que le grand salon, ce salon mixte de musique permettait à des passagers assis dans des fauteuils de style Régence placés au milieu de colonnes en marbre rose de deviser sous d'authentiques toiles de maîtres, en l'occurrence des "marines" de Lacroix de Marseille de 1774. L'ensemble était éclairé par une immense verrière.

 

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Quant au salon mauresque créé par Rémon, celui-ci tranchait volontairement avec le style ambiant. Il bénéficia de la présence d'un serveur algérien en habit traditionnel, accentuant l'évasion des passagers. Cet exotisme soudain devait tout à l'existence de l'empire colonial français dont l'Afrique du Nord était le meilleur symbole, lui-même à la source de l'orientalisme qui s'était développé depuis le milieu du XIXème siècle dans la peinture et l'architecture.

L'arrivée de la Grande Guerre deux ans plus tard marqua la transformation du paquebot pour le transport de troupes. La Compagnie Générale Transatlantique paya le prix de la réquisition : 29 de ses navires furent coulés dont deux paquebots, "La Provence" et "Le Carthage", cependant que "France" échappa par le tir de son unique canon à l'attaque d'un sous-marin allemand. 

La mise à la retraite du "France" n'intervint qu'après la mise en chantier du "Normandie" en 1932.

 

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Une image indissociable de la France. En 1924, à bord du "France" 1912, le président du Club des Cent, Louis Forest, remet au chef Jean Leer une médaille et un "diplôme de bonne cuisine".

Entre les deux avec une moustache, John Dal Piaz, président de la Compagnie Générale Transatlantique de 1920 à 1928, qui lança " l'Ile-de-France " en 1927, fut le promoteur d'une grande hôtellerie en Afrique du Nord et du premier billet "train-paquebot-hôtel-auto" (un monument lui fut dédié à Casablanca en 1931 après sa mort).

"L'Illustration" écrivit au sujet des cuisines : "l'espace est si grand que l'on n'arrive pas à démontrer du premier coup d'oeil  l'armée de la bonne chère qui compte 25 cuisiniers, 8 pâtissiers, 8 boulangers, 6 bouchers. Au dessert, le grand chef, un Breton, Monsieur Jean-Yves-Marie Leer, s'avança, presque timide et un peu ému pour recevoir, des mains de Monsieur Forest, la plaquette d'argent qui consacre trente-cinq ans de loyaux services et de cuisine supèrieure à bord de la Transatlantique."

Le menu avait été le suivant : " Cantaloup frappé au Porto et grappe fruit frappé au Xérès, Filets de sole à la Marocaine, Suprême de volaille à la Transatlantique, Asperges sauce Chantilly, Cailles de France à la Montmorency, Salade mimosa, Fromages, Fraises voilées à l'Algérienne, Mignardises, Corbeilles de fruits ". Le reporter précisa : "les Fraises à l'Algérienne sont un perfectionnement heureux des Fraises Melba : à la glace à la vanille sur laquelle reposent les fruits, on ajoute une couche de crème Chantilly "...

 

 

Sources :

"Arts Décoratifs à bord des Paquebots Français 1880 - 1960" - 1992 - éditions Fonmare par Louis-René Vian

"A la page" - 28 avril 1931

 

 

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Pour en savoir plus, le bulletin historique de l'association 2010 (62 pages), en vente au prix de 15 euros pour les non-adhérents.Pour tout renseignement : piarri@orange.fr
 

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Locomotive SNCF 241 P compound fabriquée aux usines Schneider du Creusot de 1948 à 1952, emblème de l'association.

 

27/03/2012

GEORGES REMON ET LA FERRONNERIE D'ART

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La France tenait, dans les Arts Décoratifs, un rang important sinon le premier par la richesse et l’élégance de nombre de réalisations de ses artistes. L’éclosion du mouvement à la suite de l’Exposition Internationale de Paris de 1925 concentra l’attention du Catovien Georges Rémon, lui-même à la tête d’un atelier qu’il fit briller à bord des grands paquebots français, ainsi que nous l’avons indiqué dans plusieurs articles de ce blog.

