19/03/2012
LES AMIS DE LA MAISON FOURNAISE CONTINUERONT A INVITER RENOIR
Samedi 4 février 2012, les Amis de la Maison Fournaise emmenés par leur présidente Madame Marie-Christine Davy ont présenté lors de leur assemblée générale annuelle salle Jean Françaix l'activité qui a marqué une fois encore la vie patrimoniale et artistique dont l'association est aujourd'hui un symbole. On a tendance à croire que tout a été dit et que tout a été fait. C'est faux. Les 30 ans de l'association ont été fêtés le 7 novembre 2011 de manière éclatante, à la mesure de l'investissement personnel déployé par les membres de l'association en faveur de la restauration de la Maison Fournaise (1990) dont la dépense a été supportée en partie par nos amis bienfaiteurs des Etats-Unis.
A l'initiative de l'association, Madame Mary Morton, Conservateur en chef du Département des Peintures Françaises de la National Gallery of Art de Washington, musée abritant notamment "Les Canotiers à Chatou" (1879), a franchi l'Atlantique pour donner une conférence sur "Renoir et le rococo" le 7 novembre 2011 dans un local prêté gracieusement par ERDF dans l'Ile des Impressionnistes.
Dans un voyage à Madrid, les Amis de la Maison Fournaise ont pu se rendre à l'exposition du Prado également consacrée à Renoir. Parmi 35 oeuvres de l'artiste, on y retrouvait "le Père Fournaise" (1875) et "Le Pont de Chatou" (1875) prêtés par le Sterling and Francine Clark Art Institute.
Lors des Journées du Patrimoine en septembre 2011, un concours de peinture a été lancé par l'association. Madame Pedoussaut du Vésinet a remporté le premier prix Pierre Rannaud pour ses toiles du Pont de Chatou.
Lors de l'assemblée du 4 février 2012, c'est un film pour l'histoire qui a été diffusé : les travaux de réhabilitation de la Maison Fournaise et de ses fresques sous l'égide de Monsieur Jean-Guy Bertauld pour l'association et les directives de Monsieur Lablaude pour la Conservation des Monuments Historiques. Grand moment d'émotion en voyant cette opération si peu banale dans une ville comme Chatou, en voyant réapparaître les fresques sous le papier peint arraché, dans un chantier où tout ou presque était à refaire. Un chantier digne d'une oeuvre impressionniste : de l'obscure et pourtant si glorieuse Maison Fournaise à l'abandon a surgi un bâtiment embelli, comprenant un Musée et un restaurant qui ont réanimé l'endroit et perpétué le souvenir des artistes venus y chercher l'inspiration providentielle.
Des réunions amicales sont organisées au restaurant Les Rives de La Courtille par l'association pour échanger sur les différents sujets qui occupent son objet social, entretenir les relations entre adhérents, trouver des adhésions nouvelles et des bonnes volontés. Le trésorier, Monsieur Marty, maintient une gestion flatteuse et l'organisateur des visites en métropole et à l'étranger, Monsieur Sarron, parvient à mobiliser les adhérents pour un tourisme culturel régulier. Enfin, l'association Art et Chiffons conduite par Madame Danielou permet de confectionner des costumes d'époque qui trouvent au sein des Amis de la Maison Fournaise des occasions de mettre en scène l'habit des Canotiers et de leurs cavalières.
