18/03/2014
14 JUILLET 1939 : GEORGES MANDEL NOMME GEORGES CATROUX
Au ministère des Colonies, une rare photo de Georges Mandel en train d'examiner des clichés de son chef d'état-major, le général Buhrer, en décembre 1939. Sur le devant de son bureau, la statue de Clemenceau qui ne le quittait jamais - "Match" décembre 1939 - collection de l'auteur
Le destin des hommes forgé à l’idée de combat pour la civilisation française : voilà où l’on pouvait rencontrer la mesure de Georges Mandel, né à Chatou le 5 juin 1885 10 avenue du Chemin de Fer.
Chef de cabinet de Clemenceau de 1917 à 1920, député indépendant siégeant à droite de 1919 à 1924 puis de 1928 à 1940, ministre modernisateur des PTT de 1934 à 1936, le natif de Chatou souhaitait ardemment dans l’ombre du Tigre placer son action dans un sursaut de défense nationale. Mais sous l’influence d’un état-major périmé, le cénacle radical-socialiste, plus enclin à siéger qu’à combattre, lui refusait obstinément les postes qu’il demandait pour armer, réformer et produire : soit, lui, Georges Mandel, transformerait un poste jugé secondaire en un avant-poste de la résistance française.
Ministre des Colonies depuis 1938, il combattait au sein même du gouvernement pour obtenir des crédits en faveur de leur armement, renvoyait les fonctionnaires qui ne se rendaient pas à leurs postes, tentait de développer l’économie de la France d’Outre-Mer.
Mais seul, toujours seul, face à un mur d’ignorance, de mépris et d’inertie, son action dans le vaste empire devait bien souvent se contenter des réquisitions sur place et de biais invraisemblables. Faire avancer la cause de la défense de territoires peu considérés de la métropole et encore moins de l’état-major, dont la prescience fondée sur le déroulement de la Grande Guerre ne pouvait permettre de songer à faire des colonies un bastion de la France en armes, telle était sa mission.Le point de vue de l’action et de la compétence n’en pouvait que plus déterminer les nominations de Georges Mandel. Le 14 juillet 1939, le ministre des Colonies appela le général Catroux, un "réprouvé" comme lui.
Le gouverneur général Catroux à la sortie du palais du roi du Laos en 1940.
Né en 1877, écarté des instances de l’état-major au faîte d’une carrière de trente ans en Afrique du Nord, Georges Catroux avait lui-même fait faillite en politique en condamnant les Accords de Munich, « le moment le plus douloureux pour l’amour-propre français, et la faillite de notre politique internationale » et en tenant lui aussi les colonies comme un futur champ de bataille à intégrer dans les plans de la Défense Nationale.
Au total, Georges Mandel le considérait comme l’homme de la situation. Le général cinq étoiles Catroux, ancien collaborateur de Lyautey, remplaçait un civil au poste de Gouverneur Général de l’Indochine (Tonkin, Annam, Laos, Cambodge, Cochinchine) une terre qu’il n’avait connue que brièvement à ses débuts de 1902 à 1905 mais qui avait décidé de son engagement colonial. Après avoir constitué son cabinet, le général Catroux rejoignit son poste le 2 septembre 1939, au terme d’un voyage de quatre jours.
Sans doute l'image d'avant-guerre la plus connue de l'Indochine des Français de la métropole qui n'eurent pas l'occasion de se rendre à l'Exposition Coloniale de Paris de 1931: celle renvoyée par la publicité des compagnies maritimes. Ici Les Chargeurs Réunis sous l'excellence du trait du dessinateur Sandy Hook. Collection du Musée Maritime et Portuaire du Havre - tous droits réservés.
Une image de l'Indochine clamant pour l'éternité l'hostilité de son âme à la guerre : la baie d'Along, parcourue ici par un vapeur français en 1939 semblant égaré dans le paysage.
L’Indochine n’était rien moins qu’une perle de l’Asie et à l’aube de la deuxième guerre, dégageait une forme de prospérité qui n’était même plus troublée par l’agitation communiste et nationaliste. Le péril de l’Allemagne n’y était qu’une évocation. Pourtant, le nouveau gouverneur était chargé d’approvisionner la métropole en matières premières pour faire face à l’ennemi.
Mais l’objectif se heurta à un obstacle de taille. La France indochinoise, sous la férule de Georges Mandel, alimentait en effet la Chine de Tchang-Kaï-Chek en matières premières face à son envahisseur, le Japon, dont l’occupation atteignit la frontière de la colonie à l’été 1939.