Directeur de l’Ecole des Arts Appliqués de la Ville de Paris pendant l’entre-deux-guerres, celui-ci fut amené à commenter les oeuvres de ses pairs dans la revue « Jardins et Cottages » par plusieurs analyses que nous avons également produites pour l’information de nos lecteurs. L’extrait ci-dessous de la revue de 1926 consacré au ferronnier Charles Piguet (1887-1942) ajoute un nouvel intérêt aux créations de l’époque :

« N’avons-nous point, l’an passé, au Salon des Artistes Décorateurs, admiré tout particulièrement l’envoi du ferronnier Charles Piguet, une grille pour la porte d’entrée de son atelier ? composée de cinq tenailles à longues tiges, mordant chacune du bec  un sobre motif de volutes, elle exprimait, cette porte, avec une rare et noble simplicité, l’une des pensées les plus chères à tout artisan digne de ce nom, qui ne saurait imaginer plus beau symbole, armes mieux parlantes, que son outil familier ! et nous rappellerons le propos que tenait Monsieur Antoine Vicard le grand ferronnier lyonnais, propos, ajoutait malicieusement notre confrère, qui définit si bien la nature intime de son talent :

« un jour, j’ai remarqué un de mes ouvriers qui rangeait ses outils contre le mur. Cette fois-là, ce geste que tout le monde faisait machinalement chez nous me frappa et je pris soudain conscience de la grandeur du travail quotidien. Ces pinces, sans valeur auparavant à mes yeux, parce qu’elles étaient grossières et noires, je les vis luire comme de l’argent fin sous l’effet de la sueur, à l’endroit où les mains les tiennent. Voilà pourquoi j’ai placé mes outils à l’entrée de ma maison. »

Charles Piguet qui nous est représenté comme l’ouvrier à la poigne robuste, dominant la dure matière qu’il façonne au choc du marteau sur l’enclume résonnante, nous confie dans cet amoureux credo non seulement la passion que lui inspire son métier, mais aussi bien, et sans vaine phraséologie, son goût épuré et raffiné.

Nul ne sait comme lui traiter le fer comme une matière plus précieuse et en tirer, avec une telle économie apparente de l’effort, des lignes plus mesurées et plus gracieuses.

Que d’autres, utilisant l’abrasure à l’autogène, construisent des portes de vastes dimensions et se meuvent de préférence dans le plan du monumental, il semble bien que Charles Piguet, sans cesser jamais de créer des œuvres  aux nettes et solides architectures, s’applique surtout à doter la maison moderne de formes sobres et élégantes, d’une grâce unique et par la qualité de l’invention et par la maîtrise du rendu.

 

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Imposte (partie supèrieure de la porte) en ferronnerie par Charles Piguet

 

Quelle exquise collaboration fit un jour rencontrer dans cet hôtel particulier installé à Lyon, boulevard des Belges, par le maître décorateur Ruhlmann, le plus délicat  ornemaniste de ce temps avec le ferronnier qui nous semble avoir avec lui le plus d’affinités ! voyez de quel art discret et pur Charles Piguet a composé la porte que nous reproduisons, où le décor, d’inspiration florale, est ramené à une charmante stylisation et dont nous aimons particulièrement les motifs rectilignes qu’encadrent l’huis, où quelques billes, en haut et en bas, dessinent une si heureuse amorce de motif. On a plaisir à analyser de telles œuvres dont le simple parti met en relief le moindre détail.

 

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Porte d'entrée en ferronnerie par Charles Piguet pour l'orfèvre Claudius Linossier

 

 

C’est dans un même esprit qu’il convient d’aborder la porte d’entrée de la maison de Claudius Linossier – autre heureuse rencontre ! – à Lyon. Un dessin sobre et ferme, un entrecroisement rectiligne de barreaux d’épaisseurs diverses, un panneau rectangulaire où s’inscrit dans un triangle le monogramme du maître dinandier, entouré d’un gracieux motif de vrilles ; enfin, indiquées d’un trait sommaire et réparties entre les croisillons de la porte, les formes des vases incrustés où Linossier fait chanter la souplesse et la richesse de ses cuivres : tel se présente à nous cet ouvrage dont on goûtera le sens des délicates proportions.

