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20/05/2011

LA PLUS CELEBRE VICTIME DE LA LIGNE PARIS-SAINT-GERMAIN

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 « M. Catulle-Mendes, l’illustre poète, est mort victime d’un accident, la nuit dernière, dans des conditions que l’enquête n’a pu déterminer exactement.

L’écrivain, qui avait une prédilection marquée pour Saint-Germain-en-Laye, où il avait demeuré successivement cité de Médicis, puis 26 rue de Pontoise, habitait en dernier lieu, depuis trois ans, rue Sully n°3, à l’angle de la rue de Médicis, une coquette villa, la villa Mackenzie, bâtie au milieu d’un jardinet planté de grands arbres.

Depuis un an environ, M. Catulle-Mendès y vivait seul, n’ayant pour tout personnel qu’une domestique de confiance, Mme Julie Ruelland.

Dimanche, après avoir travaillé tout l’après-midi, à mettre au point un drame qu’il espérait faire jouer au printemps, M. Catulle-Mendès prévint Mme Ruelland qu’il allait dîner à Paris, comme il le faisait chaque dimanche chez M. Félix Oppenheim, un de ses amis, lui dit de ne pas l’attendre car il rentrerait par un des derniers trains.

La domestique se retira de bonne heure après avoir préparé un bol de bouillon comme elle le faisait chaque fois que M. Catulle-Mendès s’attendait dans la soirée.

Hier matin, vers cinq heures, un lampiste de la gare de Saint-Germain-en-Laye, M. Foucher, se rendait aux remises « Les voies nouvelles » pour allumer les lampes du second train pour Paris qui n’était pas encore formé, lorsque, en débouchant du tunnel du Parterre, qui domine l’entrée de la gare, il aperçut entre la voie qui vient de Paris et le mur de soutènement  de la tranchée, un cadavre mutilé et ensanglanté.

M. Foucher courut prévenir le sous-chef de service, M. Aumaistre, qui se rendit aussitôt avec plusieurs hommes d’équipe, munis de lanternes, à l’endroit indiqué par le lampiste.

Le corps était entendu face contre terre, entre la voie et le mur, à soixante-dix mètres environ du quai même de la gare et à treize mètres avant l’entrée du tunnel du Parterre.

Le bras droit et la jambe droite reposaient sur le rail extérieur de la voie et avaient été cruellement mutilés par les roues.

La tête était tournée à gauche et le crâne avait été atteint et entamé par une roue et des fragments de cervelle avaient rejailli à quelque distance sur le ballast.

Comme un homme d’équipe approchait sa lanterne du visage dont les traits n’avaient pas été altérés, le sous-chef de gare reconnut aussitôt M. Catulle-Mendès, qui voyageait quotidiennement sur la ligne. M. Aumaistre fit aussitôt transporter le corps dans son bureau, à la gare, et les docteurs Levesque et Grandhomme vinrent procéder aux premières constations avec  M. Carette, commissaire de police de Saint-Germain.

Dans le gousset du gilet de la victime, on retrouva un billet de première classe délivré à Paris-Saint-Lazare pour Saint-Germain, une pièce de cinq francs et une montre de femme que Mme Jdie Ruelland avait prêtée la veille à son maître, qui avait donné la sienne à réparer.

Dans la jaquette, on retrouva également le portefeuille de M. Catulle-Mendès qui contenait 750 francs en billets de banque et son carnet de chèques.

Les constatations des médecins et du commissaire de police  devaient également écarter toute hypothèse de suicide et conclure à une mort purement accidentelle.

En effet, la position du corps, parallèlement au rail et dans le sens de la marche du train, excluait la possibilité d’une mort intentionnelle.

De plus, la canne de M. Catulle-Mendés fut retrouvée trois ou quatre mètres plus loin de la gare, brisée en deux, et un peu plus loin encore, à dix mètres du cadavre, on recueillit son chapeau, accroché aux roulettes qui supportent les fils des signaux. Ces détails ont permis de reconstituer à peu près les circonstances de l’accident. M. Catulle-Mendès avait dû prendre à la gare Saint-Lazare l’un des derniers  trains, minuit treize, minuit quarante-deux, où le train qui part à une heure cinq du matin les dimanches et fêtes.

Comme le train, dont la marche est d’ailleurs très lente dans la forte rampe qui se trouve entre le tunnel de la forêt et le tunnel du parterre, allait entrer en gare de Saint-Germain, M. Catulle-Mendès dut s’éveiller  en sursaut et se croire à la hauteur du quai.

