08/11/2013
ANTHYME DUPRE (1865-1940), L'AVENTURE INDOCHINOISE
Timbre de 1904-1906 - collection de l'auteur
Comme nos lecteurs l’auront constaté, le blog de l’association s’attache autant en matière d’histoire locale à l’histoire générale de la cité, objet de publications diverses de sa part, qu’au destin de ses habitants. A ce sujet, dans le cadre de l’expansion coloniale du pays dont on ne peut nier ni les mérites ni les violences, devons-nous citer un natif de Chatou, Louis Léon Marie Anthyme Dupré, né le 10 novembre 1865 avenue Esther Lacroix dans la maison de campagne de ses parents, Monsieur Albert Dupré, inspecteur des Finances, et Madame Léonine Siran.
Acte de naissance d'Anthyme Dupré signé notamment du maire de l'époque Monsieur Jean - Pascal Castets (1861-1866) - Source : archives municipales de Chatou, remerciements de l'auteur à Madame Corinne Charlery.
A 25 ans, Anthyme Dupré entra dans l’histoire de l’Indochine, dans sa partie nord, le Tonkin. En marge de la politique d’expansion coloniale, la conquête du Tonkin avait résulté d’une initiative individuelle : celle d’un commerçant, Jean Dupuis, établi sur le Yang-Tsé-Kiang. Celui-ci avait remonté en 1873 le fleuve de Hanoï à Mang-Hao, ville frontière du Yunnan, en nouant des contacts commerciaux avec mandarins et tonkinois.
La cour d’Annam s’en inquiétant et faisant obstruction à l’action du commerçant français, celui-ci se retrouva en péril. L’apprenant, l’amiral Dupré, gouverneur de la Cochinchine, expédia au départ de Saïgon deux canonnières et 180 hommes pour venir à son secours. Le 20 novembre 1873, se heurtant au maréchal Nguyen, commandant de Hanoï, une bataille fut livrée et emportée par l’escadre française.
C’est alors que les mandarins annamites firent appel aux Pavillons-Noirs, une armée de pillards, qui attaqua Hanoï le 21 décembre 1873. Les français les repoussèrent, non sans le massacre de leurs officiers. Le gouvernement du duc De Broglie, alors en place, désavoua toute l’opération, restitua le territoire aux Annamites, 25.000 tonkinois étant assassinés aussitôt en représaille à l’aide aux français des populations locales.
Un traité fut signé par la France avec le roi d’Annam le 15 mars 1874. Contre la remise de 5 bâtiments à vapeur, 1000 fusils, 500.000 cartouches, la France reconnut le royaume d’Annam en échange de l’ouverture à la navigation du Fleuve Rouge et de la reconnaissance de la France au titre du protectorat de la Cochinchine.
Cette situation ne devait être que précaire. De nouvelles agressions par les Pavillons-Noirs se produisirent dix ans plus tard. Jules Ferry, alors président du Conseil, était à l'origine en 1882 d'une conquête qu'il voulait pacifique du Tonkin. Mais l'affaire dégénéra, le commandant Rivière s'emparant de Hanoï, et finissant décapité par les Pavillons-Noirs. Ferry envoya un corps expéditionnaire. Celui-ci se heurta non seulement aux Pavillons-Noirs mais aux troupes chinoises. Ce n'est qu'en 1885, après le renversement de Jules Ferry, que l'occupation militaire se solda par la reconnaissance de la présence française au Tonkin par la Chine.
Carte tirée du manuel "Histoire Contemporaine depuis 1789" de Gustave Ducoudray (Hachette 1902) - collection de l'auteur.
On distingue Nam-Dinh sous Hanoï - même document
C’est ce contexte qui s’ouvrit au jeune Dupré, au parcours singulier. Celui-ci arriva en effet 1890 en Indochine et travailla à la Banque de l’Indochine pendant sept ans. Il devint directeur de la banque d’Hanoï vers 1896, ce qui lui donna les moyens de songer à un projet industriel à partir de l’analyse des marchés existants. C’est ainsi qu’après avoir pris en gérance la Filature de Coton de Hanoï, il décida en 1900 de créer une industrie cotonnière destinée au marché colonial et recouvrant tous les métiers et applications du coton, vêtements, pansements, couvertures, tissage, teinture...