Voici encore une grille pour une grande porte d’entrée, composée pour la maison de Monsieur Coty, à Lyon, construite par l’éminent architecte Pontremoli, membre de l’Institut. Les dimensions en sont plus considérables ; le motif est plus fouillé – rinceaux en vrille et médaillons ornés de bouquets – l’œuvre nous confirme la maîtrise absolue de l’artiste, encore que nous lui préférions, pour leur plus savoureuse simplicité, celles que nous venons d’analyser.

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Porte en ferronnerie par Charles Piguet pour le parfumeur François Coty

 

Les thèmes floraux largement traités  ont inspiré à Piguet des ouvrages de choix.  Citons la grille pour une table de communication (…) Voyez de même ses impostes dont le dessin accuse  la plus harmonieuse fantaisie, et, singulièrement, la rampe d’escalier exécutée pour Les Galeries Lafayettes, à Lyon.

Charles Piguet, a, nous l’avons dit, traité tous les problèmes de la ferronnerie d’intérieur. Il l’a fait avec une rigoureuse  discrétion, au contraire de ceux qui voudraient que la maison moderne fût presque exclusivement conçue en fer.

Sans doute, les applications de cette matière que l’artiste sait alléger ou amenuiser sont multiples, mais c’est une faute de goût que de l’employer à tout propos et souvent hors de propos. Elle prend, au contraire, infiniment plus de charme quand elle n’est utilisée que sobrement, ne risquant ainsi de perdre ni de son propre éclat ni de sa véritable valeur.

Ainsi, en use Charles Piguet. Nous ne trouvons de lui, ni de ces lourdes tables en fer ouvragé, ni de ces cadres de miroirs ou de tableaux, qui sont peut être des tours de force, mais qui paraissent vraiment incompatibles avec la demeure moderne.

Mais il nous offre un ameublement sobrement mesuré : cache-radiateurs, les uns découpés de motifs à jour – fleurs ou fruits – les autres dépourvus de tout ornement comme celui qu’il a composé pour l’intérieur imaginé par Ruhlmann : des tables-consoles, d’une aimable légèreté de lignes ; et surtout, toute une gamme de lustres et d’appliques où la solide armature du métal se marie avec l’éclat diffus du verre moulé ou dépoli.

 

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Cache-radiateurs en ferronnerie par Charles Piguet

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Dans le moindre détail, répétons-le, s’affirme avec une étonnante évidence, le goût des savantes recherches et, en même temps, celui, plus rare, plus subtil, d’une parfaite concentration de moyens.

C’est le propre des artistes qui ont, comme Piguet, étudié longuement la leçon des anciens maîtres, entrepris à leur exemple la conquête de toutes les ressources techniques de leur art, qui se sont ingérés, dans leur variété et dans leur esprit, les formes héritées des plus belles traditions, de savoir découvrir les disciplines qui s’imposent à notre époque, d’en accepter  le délicat rationalisme, sans toutefois aliéner la note personnelle et sensible faute de quoi les créations de l’intelligence ne sont que de pures et froides abstractions.

 

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Lustre en ferronnerie par Charles Piguet

 

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Une applique en ferronnerie par Charles Piguet

 

 

L’art de Piguet reste vivant, souple, vigoureux, et pourtant, s’achemine sans cesse vers une pureté de style, dont chaque nouvelle étape, dont chaque œuvre nouvelle, atteste plus complètement l’admirable caractère et l’impeccabilité.

Georges Rémon »

 

 

 

 

Sources :

 Bibliothèque Nationale de France, département Sciences et Techniques

  Archives Municipales de Chatou

 Bibliothèque Historique de la Ville de Paris

 Archives de la Légion d'Honneur 

 

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Locomotive SNCF 241 P compound fabriquée aux usines Schneider du Creusot de 1948 à 1952, emblème de l'association.

24/09/2011

VOYAGE AVEC GEORGES REMON (1)

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Georges Rémon (1889-1963), architecte décorateur, directeur de l'Ecole des Arts Appliqués à l'Industrie de la Ville de Paris, a vécu à Chatou des années 30 à sa mort en 1963 au 61 avenue Foch. Ayant fait son apprentissage à la croisée des deux siècles chez son père Pierre Henri Rémon, il n'eut cesse de promouvoir la création française dans l'entre-deux-guerres, établissant des chroniques dans les revues spécialisées, cependant que son cabinet du 16 rue d'Artois à Paris connaissait une certaine notoriété dans la décoration des grands paquebots.