Ouvrant précipitamment la portière, il chercha un point d’appui sur le marche-pied avec sa canne, mais celle-ci porta à faux et lui échappa de la main, tandis que lui-même roulait sur la voie et était traîné puisque le chapeau et la canne furent relevés à quelques mètres du corps.

Aucun des voyageurs des derniers trains que l’on a retrouvés et des employés n’a remarqué qu’une portière fut ouverte à l’arrivée. Mais à cette heure tardive, tout le monde descend plus ou moins précipitamment et ce détail a dû passer inaperçu.

D’autre part, les trains dans lesquels M. Catulle-Mendès a pu prendre place, étaient repartis déjà pour Paris lorsqu’on voulut procéder à leur inspection et à la gare Saint-Lazare, que l’on avisa par télégramme, on ne put relever aucun indice utile.

Le corps de M. Catulle-Mendès, après que des internes de l’hôpital eurent procédé à la toilette funèbre, fut transporté 3 rue de Sully, à la villa Mackenzie.

C’est là que Mme Catulle-Mendès, prévenue du malheur survenu à son mari et accourue, profondément émue, par le train de 10h47 du matin, a pu le voir. Le parquet de Versailles, avisé par télégramme, a délivré le permis d’inhumer mais aucune disposition n’a encore été prise pour les obsèques.

M. Catulle-Mendès avait, on l’a vu plus haut, passé la soirée de dimanche, chez le baron Félix Oppenheim, qui possède, 27, rue Vernet, dans le quartier des Champs-Elysées, un superbe hôtel.

Nous eussions désiré avoir sur la dernière soirée de M. Catulle-Mendès, des détails de la bouche du baron Oppenheim ; mais ce dernier était parti le matin pour Saint-Germain, dès que la nouvelle de la mort lui était parvenue.

Quant à Mme Oppenheim, elle était allée rejoindre son mari par le train de 11 heures 50. Mais nous avons pu obtenir  les renseignements suivants d’un des familiers  de la maison :

"M. Catulle-Mendès est venu dîner hier soir à sept heures : il nous a semblé moins gai que de coutume. Son hôte lui ayant demandé la raison de cette tristesse apparente, M. Mendès a répondu qu’ayant beaucoup travaillé toute la journée, il se sentait un peu fatigué. Après le dîner on passa prendre le café au salon. Un peu avant minuit, M. Catulle-Mendès envoya chercher un auto-taxi et partit pour la gare Saint-Lazare où il voulait prendre le train de minuit treize.     

Nous pensons que s’étant endormi, il s’est réveillé quand il a senti que le train ralentissait au raidillon de Saint-Germain : il se sera cru arrivé, il aura imprudemment ouvert la portière et il sera tombé sur la voie" (…). »

 

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Né à Bordeaux le 21 mai 1841, Catulle-Mendés arriva  à Paris à dix-sept ans en 1860, fonda la "Revue Fantaisiste" avec Théophile Gautier dont il devait plus tard épouser la fille, Judith Gautier. Théodore de Banville et Baudelaire, Arsène Houssaye, Villiers de L’Isle Adam, Daudet, furent leurs collaborateurs. En 1865, il créa la revue "L’Art" avec Leconte de Lisle, Sully-Prudhomme, Coppée, Verlaine et Mallarmé. Avec eux, il fonda l’Ecole Parnassienne. Critique d’art, poète, il  composa nombre de livrets, ballets et scénarios lyriques, "le Capitaine Fracasse", opéra-comique d’après Théophile Gautier, musique de Pessart, "Gwendoline", opéra en deux actes, musique de Chabrier, "Isoline", conte de fées sur la musique de Messager, "Ariane", opéra de Massenet…En 1899, il rédigea un rapport pour le ministère de l’Instruction Publique sur la poésie française.

Selon l’un de ses amis, M. Rouzier-Dorcière, "il apportait, dans ses duels qui furent nombreux, une fougue et une témérité qui forçaient l’admiration et soulevaient des craintes légitimes chez ses témoins.(…) Je rappelle  ici pour mémoire son duel fameux avec le comédien M. Lugné-Poë. Quand les épées croisées, M. Lugné-Poë vit venir vers lui comme une trombe l’impétueux Catulle-Mendès, il rompit, il rompit même dans des proportions de distance telles que Mendès, qui le pourchassait, mit son épée sous le bras et lança un " Vous partez déjà !...Monsieur ? " qui fit fortune."

Source :

Extraits du Petit Journal - 9 février 1909

 

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