13/05/2016
LE NAUTISME A CHATOU, DE L'ENCOURAGEMENT IMPERIAL A LA REUSSITE ASSOCIATIVE
L'Impératrice Eugénie au bras du tsar Alexandre II lors des fêtes de l'Exposition Universelle de Paris de 1867 dans les jardins des Tuileries. Tableau de Pierre Tetar Van Elven - Musée Carnavalet
En 1867, le comte de Castellane notait lors de l’Exposition Universelle de Paris : « Pour la première fois, le sport nautique prend parmi nous la place qui lui est due et qu’il a su conquérir par les progrès de tous les genres dont il est à l’origine et la source depuis quelques années.
Aliment d’une industrie importante, le yachting, puisque nous avons dû commencer par emprunter à l’Angleterre le terme même qui la désigne, tout en répandant l’habitude des exercices physiques, fait pénétrer dans les classes aisées le goût de la navigation ; et agent indirect mais actif, attire l’attention des capitalistes de nos villes de l’intérieur vers les placements et les affaires maritimes – 4696 bateaux inscrits dans les circonscriptions maritimes – 5776 armateurs ou matelots classés – plus de huit mille embarcations de plaisance sur les rivières, témoignent assez de l’importance acquise par ce qu’il est permis d’appeler l’institution nouvelle qui a su mériter le patronage si flatteur et si précieux de sa majesté l’impératrice.
En daignant s’inscrire au nombre des exposants et envoyer un caïc et une gondole, (…) sa majesté l’impératrice a donné un témoignage de sa haute bienveillance et montré tout l’intérêt qu’elle prenait à l’œuvre accomplie par la société de navigation. » Le canot à vapeur « La Mouche » du Prince Napoléon flottait alors le long du fleuve parmi sept ou huit bateaux à vapeurs ou yachts étrangers.
Le nautisme sur la Seine avait réveillé les passions de longue date. Le poète et dramaturge François Coppée (1842-1908) faisant référence au temps du Second Empire, avait décliné ces vers :
« A mes jeunes camarades, aux équipiers du Club Nautique de Chatou :
Jadis, la Seine était verte et pure à Saint-Ouen,
Et, dans cette banlieue aujourd'hui sale et rêche,
J'ai canoté, j'ai même essayé de la pêche.
Le lieu semblait alors champêtre. Que c'est loin!
On dînait là. Le beurre, au cabaret du coin,
Était rance, et le vin fait de bois de campêche.
Mais les charmants retours, sur l'eau, dans la nuit fraîche,
Quand, sur les prés fauchés, flottait l'odeur du foin!
Oh! quels vieux souvenirs et comme le temps marche!
Pourtant je vois encor le couchant, sous une arche,
Refléter ses rubis dans les flots miroitants.
Amis, embarquez-moi sur vos bateaux à voiles,
Par un beau soir, à l'heure où naissent les étoiles,
Afin que je revive un peu de mes vingt ans. »
Le père Fournaise s’intitulait « constructeur de bateaux » à Chatou sous le Second Empire. C’est lui qui fit venir les canotiers et les artistes et qui développa la voile et le canotage dans notre commune. Son client le plus célèbre, Renoir, peignit "Les canotiers à Chatou" en 1879.
En 1889, l’Exposition Universelle de Paris donna un espace au Yacht Club de France, lequel assumait la promotion du sport nautique en France ainsi qu’à des productions du Cercle de Voile de Paris. On y présenta en maquette un bateau de course, « La Mouquette » du peintre Caillebotte, l'un des clients de la Maison Fournaise figuré sur le tableau "Le Déjeuner des Canotiers" de Renoir en 1881.
Le peintre Caillebotte (1848-1894), autoportrait. Architecte naval et peintre, il fut le mécène de l'Impressionnisme et un hôte de marque de la Maison Fournaise à Chatou.
On sait d'après le témoignage d'André Derain que Degas fit du canotage à Chatou. Guy de Maupassant incarna à son tour le nautisme des bords de Seine dans la commune où il séjournait dans les années 1880.
Guy de Maupassant
Puis vint l’heure du Cercle Nautique de Chatou, déclaré en 1902 et dont le grand couturier Paul Poiret dessina le pavillon. Le CNC fut invité par Paul Poiret à l'Exposition Internationale des Arts Décoratifs de Paris de 1925 et demeura à Chatou jusqu’en 1929 avant de s’expatrier à Meulan. Il fut le plus important cercle de voile de la Seine avec celui de Paris.
Paul Poiret dans les années vingt - il avait libéré la femme du corset avant la première guerre mondiale
L’organisation continuelle de régates pendant presque trente ans devait témoigner de son activité intense. Les très élégants dériveurs qui figurent sur les cartes postales 1900 au bas de la Maison Fournaise firent partie de sa flotte. Il s’agit des monotypes de Chatou créés par les frères Monnot, habitants de la commune, dont la conception connut une longévité entrée dans la postérité.