La conférence qui a clôturé l'assemblée générale, par Monsieur Augustin de Butler, auteur de nouvelles recherches, a permis d'établir le passage de Renoir à Londres en 1882, dans un contexte où de nouvelles interrogations se font jour. Le récit de lettres de Renoir nous a fait saisir quelques instants de la vie de cet artiste si connu et encore difficile à cerner. La qualité de l'intervenant a conclu la soirée comme précédemment par le caractère prometteur du dynamisme imprimé dans l'histoire de nos bords de Seine par les Amis de la Maison Fournaise. *
Association des Amis de la Maison Fournaise, 1 avenue Ernest Bousson, 78400 Chatou, tél 01 30 71 09 14 / 06 85 11 85 59 - amisfournaise@gmail.com
* L'association Chatou Notre Ville était représentée par Pierre Arrivetz, également membre de la commission culturelle, Suzanne Blache, secrétaire-adjointe de l'association et Muriel Amiot, adhérente
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29/12/2011
ALFRED COUVERCHEL (1834-1867), LA TOUCHE DE L'ORIENTALISME
Repos à la fontaine en Algérie - 1866
Né le 27 janvier 1834 à Marseille-le-Petit dans l’Oise, Alfred Couverchel fut notamment l’élève d’Horace Vernet à l’Ecole des Beaux-Arts où il entra en 1851. Il se fit reconnaître dans les expositions nationales de 1857 à 1867 en même temps que dans la grande presse illustrée dont il accompagna les gravures.
Une chasse dans les plaines de l'Oudja au Maroc - 1866
Alfred Couverchel a laissé de grandes oeuvres fondues dans l’orientalisme. Ses tableaux ont à la fois distingué les guerres africaines et mis en scène l’Algérie, le Maroc ou la Syrie. En particulier, il participa en 1863 à l’illustration de l’ouvrage « Tour Du Monde – journal des voyages » publié sous la direction de l’historien Edouard Charton (futur préfet de Seine-et-Oise pour le compte du gouvernement de Défense Nationale de Gambetta).
En 1854, lorsque Horace Vernet fut envoyé à Constantinople par Napoléon III afin de reproduire les évènements de la guerre d’Orient, le maître emmena son disciple Alfred Couverchel. C’est ainsi que l’on dut à celui-ci des toiles moins connues célébrant les batailles de son temps : « le général d’Allonville charge les troupes russes à Kanghil, 29 septembre 1855 », référence à la guerre de Crimée ou encore plus tard « la bataille de Magenta, 4 juin 1859 », commémorant la victoire française en Italie sur l’Autriche. Son "tour du monde" dans les bagages d’Horace Vernet pour témoigner des grands évènements n'a jamais vraiment cessé. Si son nom figure parmi les petits maîtres de l’Ecole Française, on doit à sa brève existence de l'avoir empêché d’embrasser une notoriété plus grande.La maladie l’enleva en effet à la couleur des terres inhospitalières qui l’avaient tant inspiré depuis sa jeunesse. Domicilié 117 rue Neuve Saint-Augustin à Paris sous le Second Empire, il mourut à 33 ans.
Alfred Couverchel n’est pas mentionné dans les inventaires des historiens de Chatou. A tort, car son succès lui permit de connaître la villégiature de notre ville où il demeurait depuis 1861 avec ses parents 33 avenue de la Princesse dans le hameau du Vésinet alors dépendance de Chatou, ce dont atteste la matrice cadastrale de Chatou pour la période 1824-1864.
Alfred Couverchel mourut à son domicile le 1er septembre 1867 à quatre heures du soir avenue de la Princesse "au Vésinet commune de Chatou" selon l'acte conservé aux archives de la ville. Ce modeste hommage précèdera, nous l’espérons, des recherches plus complètes sur cet artiste peintre et illustrateur Catovien d'adoption qui fit rentrer l’exotisme dans les foyers de la métropole.
Extrait de l'acte de décès d'Alfred Couverchel mentionné comme "peintre d'histoire" - archives de Chatou
Sources :
- archives municipales de Chatou
- Centre de documentation du Musée d'Orsay
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11/10/2011
LA MORT D'ANDRE DERAIN, LE TEMOIGNAGE DE MAURICE DE VLAMINCK
Couverture du catalogue de l'exposition "Chatou" à la Galerie Bing en mars 1947 par Maurice de Vlaminck. Celui-ci habita Chatou de 1893 à 1905, 39 rue de Croissy (avenue du Général Colin depuis 1918) et 87 rue de Saint-Germain (avenue Foch depuis 1931).