 

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11 rue Dupetit-Thouars à Paris, l'Ecole Duperré autrefois l'Ecole des Arts Appliqués à l'Industrie dont Georges Rémon fut l'un des directeurs  

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Dans la revue "Jardins et Cottages", il nous emmène dans un voyage de l'autre côté de la Méditerrannée, là où l'architecture française a su magistralement construire et embellir en harmonie avec la culture du pays. Un hymne à la création française, c'est ce que signifie sans nul doute le titre qu'il donne à l'un de ses articles publié en 1926 : "L'architecture moderne au Maroc, Albert Laprade, architecte":

" L’urbanisme compte en France de savants théoriciens dont le nombre va sans cesse croissant, - mais pour combien de praticiens ?

Sans doute allèguera-t-on la difficulté d’exécuter dans les conditions actuelles, en matière d’aménagement et d’embellissement des villes, de vastes programmes d’ensemble, la rigueur des règlements juridiques ou administratifs, l’insuffisance des ressources budgétaires  et toutes sortes de raisons d’ordre économique ou psychologique.

Il n’en demeure pas moins que là où de grandes entreprises eussent été possibles – et nous songeons aux régions libérées – il s’en faut bien qu’on ait, en haut lieu, compris la nécessité d’imposer des directives générales qui permissent aux architectes d’équiper nos dix départements dévastés d’une manière conforme aux besoins du temps présent et aux besoins du prochain avenir, aisément prévisibles.

Tout autre, et par une rencontre unique, apparaît l’œuvre surgie au Maroc, sous l’égide de la France, grâce à la nette et impérative volonté du maréchal Lyautey, unie à la conception puissamment ordonnée des architectes chargés par lui d’exécuter un dessein de haute envergure.

Les voyageurs français ou étrangers, qui ont eu loisir de considérer le splendide effort accompli en une dizaine d’années à Casablanca ou à Rabat, sont unanimes à célébrer l’impression d’élégance et de fraîcheur, qui se dégage des bâtiments publics ou privés et la merveilleuse concordance régnant entre les neuves cités et leur cadre.

Tous sont frappés de l’excellence du plan et de son unité et se plaisent à rendre hommage à l’intelligence des solutions adoptées pour des agglomérations urbaines vouées à un prompt et considérable développement.

Les remarquables directives qui présidèrent à la construction de Casablanca et Rabat, sont dues à un heureux concours de circonstances. Le maréchal Lyautey fit venir en mai 1914  un homme d’une étonnante sûreté de vues, Henri Prost, architecte du gouvernement, grand prix de Rome, lequel venait dans un grand concours international d’être chargé du plan d’aménagement de la ville d’Anvers, battant les concurrents allemands, qui étaient jusqu’alors les maîtres en matière d’urbanisme.

Et tout de suite le maréchal comprit à quel admirable maître d’œuvre il venait de faire appel. Sans hésitation et sans réticence, il lui confia le soin de mettre  de l’ordre dans le gâchis de ces villes-champignons qui devaient attester d’une manière saisissante la vitalité et la fierté de notre action au Maroc. La tâche était immense.

Henri Prost s’entoura d’une pléiade d’architectes que les hasards de la guerre avaient conduits au Maroc. Son rôle évoque admirablement celui d’un surintendant des bâtiments, sa situation morale équivalait à s’y méprendre à celle d’un Lebrun exerçant par le fait d’un grand prince une haute direction artistique. Et ce fut pour tous ses collaborateurs un honneur et une joie de travailler dans des conditions qui rappelaient si parfaitement les plus belles époques de l’histoire de l’urbanisme en France, celles auxquelles nous devons Versailles, la Place de la Concorde, la Place Stanislas de Nancy.

Dans ce groupement réalisé par Prost dans le service d’architecture et des plans des villes se coudoyaient des architectes comme Albert Laprade, Marrast, auteur du remarquable et original Palais de Justice de Casablanca, Laforgue, frère du poète Jules Laforgue, auteur de ces hôtels des postes de Casablanca et de Rabat, où l’administration métropolitaine peut aller chercher des idées et des modèles et tous apportaient leurs qualités propres.