Se posant en concurrent de l’industrie cotonnière des Indes anglaises, Anthyme Dupré bénéficia de droits de douane favorables aux entreprises nationales. Ce fut la naissance de la Société Cotonnière du Tonkin à Nam-Dinh puis, pendant la Première Guerre Mondiale, de la Société des Scieries et de Fabriques d’Allumettes du Thanh-Hoa à Hamrong en Annam.
La main d’œuvre employée fut considérable. En 1930, selon le dossier du ministère des Colonies, les deux industries répondaient de l’emploi de plus de 7.000 personnes alors qu'en 1940, le chiffre de 15.000 personnes fut cité dans l'hommage du journal "La Volonté Indochinoise".
Une œuvre sociale fut appliquée par Anthyme Dupré au développement de ses entreprises : les lois sociales métropolitaines furent appliquées sans demande de dérogation, l’aération, l’éclairage des bâtiments furent privilégiés, l’eau potable et le thé chaud furent proposés dans tous les ateliers, des terrains de sports comprenant tennis mis à disposition des employés, des villages en paillotte construits pour les anciens ouvriers et leur famille pour leur assurer un logement décent, une retraite organisée sur retenue de salaire pour tous les employés totalisant 25 ans de services, des frais d’études offerts aux enfants des agents européens, le versement des indemnités à tous les agents mobilisés par la guerre.
Chevalier de la Légion d’Honneur le 7 juin 1920, Anthyme Dupré fut élevé au grade de Commandeur de la Légion d’Honneur le 4 mars 1930 par le ministre des Colonies du gouvernement Tardieu, François Piétri.
Cet homme, qui avait eu la passion de l’Indochine, ne vit ni les désastres ni les massacres de la Deuxième Guerre Mondiale et de la Guerre d’Indochine qui s’ensuivit. En 1954, au départ de la France, l’entreprise revînt entre d’autres mains mais ses usines survécurent, et font aujourd'hui partie de l’industrie nationale vietnamienne pour la production cotonnière cependant que la maison d'Anthyme Dupré a été transformée en musée.
Publicité 1953 pour la Société Cotonnière du Tonkin montrant l'étendue des aménagements.
En 1939, sa société avait produit 1 million de couvertures et fournissait du fil à 120.000 tisserands locaux. Elle était devenue l'une des plus grandes industries indochinoises, occupant la 4ème place des entreprises françaises en Indochine derrière la Banque de l’Indochine et deux entreprises de caoutchouc.
Anthyme Dupré, domicilié 7 Square Moncey dans le 9ème arrondissement de Paris, s’éteignit le 24 janvier 1940 à Cotefort en Haute-Savoie.
* Rappelons que les industries Pathé enregistrèrent les chants traditionnels du Tonkin via leur filiale Pathé Phono Cinéma Chine (cf notre livre "Chatou, une page de gloire dans l'industrie") et en firent don aux Archives de la Parole. Deux exemplaires sont présentés sur le site Gallica (reproduction ci-dessous).
Bibliothèque Nationale de France
Sources :
- Base Léonore
- Gabriel Hanotaux : "Histoire de la France Contemporaine" 1871-1900 - volume II
- Histoire de France - Larousse - La IIIème République (1985)
- http://belleindochine.free.fr/CotonniereDuTonkin.htm
- http://lacotonniere.canalblog.com/
- Gallica
Commentaires
12 / 11 / 2013
Merci pour votre document sur Anthyme Dupré, natif de Chatou, qui fut mon arrière grand Père, époux de Blanche Luzu qui lui donna deux enfants dont ma grand Mère, née Léonie Dupré le 27 décembre 1902, qui épousa Pierre Benoist en 1921 et eut trois enfants dont mon Père, Serge Benoist, né en avril 1923. Que savez-vous de l'enfance et des études d'Anthyme Dupré ??
Cordialement
Thierry P. Benoist (0660557630)
Écrit par : Thierry BENOIST | 12/11/2013
intéressé par cette notice je possède :un dignitaire chinois quasi grandeur nature offert à mes grandsparents par anthyme dupré (cusin par la famille Sirand dot également je suis descendant famille Vicaire)
Écrit par : empaytaz | 09/07/2014
Les familles VICAIRE et SIRAND sont en effet proches d'Anthyme Dupré puisque sa Mère naquit SIRAND. Je dispose des documents de généalogie attestant cette filiation, étant moi-même arière petit fils d'Anthyme Dupré !!
Qu'est ce qu'un "dignitaire chinois" ?
Thierry BENOIST 0660557630
Écrit par : Thierry BENOIST | 29/04/2015
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