André Derain
Chatou. Les peintres ont porté son nom. Lorsqu'André Derain, qui naquit à Chatou le 10 juin 1880, meurt à Garches le 8 septembre 1954, Maurice de Vlaminck, autre Catovien non moins célèbre, lui parle encore :
"La mort d’André Derain fait ressurgir en moi des images, des paysages…Tout un monde de fantômes, de personnages vieillis, démodés ou encore en vie, se bouscule, s’agite et passe sur l’écran. La bobine dans l’appareil semble dérouler à rebours le film du passé.
Je revois André Derain à vingt ans, déambulant dans les rues de Chatou, l’air las et désabusé, grand, long, efflanqué, ayant l’allure d’un escholier de la basoche.
Dans ses propos, sans transition, il passait de l’amertume à l’humour, de la lassitude à l’ennui, de l’enthousiasme à la confiance et au doute. Il était jeune ! Derain laissait à ses pensées leur libre cours. Mais dans tout ce qu’il disait, dans les préoccupations d’un avenir incertain, une chose dominait et l’obsédait…la Peinture.
Au bout d’un an de travail en commun dans l’atelier que nous avions tous deux à Chatou – atelier devenu historique – Derain partit au régiment. Pendant le temps qu’il passe à Commercy à faire son apprentissage militaire, dans toutes ses lettres, il rage d’être là, encombré d’un fusil et d’écraser les mottes de terre sous ses godillots. Toutes ses pensées, tous ses désirs, l’appellent, autre part : ce qu’il demande c’est d’avoir des pinceaux et une palette chargée de couleurs dans les mains.
« Pour la peinture…m’écrivait-il quelques mois après son arrivée à la caserne, j’ai conscience que la peinture réaliste est finie. On ne fait que commencer en tant que peinture. Sans toucher à l’abstraction des toiles de Vincent Van Gogh, abstraction que je ne conteste pas, je crois que les lignes, les couleurs ont des rapports assez puissants dans leur parallélisme à la base vitale pour permettre de chercher, de trouver un champ, pas nouveau mais surtout plus réel dans sa synthèse.. »
Plus loin, il écrivait : « il ne faut pas oublier que la seule définition complète de l’art est dans le fait du passage du subjectif à l’objectif. Hier, au détour d’un chemin, j’ai vu un vrai Rodin. Une femme portant un gosse à cheval sur une épaule : c’était très beau. Le gosse était raide et vraiment à cheval…L’épaule qui portait, très large. Tout cela était rythmé et vraiment un peu dans l’avenir. Je voudrais tout dire et je ne peux rien dans le papier. Des mots ne suffisent plus, ce ne sont plus que des mots, des dessins ou des sons. Parle-moi si tu as vu des nouveaux Van Gogh ou des Cézanne ou autre chose ? j’ai besoin maintenant d’un travail plus sincère, plus désintéressé que je ne l’ai jamais fait…Ecris-moi deux mots, n’importe quoi ! donne-moi des nouvelles de Chatou, même fausses !. »
Derain employait parfois dans sa conversation et dans ses lettres, des mots crus : mais si l’accent était rude, de tour direct, si le langage était coloré, ce qu’il exprimait relevait de la plus fine sensibilité ou soulignait la plus cruelle observation.
Les expressions parfois grossières étaient là, dites comme un mépris de la crasse indigente, un défi jeté à la bêtise et à l’ignorance. Si invraisemblable que cela puisse paraître, si nous avions certains points communs, la nature d’André Derain et la mienne s’opposaient. Mais si nos moyens de réalisation différaient, nos aspirations étaient qualitativement semblables :nous aspirions à un même idéal en empruntant des chemins différents.