La besogne au surplus avait été distribuée selon les  aptitudes et les affinités de chacun. A Laprade revint plus spécialement la construction des édifices à l’usage d’habitation et des jardins. Nul choix ne pouvait être plus heureux.

Grièvement blessé à Ypres, il avait été envoyé au Maroc en août 1915 et tout de suite s’était voué avec un enthousiasme égal à sa vive compréhension des formes et des couleurs, à  l’étude de l’architecture et de la décoration autochtones, remplissant ses carnets de route de croquis au trait, notant ici un détail de fontaine, là une arcature historiée, ailleurs un carreau de mosaïque, interprétant avec une fine sensibilité les caractères essentiels de l’architecture locale, si en accord avec des goûts des conceptions raffinées et voluptueuses.

L’œuvre assumée par Laprade dans cette vaste création est elle-même considérable. Il exécuta  successivement à Casablanca l’Hôtel du Commandement Militaire, le parc Lyautey et de nombreux squares, la nouvelle ville indigène qui fut continuée après son départ par son confrère M. Cadet.

A Rabat, il collabora à de nombreux ensembles, en particulier au parc de l’Aguedal, mais son oeuvre la plus importante est sans nul doute, le Palais du Résident Général qu’il dessina entièrement, à l’exception des intérieurs et de la descente à couvert sur la façade Est, réalisés par Laforgue.

La nouvelle résidence générale de France au Maroc, à Rabat, fut commencée en juillet 1918. La propagande allemande, par voie de tracts distribués  aux indigènes, répandait le bruit de notre défaite prochaine et de notre abandon définitif du Maroc. Le maréchal Lyautey riposta par une décision propre à maintenir dans l’Empire chérifien le prestige du nom français. Il fit incontinent poser la première pierre de la villa résidentielle.

Les plans  en furent hâtivement établis : il fallait que les travaux fussent commencés sans délai ! or, la main d’œuvre française était rare. Mais le maréchal estimait à juste titre d’excellente politique de recourir à la main d’œuvre marocaine, d’une habileté réputée.

Les communications avec la métropole étaient difficiles, voire hasardeuses. On ne recevait que parcimonieusement les matèriaux tels que le ciment ou le fer. N’importe. On utiliserait le bois, le moellon, la chaux grasse, en attendant qu’on ait ouvert dans le pays des carrières de pierres dures, en attendant surtout la reprise des transports maritimes, laquelle  se produisit heureusement dés la conclusion de l’armistice.

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Le plan de la résidence générale du Maroc à Rabat par Albert Laprade

 

Se dressant sur une éminence, le Palais de la Résidence domine d’une part le panorama de la ville des deux rives, Rabat-Salé, d’autre part la nécropole mérinide de Chella, entourée de ses remparts rougeâtres et qui, avec ses bastions à créneaux et sa porte admirablement ouvragée, évoque le décor d’une cité de Carcassonne.

Le plan général de la résidence reflète le souci du maréchal de voir réaliser un programme autour d’une claire lisibilité.

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Autour du patio central, ouvert sur le midi, et fermé sur les trois autres côtés se distribuaient, à l’ouest, les bâtiments publics, accueillants, accessibles, où l’expédition des affaires est assurée dans le moindre temps ; au nord, les grands salons de réception au rez-de-chaussée et l’appartement privé du Résident, au premier étage ; enfin, à l’est, l’habitation privée, avec les salles à manger, la domesticité et au-dessus, les chambres d’invités. Ainsi  que l’avait indiqué le maréchal, "pas d’énormes constructions, mais le plus possible de pavillons noyés dans la verdure" .

Joignant à l’art consommé de l’architecte le sens exquis de l’effet pictural, Laprade comprit quel parti il pouvait tirer de la situation exceptionnelle du palais, entouré sur toutes ses faces de magnifiques perspectives.

Au nord, c’est la ville européenne, longue cité-jardin pour laquelle Prost a établi des servitudes de hauteur, qui se prolonge jusqu’à la tour d’Hassane, vestige du plus grand temple islamique du monde, et surplombe l’océan.

Au sud s’étendent en terrasses les jardins d’orangers, limités  par la ligne dorée du rempart almohade construit en 1198 et au-delà duquel l’œil émerveillé aperçoit les ruines aux reflets ocreux de Chella.