Comprenant que l’Indochine devait être mise hors d’état pour accomplir son destin hégémonique en Asie, la junte nipponne envoya en février 1940 le général Tsuhihashi convaincre le général Catroux d’arrêter les livraisons à la Chine, ce que le général finit par faire pour le carburant. L’éloignement de la métropole de l’Indochine l’avait mise en dernière position des financements du ministre pour l’armement. Seule la présence de l’armée britannique à Singapour apportait une nuance à l’étalage d’impuissance militaire relevé par le nouveau gouverneur. Le 19 juin 1940, il dut fermer la frontière du Tonkin à la Chine sous peine de précipiter l’invasion japonaise et accepter des contrôles du commandement japonais sur son territoire. Il envoya une note au premier gouvernement Pétain le 20 juin 1940 en demandant la conservation de la coopération économique et politique avec l’Angleterre.
La signature de l’Armistice deux jours plus tard, à laquelle il s’opposa, porta un coup fatal à une tentative de résistance, la France étant au demeurant déconsidérée dans l’esprit public de ses administrés, notamment d’Extrême-Orient. Quant au gouvernement Pétain, son esprit de résistance se manifesta soudainement en Indochine.
Celui-ci prit prétexte des concessions du général Catroux pour le remplacer par l’amiral Decoux. En fait, le général Catroux, qui avait signifié au gouvernement Pétain le 22 juin qu’il entendait conserver sa liberté d’action, représentait devant les yeux effrayés des vichyssois l’homme de Mandel par qui une dissidence de l’Indochine était possible. Mais, n’ayant pu contracter aucun appui militaire anglais ou américain dans la période qui suivit l’Armistice au titre d’une éventuelle dissidence qui l’aurait laissé seul face au Japon, le général remit les pouvoirs le 20 juillet à l’amiral Decoux et rejoignit le général de Gaulle à Londres en août.
Le court séjour du général Catroux en Indochine de septembre 1939 à juillet 1940 lui permit d'engager les travaux promus par Georges Mandel et dont un entretien du général avec Paul-Emile Cadilhac, reporter de l'Illustration, donne une idée précise :
"La bataille moderne est une grosse mangeuse d'avions et de munitions. Il faut pouvoir l'alimenter. D'où l'idée de Monsieur Mandel de créer en Indochine une usine d'aviation et, en attendant mieux, des cartoucheries. L'Union Indochinoise doit, en cas de nécessité - blocus par exemple - pouvoir se passer de la métropole. (....) Voilà pourquoi, par un matin printanier de février (1940), je me trouve à 40 kilomètres d'Hanoï, vers la pointe du delta tonkinois, tout à côté du camp militaire de Tong en compagnie de Monsieur Kaleski, ingénieur et directeur des travaux de la future usine. Des centaines d'ouvriers s'activent sur le terrain. Des rouleaux circulent, des routes s'achèvent et d'ici quelques mois, l'usine se dressera à proximité du camp d'aviation, dont le terrain, doté d'une nouvelle piste d'envol de 1100 mètres, servira aux essais des avions.
Les bâtiments, très dispersés et à l'épreuve des bombes, défendus d'ailleurs par de nombreuses batteries aériennes et des escadrilles de chasse, fabriqueront et les cellules et les moteurs. Le personnel groupera 3000 ouvriers indochinois encadrés par des spécialistes français. L'usine sera utilisée à deux fins : fabrication de matériel neuf - 150 avions par an au début - pour l'Indochine et nos diverses possessions ; réparation et remise au point du matériel en service. Parallèlement, on édifie trois vastes cités ouvrières destinées aux européens et au personnel annamite. J'ai visité à Phu-Tho, toujours au Tonkin, la première cartoucherie d'Indochine. Quand elle fonctionnera à plein, elle sortira par jour 50.000 cartouches."
Et le journaliste de conclure après avoir égrené tous les plans de modernisation du pays: "Il semble donc que demain l'Indochine doive se développer industriellement plus encore. Il faut s'abstenir de faire avec elle du colbertisme, et du plus étroit, mais au contraire l'encourager et l'aider à se réaliser toute entière. Cela suppose un plan d'ensemble, une direction ferme, une volonté tendue. Depuis Paul Doumer, on a ici changé trop souvent de gouverneur général. Celui qui passe ne peut rien créer. Un jour qu'on complimentait Lyautey sur le miracle du Maroc, il répondit avec modestie, évidemment trop de modestie : "j'ai duré !". Durer est une nécessité. Actuellement grâce à un choix éclairé, l'Union Indochinoise possède à sa tête un chef - un vrai chef. Qu'on lui donne le temps et il accomplira ici de grandes choses". Une grande ambition était bien à l'oeuvre mais trop tard alors que la métropole s'écrasait dans la défaite.