Dés l’enfance, Derain avait été en classe. Ses facultés avaient été cultivées. Ses études au collège lui donnaient des certitudes et le différenciaient de moi. Je n’étais qu’une graine que le vent avait semée au hasard et qui s’accrochait à la terre où elle avait germé, croissant avec son seul instinct et en vue seulement des ses propres acquisitions. Cependant, l’un comme l’autre, nous entendions refaire le monde à notre façon, à notre mesure. Nous y apportions la même hardiesse, le même enthousiasme. Avant d’avoir assemblé les matériaux d’un nouvel édifice, nous démolissions et nous nous placions sur un autre terrain avec l’espoir et parfois la certitude d’arriver à bâtir notre cathédrale. Notre rencontre bouleversa les plans de ses parents. Il était appelé à faire une carrière d’ingénieur, tel était le désir de sa mère ! mais tel n’était pas le désir d’André Derain. Il devint artiste peintre.
En art, un goût sûr lui faisait distinguer le vrai du faux et rejeter l’artificiel et le banal. Le 13 août 1902, il m’écrivait : « il y a bientôt un an que nous avons vu Van Gogh et vraiment son souvenir me hante sans cesse…Je vois de plus en plus le sens véritable chez lui..Il y a bien aussi Cézanne. Grande puissance aussi ! mais à part la peinture de chevalet, il me semble que le but est dans la fresque. Michel-Ange, par exemple, comme sculpture, ses nus sont écrasants, sans but, ne-te semblent-ils pas idiots ou isolés ?
Une chose qui me tracasse, c’est le dessin. Je voudrais étudier des dessins de gosses. La vérité y est, sans doute. Mais il faut se faire une raison. Tout cela n’est plus de notre temps et il faut surtout être plus jeune que notre temps : c’est-à-dire plus vieux comme idées, surtout avoir les idées non seulement d’un futur jeune, mais plutôt d’un futur vieux… »
Et le 18 août 1902 :
« Oui, pour sûr, tu as bien raison, c’est idiot d’être mort lorsqu’on a vécu et c’est bien beau de mourir lorsqu’on ne peut plus vivre. C’est tout naturel d’être mort ou bien en vie lorsque l’on a jamais été.
Chacun pouvait bien écrire ou dire à l’autre qu’il se sentait à bout, qu’il était fou ! mais au fond de soi-même ni l’un ni l’autre ne se sentait vaincu ou las définitivement.
Tous deux, solidement charpentés, dotés d’une robuste constitution et d’un parfait équilibre physique, nous avions nettement conscience de tout ce qui pouvait être malsain, de tout ce qui pouvait altérer nos pensées et notre santé morale. Notre mise n’était certes pas élégante ni même soignée, mais nous n’inspirions ni commisération ni pitié.
Derain était doué d’un sens critique extrêmement développé. Il avait une façon personnelle de voir les êtres et les choses, d’approfondir les questions les plus simples et les plus ardues, mais les conclusions qu’il tirait de ses controverses philosophiques et artistiques arrivaient à le faire souvent douter de lui-même. Après une réplique ambigüe, on pouvait voir dans l’œil de Derain , accompagnant ses derniers mots , une expression de moquerie et sur ses lèvres une petite moue d’indifférence. Il résolvait les problèmes les plus ardus et pénétrait dans le monde des idées avec un petit rire intérieur (…)
Sur l’écran passent et repassent les images du film…1900…Chatou…L’atelier où nous nous retrouvions…où l’on remisait, toiles, couleurs, chevalets…Le pont de Chatou…La Grenouillère…Le restaurant Fournaise…Les balades à pied sous un soleil brûlant ou dans la campagne couverte de neige. Sans un sou dans la poche, nous explorions Paris, parcourant des kilomètres le long des berges de la Seine…Montmartre, l’atelier de la rue de Tourlaque où « les putains respectueuses » de la place Blanche et du Rat Mort venaient poser, celui de la rue Bonaparte où pendant des soirées entières nous parlions des peintres de la génération qui nous précédait, de ce que ces peintres avaient réalisé, des moyens qu’ils avaient employés et dans quel sens et vers quel but ils avaient dirigé leurs efforts. Manet, Renoir, Monet, Cézanne…Et le réalisme : Zola, les Goncourt…Les visites aux musées, au Louvre…Les Primitifs..La naissance du Cubisme. La mode dans l’invention dans la peinture, l’Art, l’intention de l’esprit, Picasso, Guillaume Apollinaire, « Dadaïsme », « Surréalisme »…
Foncièrement classique de nature, de sentiments et de goûts, André Derain acceptait difficilement de s’engager dans le chemin des écoliers que prenait alors la peinture. Cette interprétation déshumanisée, ces rébus d’où la vie était exclue, le chaos dans lequel étaient plongées la nouvelle génération et la peinture, les nouvelles formules en « isme » le rendaient inquiet. Il déserta les Salons et les Expositions, se retira à l’écart pour ne plus être d’avant-garde, acceptant de passer pour « ne plus être dans le coup ».