Ainsi que pour l’Hôtel du commandement  militaire de Casablanca, Laprade, tout en s’interdisant de reproduire à profusion  les détails archéologiques, a néanmoins conservé, dans l’ensemble, les lignes qui s’imposent dans les pays du soleil, et discrètement transposé les données propres au style andalou-marocain.

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Ainsi les fines colonnettes sobrement décorées qui pourtournent le somptueux patio, ainsi que les ornements et les arabesques dont il a judicieusement agrémenté un chapiteau ou une corniche, ainsi l’accent et la couleur qui se dégagent des carrelages de faïence bleue et verte alternant avec les carreaux de marbre blanc ou des belles tuiles vertes indigènes réparties sur les toitures ou les auvents.

 

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Mais si le rythme essentiel de l’édifice est d’inspiration locale, la formule générale s’affirme moderne : de grands nus sans ornements, de grandes loggias, de grandes baies longitudinales où, dans l’ombre projetée par les saillies en auvent, peuvent se lire de délicates finesses.

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Ainsi fut trouvée la solution d’un difficile problème consistant à établir un style actuel adopté au pays det mariant avec bonheur deux civilisations destinées à s’interpénétrer tout en conservant l’une et l’autre leurs caractères distinctifs. Nulle part pensée plus prestigieuse n’aura été interprétée avec plus de douceur et de charme. Ces nobles architectures ont été enfantées dans la joie, dans un indicible enchantement. La nature elle-même, l’exubérante végétation du Maroc s’est chargée d’ajouter au faste du splendide édifice.

Palmiers, bougainvillers pourpres, géraniums-lierre, volubilis, massifs de roses, groupes d’orangers, offrent de somptueuses tâches de couleurs dont Laprade a su jouer comme d’une palette géante. Son œuvre, toute logique et toute harmonie, unit sans sévérité et avec quel charme à la grâce sensuelle du tempérament mauresque la pureté du génie latin, la fine nuance du goût propre au génie français."

 

Georges Rémon

Jardins et Cottages - 1926 -n°6

 

Sources :

Bibliothèque Nationale de France, département Sciences et Techniques

Archives Municipales de Chatou

Bibliothèque Historique de la Ville de Paris

Archives de la Légion d'Honneur 

 

N.B. :

*Albert Laprade (1883-1978) a conçu notamment les plans du Palais de l'Océanie Porte Dorée en 1931. 

*Les résidents généraux français au Maroc, hôtes du Palais de la Résidence construit par Albert Laprade :

 Général puis Maréchal Lyautey : avril 1912 - octobre 1925

Théodore Steeg: octobre 1925 - janvier 1929

Lucien Saint : janvier 1929 - août 1933

Henri Ponsot : 1933 - mars 1936

Marcel Peyrouton : mars 1936 - septembre 1936

Général Noguès : octobre 1936 - mars 1946

Eirik Labonne : 1946-1947

Général Juin : 1947-1951

Général Guillaume : 1951-1954

Francis Lacoste :1954-1955

Gilbert Grandval : 1955

Général Boyer de Latour : 1955

André Dubois : novembre 1955 - 1956

Source : wikipedia

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

08/08/2011

VOYAGE AVEC GEORGES REMON (3)

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L’Exposition des Arts Décoratifs de Paris de 1925 a refermé ses portes mais, sept ans après la dévastation de la Grande Guerre, elle vient inaugurer  le dernier grand courant d’architecture du XXème siècle porté par la France.

Dans Jardins et Cottages de janvier 1927, le Catovien Georges Rémon affiche sa sévérité à l’égard de ceux qui perpétuent le style de la Belle Epoque. En contre-feu, il présente l’œuvre nouvelle de l’architecte Pierre Patout (1869-1955), un hôtel particulier à Auteuil. Le talent de Pierre Patout, comme celui des ateliers Rémon, sera sollicité par la Compagnie Générale Transatlantique et s’exprimera avec éclat sur ses paquebots « Ile-de-France » (1927) et « Normandie » (1935).