La suite appartient à l’histoire des Français Libres dont une ordonnance du général de Gaulle du 27 octobre 1940 a livré les premiers symboles :
"Ordonnance n° 2 portant nomination
des membres du Conseil de défense de l'Empire
Au nom du Peuple et de l'Empire français,
Nous, général de Gaulle, chef des Français libres,
Ordonnons,
Article premier.
Sont nommés membres du Conseil de Défense de l'Empire institué par l'ordonnance n°1 du 27 octobre 1940, Général Catroux, Vice-Amiral Muselier, Général de Larminat, Gouverneur Éboué, Gouverneur Sautot, Médecin Général Sicé, Professeur Cassin, Révérend Père d'Argenlieu, Colonel Leclerc.
Article 2.
La présente ordonnance sera publiée au Journal officiel de l'Empire et, provisoirement, au Journal officiel de l'Afrique équatoriale française.
Fait à Brazzaville, le 27 octobre 1940
C. de Gaulle."
A noter que dans la foulée de ses nominations au Ministère des Colonies, Georges Mandel promut en 1939 Jacques Valentin Cazaux, inspecteur général des Colonies, qui organisa le premier mouvement de résistance en Indochine le jour de l'Armistice et fut emprisonné par Vichy le 20 novembre 1940.
La banque de l'Indochine à Saïgon en 1939
La Chambre de Commerce de Saïgon en 1939, offrant notamment à la population des cours d'apprentissage, de sténo-dactylo et de "teneurs de livres", assurant les recherches d'emploi par un Office de Placement et octroyant une aide financière aux associations d'employés français et "indigènes".
La région de Saïgon (au sud de l'Indochine) portait une économie importante : 20 rizeries, 44 décortiqueries, 5 brasseries, 3 distilleries, 3 manufactures de caoutchouc, 15 entreprises de construction et de travaux publics, 3 ateliers de construction mécanique, 3 usines de conserves, 2 usines de raffinage d'huile, 4 savonneries, 3 raffineries, 4 manufactures de cigarettes, 2 entreprises de débitage de bois, plusieurs usines d'électricité et de distribution d'eau, forges, entreprises de transports fluviaux et maritimes, fonderies, briqueteries, tuileries. La Cochinchine représentait à elle seule plus des deux tiers de la valeur des produits exportés d'Indochine. A Paris, l'Agence de l'Indochine était située 20 rue La Boëtie.
En 1939, une micheline du"pont en dentelles" au Yunnan du réseau de chemin de fer indochinois qui était constitué de deux services publics : un réseau administré directement par la colonie de 2585 kms et un réseau concédé à la Compagnie Française de l'Indochine et du Yunnan de 848 kms. Une image moderne dans la propagande coloniale.
L'oeuvre coloniale ne profitait pas seulement aux Français. En 1936, 3.168.735 consultations médicales furent données gratuitement, 17.676 opérations chirurgicales, 2.619.000 vaccinations antivarioliques, 88.629 vaccinations anticholériques et 14.183 vaccinations anti-tuberculeuses furent pratiquées.Le paludisme, la mortalité infantile furent jugulés, les affections occulaires traitées. Pour les Indochinois, 1237 écoles de villages voisinaient 1009 écoles élémentaires de l'Etat, 8 écoles primaires supèrieures ou normales, un établissement d'enseignement secondaire, 182 écoles dites de "plein exercice" etc...
Une plantation d'heveas, arbres à caoutchouc, en Cochinchine, en 1939 et ci-dessous, le filtrage du latex. Avec le riz, l'opium et le tabac, il constituait la grande richesse agricole du pays.
Le 22 septembre 1940, le Japon prit d'assaut Langson (800 morts côté français) et occupa le Tonkin avec 20.000 hommes. Le 25 juillet 1941, il occupa l'Indochine tout entière. Le 9 mars 1945, l'armée nipponne aux abois attaqua les quelques garnisons françaises casernées et aprés les avoir désarmées, les décima non sans commettre des atrocités dont cette armée était malheureusement coutumière (1128 morts français dont 460 blessés amenés au bord d'une tranchée décapités, mitraillés et empalés à Lang-Son). Les Japonais en profitèrent pour armer et appeler à la rébellion les nationalistes indochinois. Pendant toute cette pèriode, aucun secours allié ne fut accordé à la France face au Japon.