De tous les peintres de notre génération, je n’en connais aucun, sauf André Derain, qui eût été capable de bâtir, de mettre debout sans vulgarité, gaucherie et banalité, une composition comparable à celle de l’ « Atelier », ou à celle de « Un enterrement à Ornans », de Gustave Courbet.
Nos caractères et notre nature même s’opposaient. Etait-ce cela qui nous faisait nous rapprocher et discuter sans fin sur les mêmes sujets ? la Vie ? la Peinture ? la Peinture qui avait fait naître en nous une amitié qui dura de longues années. Des évènements surgirent. La guerre et la vie firent naître des dissentiments et des heurts et creusèrent pendant plus de vingt ans un fossé profond entre nous. Mais chacun reconnut toujours en l’autre qualités et défauts, sans haine ni mépris.
J’ai revu André Derain deux mois avant sa mort dans une auberge où nous avons déjeuné ensemble. Derain a aimé la vie en égoïste raffiné, il a aimé la bonne chère, le bon vin et les femmes…Sa conversation était empreinte d’un humour singulier.
Je retrouvais malgré les ans qui avaient mûri son visage et alourdi son corps le Derain que je connaissais bien. Pendant qu’il me parlait, je revoyais les toiles qu’il avait peintes à différentes époques. Le goût sûr et raffiné, l’intelligence de son dessin, l’équilibre et l’ordonnance des formes, le choix et la sobriété des tons et de la couleur qui se trouvent dans son œuvre contribuent à faire de Derain un peintre…Un Grand Peintre.
Avant de nous quitter, nous nous serrâmes la main :
- « j’irai te voir, me dit-il. Nous avons tellement de choses à nous raconter et à mettre au point !
Avec André Derain disparaît un des piliers de la Peinture française contemporaine.
VLAMINCK "
Arts – 22 septembre 1954
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29/12/2009
RENOIR (1841-1919) ET LA MAISON FOURNAISE
Né en 1841 à Limoges, Auguste Renoir était allé à Paris, avait pris des cours en 1860 chez le peintre académique Gleyre et rencontré chez lui Monet, Sisley et Bazille avec qui il avait formé le premier cercle des Impressionnistes. Il avait peint à Paris, Fontainebleau, et déjà réalisé nombre de portraits de commandes dans lesquels il excellait. Sa venue à Chatou ne fut pas différente de celle des parisiens qui entendaient parler des charmes de la villégiature au terme de vingt minutes de chemin de fer. Elle répondait à l’appel d’autres de ses confrères qui installaient progressivement leur vie derrière les ombres portées des arbres et des reflets de la rivière. Lorsque Renoir vit les bords de Seine, il en saisit tout l’intérêt pour en dégager la peinture claire et vivante qui peu à peu avait fini par déterminer son travail. Son objectif était autant de rompre avec une forme d'intransigeance académique que d’affirmer la vie, la couleur et la lumière dans des sujets réalistes. Entre 1874 et 1881, ce fut la maison Fournaise qui abrita ses rendez-vous artistiques. La vie y exprimait la liberté chère aux artistes, les amours de jeunesse et une insouciance qui fut peut être plus anecdotique pour un homme qui souffrit de la pauvreté et « s’essaya » avec acharnement à la peinture jusqu’à son dernier souffle, recherchant sans cesse l’expression d’un visage, l’impression d’un paysage, la couleur dans la scène ordinaire. Sa peinture dégageait plus que le reflet d’une époque, elle exprimait la vie, répétait non sans exigence l’image intérieure qu’il recevait du monde qui l’entourait. Chatou, où il rencontra Aline Charigot qu'il devait épouser par la suite, fut sans doute une « maîtresse » des plus agréables. Il lui fit un adieu particulier, l’hommage à tous ceux qui l’avaient entretenu dans le cercle des peintres des bords de Seine, le Déjeuner des Canotiers, toile signée en 1881, où ses familiers, Aline Charigot avec son petit chien, les Fournaise frère et soeur, le peintre et mécène Caillebotte, l'actrice Jeanne Samary, le banquier Ephrussi et d’autres encore, témoignent pour l’éternité sur le balcon de la maison Fournaise.