« C’est au cours d’une récente conversation avec Monsieur Pierre Patout, un instant interrompue par le téléphone, que, feuilletant une revue technique, mes yeux se portèrent sur cette déclaration d’un architecte belge d’avant-garde, rapportée par Monsieur Mallet-Stevens :  « C’est la dèche qui nous sauvera. »

Cette pensée pourrait être exprimée plus élégamment. Elle ne nous en invite pas moins à prendre en considération l’une des principales caractéristiques de l’art moderne, avide de trouver dans le plus complet dénuement des moyens, dans le rejet systématique de tout ce qui cherche à séduire et à plaire, le fin du fin, la quintessence, l’absolu métaphysique, la beauté pure (comme Monsieur Paul Valéry ne créé que de la poésie pure !), le transcendant obtenu par l’abstraction.

Est-ce à dire, en d’autres termes, qu’à notre époque et par une sorte de fatalité, il ne soit artiste et surtout architecte qui ne s’entende à traiter un programme moins sévère, moins indigent, moins réticent ? ne possédons-nous donc aucun maître d’œuvre qui, tout en respectant le principe éthique et esthétique de la simplification, devenu notre commune mesure, ne puisse se mouvoir à l’aise dans un domaine privilégié et ne sache, par un singulier paradoxe, concevoir une belle œuvre en même temps que luxueuse, du fait seule qu’elle est authentiquement luxueuse. La richesse constitue-t-elle de nos jours un thème d’inspiration en soi si néfaste, qu’il oblige nos architectes à tomber inéluctablement dans le poncif des beaux projets d’école.

Rien à ce propos n’est plus suggestif qu’une promenade à travers ce quartier de La Muette où les heureux de ce monde, grands seigneurs de la finance et des affaires, se sont fait édifier au cours des dix dernières années, de splendides hôtels, dont la somptuosité n’exclut malheureusement  pas la banalité.

Cette somptuosité se signale par la surcharge de l’ornement, par l’utilisation des inévitables beaux motifs traditionnels : colonnades, rotondes composites, frontons renaissants. Ainsi  les architectes, en dépit des beaux programmes qui leur étaient proposés, n’ont pas pu ou pas su s’affranchir de cette manie ostentatoire et de ce mauvais goût qui semblent avoir atteint leur apogée sur certaines façades Champs–Elysées  et qui sévissent un peu partout dans les quartiers riches.

Mais voici une exception, une magnifique réussite due à l’heureuse rencontre d’un homme de goût  parfait et d’un maître architecte d’une remarquable sûreté de vue. Rencontre qui bien souvent aussi s’est transformée en précieuse collaboration.

L’hôtel particulier que Monsieur Ducharne s’est fait construire rue Albéric-Magnard, à Auteuil, accuse dans ses moindres détails l’entente  qui n’a cessé de régner entre lui et son architecte Monsieur Pierre Patout, à ce point de vue infiniment privilégié. Il ne l’a pas moins été par l’excellence, la clarté du programme qu’il avait à remplir, type d’habitation  particulière de haut luxe et d’ample confort et d’une exquise distinction.

L’architecte avait à construire et distribuer un garage pour auto, une galerie de peinture, un grand et un petit salon, une salle à manger avec cuisine voisine, une bibliothèque-bureau, une salle de billard, une grande chambre , trois chambres d’enfants, une chambre d’amis, des salles de bains, un salon d’habillage, un boudoir et, pour les enfants, une salle de culture physique.

L’hôtel, inscrit dans un quadrilatère, comporte trois étages, en retrait l’un sur l’autre du côté du jardin.

 

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La façade sur rue est précédée d’une grille d’un modèle imposé règlementaire, tapissée de plantes grimpantes. Construite suivant le principe de la symétrie, une grande porte rectangulaire en occupe le centre, porte magnifiquement décorée d’une grille en fer forgé, mise en exécution  d’après les dessins de Pierre Patout, par Monsieur Llano Florès et exécutée par Monsieur Carrera.

A cette triple collaboration est dû l’escalier dont nous reproduisons l’élégant départ et le motif de rampe de fer forgé.

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A gauche de cette porte, la conciergerie et l’entrée de service. A droite, une petite porte pour l’entrée des maîtres. L’automobile pénètre par la grande porte, dépose les voyageurs dans le vestibule et va se ranger dans le garage situé au fond. Ce garage est long de vingt mètres et permet à la voiture d’évoluer et de tourner, prête à sortir sans être obligée de le faire à reculons. Une porte sous le vestibule donne accès à l’antichambre des maîtres où les invités trouvent un vestiaire et des lavabos.

