21/08/2014
LE CABINET DE TRAVAIL ET LE BUREAU PAR GEORGES REMON
Bureau d'un administrateur - maison DIM, meubles en palissandre, frise de couleur crème, fauteuil en cuir rouge
Le catovien Georges Rémon (1889-1963) est l'homme le plus prolixe de ce blog. Décorateur du début du siècle à la deuxième guerre mondiale, il anima la rubrique des Arts Décoratifs, soit par ses entreprises notamment sur les grands paquebots, soit par ses nombreux articles sur la production et la création dans les arts décoratifs.
Le temps s'y prêtait merveilleusement puisque quelques années après la victoire de 1918, la France s'offrit le prestige de l'Exposition Internationale des Arts Décoratifs de Paris de 1925, marquant par là-même qu'une victoire militaire dans un pays exsangue pouvait précéder sa formidable renaissance, et même sa révolution, dans les arts.
Nous nous permettons ainsi d'évoquer un article de sa main édité dans la revue "L'Art Vivant" du 1er juin 1925 consacré au cabinet de travail qui nous a paru très évocateur de son époque:
"L’homme d’affaires est un homme pressé. C’est surtout un homme précis. Son cabinet de travail et de réception doit donner une impression d’ordre, de méthode, de netteté.
Il serait trop aisé de décrire tour à tour, afin de les mieux opposer, un bureau d’homme d’affaires du bon vieux temps, comme un Balzac, ou un Dickens se seraient plu à en détailler le troublant fouillis et celui qui convient à un administrateur imbu des sobres pratiques à l’américaine.
Point de dossiers et de liasses en désordre, de paperasse à la traîne, point de ces lamentables cartons verts que nos administrations publiques seront bientôt seules à vouloir tolérer.
Dans une pièce où l’air et la lumière circulent librement, les meubles devront être nets, et les moins heureux ne seront sans doute pas ces classeurs ingénieusement disposés et répartis, en chêne transparent vernis, ou encore ces bureaux admirablement agencés , répondant de façon parfaite à leur destination même, et dont la conception suit, peut-on dire, des données d’une rigueur toute scientifique.
Bibliothèque maison DIM en acajou satiné ciré
Mais parce que les solutions à adopter sont des plus rigoureuses, la recherche en devait déduire et tenter nos décorateurs amis de la simplicité et que n’effraie pas l’apparent paradoxe de communiquer à une idée empreinte d’une sécheresse toute géométrique, par d’adroits et quasi insensibles correctifs, ce charme tout particulier qui s’attache à tout ce qui satisfait pleinement la raison.
Nous signalions naguère le cabinet de l’administrateur des ateliers DIM comme réalisant d’une manière ensemble ingénieuse et confortable le problème de l’installation de bureau moderne.
Meuble secrétaire en ébène macassar verni, filet d'ivoire - maison DIM
En voici maintenant un autre, que nous estimons également très réussi, œuvre de Francis Jourdain. C’est le bureau d’un directeur, réduit à sa plus simple expression et dont l’agrément certain vient, à coup sûr, de quantités de petits détails observés avec une jalouse et méticuleuse attention. Ce sont les bureaux de de forme carrée reposant sur des pieds de boule qui en atténuent la rigidité ; c’est le dessin des sièges, fauteuils et chaises, qui, en dépit de l’inscription murale invitant le visiteur à être bref, n’entendent pas commettre cette impolitesse d’être inconfortables ; c’est encore la présence d’un tapis dont la tonalité discrète réchauffe cependant l’aspect plutôt frigide des parois nues. Et j’aime aussi la forme choisie pour le plafonnier et l’abat-jour de la lampe de bureau. Cet ensemble constitue une heureuse synthèse. Nous en proposerons d’autres exemples dont nous aimons le parti de simplification ordonnée avec goût.
Dans une lettre adressée à la Grande Mademoiselle, Madame de Motteville, contemporaine des Précieuses, écrivait : « je voudrais que dans toutes les petites maisons il y eut des chambres lambrissées de bois tout uni et dont le seul ornement serait la netteté, et que chacun de nous eût un cabinet qui, selon vos ordres, belle Amelinte, fût rempli de livres ».
Ce n’est pas de la bibliothèque féminine que nous voulons parler mais du bureau que les femmes de jour conçoivent comme un meuble élégant, laissant au Grand Siècle le goût de la pédanterie chez les femmes.
Nos décorateurs ne sont plus à chercher des bureaux et de secrétaires, aimables de lignes et de couleurs, qui prendront place dans le petit salon ou le boudoir de Madame, sans toutefois revêtir un caractère frivole.
Tel celui de Marcel Charpentier, prévu pour un coin de boudoir, pièce finement dessinée, laquée noir avec panneaux en aventurine or.
Bureau des ateliers Marcel Charpentier - meubles en loupe d'orme et noyer ciré, fauteuil en cuir
Tel encore le bureau en amaranthe et bois noir, avec marqueterie, de Maurice Dufrene.
Et tel surtout le secrétaire édité par DIM, meuble précieux en ébène macassar verni, avec filets d’ivoire.
Ces meubles attestent que si nos décorateurs savent, s’il le faut, s’astreindre à respecter la rigueur géométrique d’un ensemble, ils n’en ont pas moins, quand il s’agit de décorer de la demeure féminine le souci de montrer tels qu’ils sont, épris d’élégance et de distinction.
Georges Rémon
"L'Art Vivant" - 1er juin 1925
Publié dans # PATRIMOINE MENACE, : GEORGES REMON, CHATOU DANS LES ARTS DECORATIFS, CHATOU ET L'ENTRE-DEUX-GUERRES | 21:43 | Commentaires (0) | Lien permanent
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