Sources :
"Catroux" par Henri Lerner - préface de Jean Lacouture - Albin Michel (1990)
"Georges Mandel ou la passion de la République" par Bertrand Favreau - Prix de l'Assemblée Nationale - Fayard (1996)
"Match" - 28 décembre 1939
"L'Illustration" - 11 mai 1940
"Le Monde Illustré" - 7 avril 1945
"Lang Son" - wikipedia
Publié dans : GEORGES MANDEL, CHATOU DANS L'HISTOIRE DE L'INDOCHINE, CHATOU ET LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE | 22:08 | Commentaires (0) | Lien permanent
06/03/2014
LES ARTS DECORATIFS A L'EPOQUE DE L'USINE PATHE (1929)
Après avoir visité ces théâtres, j’ai cherché une faute, une erreur de goût , un détail à critiquer, et je dois dire que l’éblouissement que m’imposaient tout ce luxe et cet incroyable confort, ne m’a pas permis de garder tout mon sens critique (…) Ph.S
"Le Miroir du Monde" - 10 juin 1933
La première grande salle de cinéma des Champs-Elysées : le "Marignan-Pathé" réalisé en 1933 à l'angle de la rue Marignan et de l'avenue des Champs-Elysées comportant 1800 places (833 à l'orchestre, 320 en mezzanine et le reste au balcon). Oeuvre de la Société Foncière des Champs-Elysées avec le concours de la Société "Constructions Edmond Coignet", des Etablissements Rontaix et de Monsieur Bruyneel, architecte décorateur. Les plans de l'immeuble ont été dressés par Monsieur Arfvidson, architecte du Gouvernement.
La salle de cinéma d'une façade de 33 mètres et ci-dessous, un aspect du hall
"Le Génie Civil" - 17 juin 1933
Le cinéma Paramount (plus tard appelé "Paramount Opéra") inauguré le 24 novembre 1927 à l'angle du boulevard des Capucines et de la Chaussée d'Antin dans le bâtiment du théâtre du Vaudeville construit en 1869. Il comportait une salle de prés de 2000 places et demeura la propriété de Paramount jusqu'en 2007, date à laquelle Gaumont reprit les lieux. Le réaménagement intèrieur de 1927 fut assuré par les architectes Bluysen et Verity. Quelques aspects de cette reconversion figurent ci-dessous.
"Le Génie Civil" - 24 mars 1928
« Maçons, charpentiers en fer, menuisiers, marbriers, décorateurs, électriciens, tous les représentants des corporations du bâtiment se succédèrent et, animés par M.M. Louis Boileau et Charles Besnard, architectes, des mois durant, jour et nuit, travaillèrent jusqu’à ce qu’ils eussent érigés vers le ciel un immense palais, paré de marbre percé de larges verrières, et dont le gros œuvre fut terminé en octobre 1931 (…) ».
« Dans ce vaste hall, sont groupés tous les services utiles au public. Ce bureau fournit à chacun une riche, une abondante documentation. Celui-ci est commun à tous les chemins de fer français. Ces deux autres appartiennent respectivement aux compagnies de navigation maritime aérienne. Ici, le Touring-Club et l’Automobile-Club délivrent les tryptiques nécessaires pour les passagers en douane. Là , le Crédit National Hôtelier pratique le change et l’établissement des chèques de voyage ; plus loin, un service spécial, relié directement à la Préfecture de police, délivre le passeports.
Il y aura même dans quelques jours, dans nos murs un studio, où l’on pourra se faire établir toutes photographies destinées aux cartes d’identité. Cette simple énumération ne vous montre-t-elle point quelle économie de temps, d’urgence et de force nerveuse réalisera le touriste à la veille d’accomplir un voyage ? » (…)
« Voici une salle de correspondance, un bureau de tabac, un bureau de location pour tous les théâtres, concerts, music-halls de Paris ; une autre où les journalistes seront chez eux, pourront téléphoner, travailler se réunir. Deux étages de sous-sols, d’un style aussi moderne, aussi pratique que celui de ce hall, reliés avec lui par un ascenseur double, sont destinés à des expositions temporaires : couture, mode, joaillerie, bijouterie, etc…(…)
Dans nos sous-sols seront également installés un cinéma et des dioramas montrant la prodigieuse richesse de notre pays au point de vue touristique et thermal. Au-dessus du rez-de-chaussée, deux autres étages seront réservés à un salon permanent des industries d’art et à une exposition permanente des manufactures nationales des Gobelins, de Sèvres, de Beauvais, de la Monnaie, de la calcographie du Louvre. »
"Le Miroir du Monde" - 20 février 1932