Les Amis de la Maison Fournaise, en sauvant la maison, ont perpétué le souvenir d’une école, d’une époque, compté les pas d’une vie d’artiste. Ils ont renvoyé vers les nouvelles générations la nature généreuse de ses sentiments pour le monde qui l’accueillait.
La yole (1875) - Londres, National Gallery - Renoir
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03/05/2009
MAURICE UTRILLO PEINT L'EGLISE DE CHATOU
Chatou occupe une place dans la peinture tant pour les grands que les petits maîtres : Derain, Vlaminck, Pharamond Blanchard, Jacomin, Karbowsky, Champenois qui ont habité Chatou, Renoir qui a fréquenté Chatou et peint pour l’éternité ses hôtes de la maison Fournaise. L’historien et ancien maire de Chatou Jacques Catinat mentionne également dans son ouvrage « Les grandes heures de Chatou » le peintre Utrillo (1883 né à la Butte Montmartre -1955), dont on sait qu’il fréquenta Chatou depuis sa résidence du Vésinet où il demeura à partir de 1935. Celui honora notre commune d’une toile, « l’église Notre-Dame ».
A l’heure de l’importante exposition qui lui est consacrée par la Ville de Paris place de la Madeleine, les heures de tranquillité du fils de Suzanne Valadon dans sa propriété de « La bonne Lucie » au Vésinet, qui longtemps connut une vie de souffrance et d’errements, méritent d’être rappelées : laissons donc parler le journaliste « H.K » dans la chronique qu’il réussit à lui consacrer dans le Monde Illustré du 21 juillet 1945, dix ans avant la mort du peintre :
« nous sommes arrivés. C’est ici La Bonne Lucie. Un portail laqué blanc s’ouvre sur un décor d’une étonnante luminosité : pelouses verdoyant sous la pluie des jets d’eau, allées sablées, fulgurants géraniums, arcade de crépi rose noyée dans la ramée d’un saule (qu’on n’ose appeler pleureur tant est joyeux l’éclat de son feuillage !), maison rose à boiseries blanches et, dans une volière, vingt perruches bleues qui chantent et s’activent, car elles ont « goûté le plaisir des amours printanières », et une quantité de petites perruches vont naître bientôt. A l’extérieur de la rose maison, la fête des couleurs continue ; tout est sourire et harmonie. Et c’est dans cette ambiance qui tient du conte de fées que le « frère douloureux de Baudelaire et d’Edgar Poe », l’ancien mauvais garçon qui a fini par bien tourner, coule des jours paisibles. « Il a trouvé une femme qui lui donnera le bonheur », disait Suzanne Valadon lorsque son fils épousa Lucie Valore, veuve du sympathique amateur d’art belge Robert Pauwels. Finis les temps difficiles, pour le peintre de la Butte. Il y a loin de Montmartre au Vésinet, du Lapin Agile à la maison de crépi rose ! tout dans cette installation a déjà un cachet d’immortalité et nous imaginons nos arrière-neveux, venant ici en pieuse visite, comme nous pélerinons dans la demeure tolédane du Greco…
Utrillo et Lucie Valore dans leur maison du Vésinet 18 rue des Bouleaux en 1945