En 1900, les monotypes de Chatou amarrés à la Maison Fournaise
En 2016, un monotype de Chatou sorti des ateliers de Sequana
Entre les-deux-guerres, des compétitions d’aviron furent également organisées par la société franco-britannique Wood Milne Sport, dont le siège était à Chatou et les hangars au bas de l’ancien pont routier selon le témoignage d'une habitante bien connue du quartier de l'église. Enfin, notre ville peut enfin s’enorgueillir d’avoir compté Jean Sepheriades (1920-2001), champion d’Europe d’aviron en 1946 dans un sport dominé par l’Angleterre. Le champion fut conseiller municipal de Chatou de 1947 à 1953.
Jean Sepheriades, catovien et champion d'Europe d'aviron 1946 face aux équipes anglo-saxonnes
Cet héritage des bords de Seine fait de Chatou une patrie du nautisme qu’il est difficile d’ignorer. Or, celle-ci a aujourd’hui un représentant: l’association Sequana fondée dans la commune en 1990. De ses ateliers est sortie une trentaine de bateaux répliques du XIXème siècle, conçus par des bénévoles au savoir-faire unique. Depuis vingt-six ans, ceux-ci font réapparaître les canots et les voiles qui embellissent les bords de Seine. Malheureusement, la municipalité a décidé de résilier la convention de Sequana au profit d’ateliers du bois sans rapport avec la construction de bateaux, autant dire un enterrement de trop pour le site Fournaise et la vie du patrimoine en Ile-de-France. C’est ainsi que pendant que Sequana sera accueillie à bras ouverts dans toutes les autres communes de la Seine, Chatou s’enfoncera dans son gâchis habituel, une constante depuis les destructions successives des châteaux de Chatou, des grandes villas (villas de Maurice Berteaux, Eugène Secretan (villa Aspro), Rosita Mauri (rue Maurice Hardouin) ), de la salle des fêtes financée sur les deniers de Maurice Berteaux en 1893, des immeubles du vieux Chatou lors de la Rénovation de 1966, de l’usine Art Deco Pathé-Marconi berceau du microsillon en 1951, détruite en 2004....
Le nautisme a l’avenir qu’on veut bien lui offrir. Notre proposition n’est pas d’entretenir un petit cercle coupé du monde et de toute perspective mais bien au contraire de l’ouvrir à la formation professionnelle, de l’associer à un grand projet de construction pour soutenir l’ensemble et de raviver la vie de nos bords de Seine avant que le savoir-faire ne disparaisse. Ne s’agit-il pas en effet d’un métier d’art à l’instar de ceux qui sont présentés chaque année au Salon du Patrimoine au Carrousel du Louvre ?
L'atelier Sequana au Hameau Fournaise dans l'Ile de Chatou
Ci-dessus, dans l'atelier de Sequana, le "Roastbeef" du peintre Caillebotte que celui-ci conçut en 1892
Dans l'atelier de Sequana, le canot "Madame" de Maupassant
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La "Suzanne" lancée par Sequana, canot à vapeur
Le dériveur "Nogent-Joinville", lancé le 7 mai 2016
Ci-dessus, Monsieur Jean Jack Gardais, président de Sequana, au micro
Monsieur Olivier Dosne, maire de Joinville-le-Pont prenant la parole et à droite son homologue Monsieur Jacques Martin, maire de Nogent-sur-Marne venus honorer de leur présence le lancement du "Nogent-Joinville", monotype dit "de Nogent".
On se souvient que Sequana avait lancé à Chatou le canot « Madame » de Maupassant en présence de Monsieur le Maire de Rouen le 4 octobre 2015. Le 7 mai 2016, Sequana y a lancé un nouveau monotype, le « Nogent-Joinville » en présence de Messieurs les Maires de Nogent-sur-Marne et de Joinville-le-Pont. Dans les deux cas, aucune représentation officielle municipale, seulement celle du président de Chatou Notre Ville, association pourtant déléguée par la ville à l’inventaire du patrimoine. S’il y a en effet un milieu où le patrimoine est défendu, c’est bien celui des associations. Sans association, la vie du patrimoine s’effondre. Au nom de la légitimité et du savoir-faire, il est donc urgent non seulement de mettre en perspective le maintien de la construction nautique à Chatou mais encore d’en faire un axe majeur du développement touristique de nos bords de Seine en y associant toutes les générations. D’Eugénie à François Coppée et au père Fournaise en passant par Maupassant et Paul Poiret, l’histoire clame l’avenir du nautisme à Chatou.
Publié dans # PATRIMOINE MENACE, - ASSOCIATIONS AMIES, CHATOU ET LA SEINE | 23:30 | Commentaires (0) | Lien permanent