03/11/2013
QUAND L'ILE ETAIT "DANS LE COLLIMATEUR" COTE CARRIERES-SUR-SEINE
L’Association, qui s’est battue naguère avec succès contre un projet de complexe hôtelier dans l’Ile (1994) et est intervenue plus récemment d’un point de vue juridique contre l’implantation d’une tour sur les bords de Seine de Rueil (2011), ne pouvait que donner connaissance à ses internautes de l’article suivant :
"L’Ile de Chatou est, à son tour, gravement menacée par un projet aussi monstrueux qu’il veut être grandiose : l’édification d’une construction monumentale surmontée d’une tour haute de 200 mètres et flanquée d’un immense cinéma en plein air pour automobilistes, tel qu’il en existe aux Etats-Unis sous l’appellation curieuse de « Drive in Theatre ».
La maquette de cet ambitieux ensemble existe. Elle était exposée – il est vrai – à la mairie de Carrières pour la durée de l’enquête publique préalable à la demande d’autorisation de construire, enquête que, visiblement, on a voulu escamoter, mais dont les conclusions grâce à la vigilance de quelques-uns, n’en devraient pas moins être singulièrement défavorables.
C’est qu’il y a plusieurs raisons essentielles pour s’opposer à ce projet. La première : l’Ile de Chatou reste un havre de calme et de verdure exceptionnellement à l’abri du grand trafic. Elle possède un magnifique rideau de peupliers qui sont inscrits à l’inventaire des sites protégés.
La seconde : l’Ile de Chatou figure au plan d’aménagement de la région parisienne au titre d’espace vert et d’emplacement de terrains de jeu.
Il faut croire néanmoins qu’il existe des possibilités de passer outre ces considérations puisqu’une importante société n’ayant pas pour habitude de s’engager à la légère, a commencé d’y acheter des terrains et a entrepris des frais importants pour la réalisation d’une maquette définitive.
Or, il y a tout juste huit jours, à l’occasion de la journée d’étude de La Ligue Urbaine et Rurale, qui s’est tenue à Paris, Monsieur Robert Sudreau, ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, annonçait deux mesures bien précises, propres à éviter désormais des actes de vandalisme tels que nous en avons souvent dénoncés ici-même, ou des constructions abusives.
L’une de ces mesures, justement, vise plus particulièrement la protection, la conservation et la restitution des bois, forêts et espaces verts.
Implicitement, c’est le rejet pur et simple du projet de Chatou.
Si, sur le plan de l’architecture, le « building » en question est séduisant, l’emplacement choisi pour son édification est mauvais. C’est contre cela que nous nous élevons. Ce gratte-ciel de 200 mètres de haut (les deux tiers de la Tour Eiffel) garantit l’enlaidissement de tout le centre de Carrières-sur-Seine, par son implantation dans l’axe de la mairie, ancienne demeure de Madame de La Vallière, et de son parc magnifique dessiné par Le Nôtre. A ce propos, on ne veut pas croire les bruits selon lesquels les jardins de Le Nôtre doivent subir des transformations afin d’y aménager…une piscine.
« Chacun s’incline devant les impératifs d’une nécessaire modernisation, écrivait hier notre éminent collaborateur et ami André Siegfried, mais n’est-il pas des cas où d’autres considérations doivent avoir le pas, le maintien, par exemple, de sites illustres, de parcs hérités de la tradition, d’espaces verts aussi nécessaires à l’hygiène qu’à la beauté de nos villes ?
D’autre part, a fait remarquer Monsieur Jean-Claude Marnez *, jeune architecte qui mène campagne contre cette nouvelle menace, l’affectation de la construction ne semble pas bien définie. Il est question, en effet, d’un « Centre de Liaison Européen » avec un hôtel, de services administratifs de sociétés privées qui domineront de leurs 200 mètres de haut…
Nous nous rangeons à son avis : il semblerait préférable de placer un tel ensemble prés de la route monumentale qui doit, dans les années à venir, relier le rond-point de la Défense à Maisons-Laffitte, plutôt que dans une des seules régions très proches de Paris qui n’a pas subi la pousse des grandes constructions et dont le charmant paysage reste à peu prés tel que l’ont peint Manet et les Impressionnistes.
Jacques Nosari
Le Figaro - 16 décembre 1958
Note de l’auteur de cette transcription : * la famille Marnez de Carrières-sur-Seine compte plusieurs générations d’architectes qui ont honoré notamment l’architecture en pierre de taille dans la Capitale et continue aujourd’hui l’œuvre de ses aïeux (cabinet R. Marnez de Neuilly-Sur-Seine). Ce détail en amène un autre : à Carrières-sur-Seine également est né l’architecte Alfred Gaultier (1847-1909), auteur des villas Lambert à Chatou, ensemble comprenant château et villas, joyau des architectures néo-gothique et néo-renaissance des années 1880-1890, répertorié à l’Inventaire mais malheureusement non inscrit au titre de la protection des Monuments Historiques ou des sites à conserver.
N.B : Le Figaro au même titre que Le Monde et Le Moniteur avaient également fait l’honneur de la presse en consacrant de pleines pages sur la destruction de l’usine Pathé-Marconi de Chatou en 2001-2002 à la requête de l’association. Ces articles avaient conduit à un reportage au journal de TF1 de 20 heures et à une reconnaissance particulière de la cause défendue par l’association au Salon du Patrimoine au Carrousel du Louvre en 2002, 800 personnes de toutes nationalités s’étant empressées de signer sa pétition durant les 4 jours du Salon.
Publié dans # PATRIMOINE MENACE, IL Y A 60 ANS, LE PROJET DE TOUR A CARRIERES-SUR S | 16:05 | Commentaires (0) | Lien permanent