Utrillo n’est pas un travailleur acharné. Il peint vite, mais seulement quand cela lui plaît. Les exhortations des amateurs d’art et des marchands de tableaux n’y peuvent rien changer. Il se lève tard, et reste toute la matinée à errer dans sa chambre, va respirer sur le balcon, récite ses prières, fume cigarette sur cigarette. Il est midi lorsqu’il prend son café au lait et 14 heures lorsqu’il descend à la salle à manger. La bonne Lucie a déjà fini de déjeuner et, abritée de son immense chapeau blanc, s’en est allée peindre dans la campagne, car, depuis trois ans, la femme du grand artiste s’est révélée, elle aussi, peintre de talent. Sitôt son déjeuner fini, Utrillo reprend son rêve, ses allées et venues. Il parcourt le jardin à pas rapides et d’un air préoccupé, revient en arrière comme s’il avait oublié quelque chose, monte à son atelier pour peindre une demi-heure, feuillette son livre d’heures dont il baise pieusement les pages. Il n’est en équilibre que lorsque sa bonne Lucie est à son côté. Alors ses yeux s’éclairent d’une lueur douce, il s’exprime avec des mots choisis, joue avec les chiens, va contempler les perruches.
La traditionnelle bouteille de vin rouge existe toujours, mais non pas constamment à portée de sa main, reléguée à l’office et souvent passée subrepticement sous le robinet par la vigilante épouse ! tous les soirs, un peu avant l’Angelus, saint Utrillo, comme l’appellent en plaisantant quelques amis, se rend à sa chapelle pour faire oraison jusqu’au dîner qui réunit les deux artistes. Enfin, c’est l’heure du travail, l’intimité de l’atelier, jusqu’à deux heures du matin. Tout se tait dans les propriétés voisines, les trains ne passent plus, dans la volière, les perruches bleues sont endormies. Alors Utrillo, lui, se réveille et prend ses pinceaux. La lueur de l’électricité qu’il préfère au jour, il reproduit en couleurs délicates et fondues l’infinie variété de la nature. A ses côtés Lucie Valore brosse une de ces toiles ingénues et éclatantes qui ont d’emblée conquis la faveur du public. Ce couple d’artistes s’est montré parfait pendant l’occupation, refusant de vendre aux Allemands, cachant des réfractaires et donnant généreusement des tableaux représentant plusieurs millions pour la Résistance et les œuvres de prisonniers. La générosité d’Utrillo est d’ailleurs bien connue. Une maxime naïve s’inscrit sur le mur de leur salle à manger : « tout ce qu’on donne fleurit – tout ce qu’on garde pourrit. » Et ils aiment la mettre en pratique.
Le miracle est que, dans cette vie ouatée de confort et de tendresse, Utrillo est resté l’artiste prodigieux qui n’existe qu’en fonction de son état de peintre. Il n’est pas sorti de son royaume de solitude et de silence et ses toiles peuvent atteindre les plus hautes cotes, il ne sera jamais entraîné dans la ronde des arrivistes. Canalisé, mais inchangé. Le génie est immuable. Il est d’ailleurs revenu à sa première manière et ses sujets de prédilection restent Montmartre et les villes de banlieue, les rues désertes entre des maisons pauvres mais rayonnantes de poésie, des murs lépreux mais caressés par le soleil, l’humble carrefour où l’on croit entendre la rengaine nostalgique d’un joueur d’orgue de Barbarie, à moins que ce ne soit, derrière ce volet mi-clos, la vieille boîte à musique (ö Déodat de Séverac) qui égrène sa candide ritournelle. Utrillo psalmodie le calme désoeuvrement des choses, le bonheur sans histoire. Un bonheur que ne connaissent pas les assoiffés de vitesse, un bonheur ignoré de ceux « qui s’ennuient au logis. » Deux perruches bleues s’aimaient d’amour tendre…"
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