Un escalier en marbre conduit à la galerie de peinture, qui occupe longitudinalement, la partie médiane du rez-de-chaussée de réception. Elle figure ici sous deux aspects, non garnie encore des toiles et des sculptures que leur destine le collectionneur. Construite en stuc, avec dallage en pierre et marbre, elle s’orne d’une vasque en marbre, d’une stèle destinée à recevoir un bas-relief  et de hautes colonnes en stuc poli qui communiquent à l’ensemble un caractère de majesté.

On remarque sur une autre vue, l’entrée de la galerie avec les trois degrés de marbre et les hauts piliers tendus d’opulentes soieries de Ducharne. Cette galerie sépare la salle à manger des salons et du billard, situés sur jardins et communiquant avec ceux-ci de plain-pied.

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Perspective du salon à la salle à manger

 

Le premier étage contient la grande chambre et le boudoir, dont les baies donnent sur les terrasses, ainsi que les chambres d’amis, et les trois chambres d’enfants, prenant jour sur la rue. Enfin à l’étage supérieur se trouvent, outre la chambre de la gouvernante, la salle de culture physique et le terrain de jeu en haute terrasse, pour la cure d’air et de soleil.

Telles sont, en bref, les caractéristiques de cette manifestation  dont le moindre détail mériterait d’être longuement analysé et décrit. Tout est ici logique, équilibre, judicieux accord entre la maîtrise du savant constructeur et le sobre et élégant dessin de l’artiste, et Pierre Patout est l’un et l’autre éminemment. Il apporte le même soin, la même minutieuse conscience à résoudre le problème du garage ou de la cuisine qu’à jouer en audacieux symphoniste avec les splendides matières avec lesquelles il a édifié les pièces nobles.

C’est ainsi, comme il nous le fait observer, qu’il a utilisé dans la construction de la cuisine le principe de ventilation des grandes salles  du Moyen-Age aux puissantes cheminées à hotte. L’air chaud, les fumées et la buée sont immédiatement ventilés et transportés à travers des conduites d’éjection.

Nous ne proposons pas pour cette fois de décrire dans leur délicat raffinement et pièce après pièce, cet hôtel dont les ensembles mobiliers ont été confiés à Ruhlmann, choix dont le moindre mérite n’est pas d’unir une fois de plus le maître décorateur à l’architecte qui avait dessiné les plans du charmant « Hôtel pour un collectionneur » de l’Exposition.

L’hôtel  de Monsieur Ducharne procède sensiblement du même esprit. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner la grâce et la sobriété des lignes du jardin, dont le mur du fond dessine un nerveux fronton et dont la surface est si heureusement interrompue par deux pilastres quadrangulaires jumeaux.

Mais ce que nous avons pu longuement admirer, sans risquer une indiscrète visite domiciliaire, c’est la splendide façade sur rue, si ingénieusement composée.

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Supprimant le jeu monotone des fenêtres uniformément percées, l’architecte a fait se détacher de l’ensemble de la façade, dessinée comme un frontispice, exécutée en marbre blanc guilloché. Ce parti reflète sans nulle supercherie ni trompe-l’œil la disposition des pièces. Il en est le corollaire obligé. Il  nous montre en même temps que le dessin discipliné de l’auteur  est sa constante préoccupation de fuir tout arbitraire.

Monsieur Pierre Patout a créé sans nul effort apparent, avec une grâce qui frappe et séduit tout d’abord sans forcer nulle part la note, un ensemble dont on discerne très nettement, en dépit et à cause de son harmonieuse simplicité, le caractère de grandeur et la noblesse.

Et il a résolu avec un singulier bonheur ce problème que d’autres paradoxalement envisagent avec scepticisme ou mépris : faire une œuvre, qui, bien que riche et pourvue de moyens exceptionnels, soit vraiment conçue et réalisée sous le signe de la beauté. »

 

Georges Rémon 

Jardins et Cottages- janvier 1927 - n°10  

 

 

Sources :

 Bibliothèque Nationale de France, département Sciences et Techniques

 Archives Municipales de Chatou

 Bibliothèque Historique de la Ville de Paris

 Archives de la Légion d'Honneur