05/02/2012
L'AFFAIRE DES 27 MARTYRS DE CHATOU LE 25 AOUT 1944
Le tribut de Chatou aux heures sombres de l'histoire a atteint son apogée dans les guerres du XXème siècle. La moins conventionnelle, la deuxième guerre mondiale, nous apporta son fardeau de meurtres sur fond de règlements de comptes.
Depuis la percée d’Avranches du 31 juillet 1944 permettant l’avance de la 2ème D.B. du général Leclerc, les multiples opérations menées par la Résistance à Chatou sous la direction du commandant Torset avaient abouti à l’évacuation de l’armée allemande, puis le jeudi 17 août 1944 à la reprise de possession du château de la Pièce d’Eau, enfin à celle de la mairie le lundi 21 août.
Après avoir pris leurs quartiers au château de la Pièce d’Eau, les résistants F.F.I. de Chatou installèrent sous bonne garde dans le garage de la propriété une quarantaine de prisonniers [23 Allemands, dont deux grièvement blessés, ainsi qu’une vingtaine de miliciens et de femmes] mais ils furent très vite dénoncés par des collaborateurs auprès des Allemands fugitifs. Le mercredi 23 août 1944, Raymond Acquart en embuscade à quelques mètres de la rue Esther-Lacroix fut abattu par une colonne allemande remontant la rue Camille Périer.
Le jeudi 24 août 1944, Paris acclamait la 2ème D.B. du général Leclerc tandis que les Allemands qui se trouvaient encore à l’ouest de la capitale prenaient la précaution de miner les ponts, dont celui de Chatou. Aussitôt informés, les résistants de Chatou décidèrent d’accueillir au château de la Pièce d’Eau des civils domiciliés près du pont afin de les protéger de sa destruction annoncée. Le vendredi 25 août 1944, un détachement allemand d’arrière-garde de S.S., armé de grenades et de mitraillettes, prit violemment d’assaut le château de la Pièce d’Eau, ce qui amèna le commandant Torset à devoir désarmer la soixantaine de résistants qui s’y trouvaient.
Les Allemands insistèrent alors pour savoir où se trouvaient leurs prisonniers. Voulant éviter un massacre de civils, le commandant Torset conduisit les Allemands à la maison de la Villa Lambert où les prisonniers du garage avaient été mis à l’abri par leurs gardiens, mélangés aux civils réfugiés. C’est là, à la Villa Lambert, qu’Auguste Torset fut abattu, et que se firent brutalement arrêter ses camarades désignés comme des "terroristes" par certains prisonniers de langue allemande.
Après avoir fait évacuer les deux blessés allemands, puis obligé les trois plus jeunes résistants à creuser une fosse devant le château, les Allemands aidés des prisonniers délateurs prirent le temps de fouiller la propriété, d’y trouver du champagne, de le boire et d’utiliser les bouteilles vides et des tessons comme matraques, assommant, fusillant et mutilant sauvagement les "terroristes" qui leur avaient été désignés, avant de les ensevelir les uns sur les autres, morts ou vifs. On ne dut le départ des Allemands et de leurs comparses vers 21 h 30 qu'à l’arrivée imminente de détachements alliés. Le samedi 26 août 1944, l’armée Leclerc entra à Chatou tandis qu’au château de la Pièce commençaient les exhumations du charnier miné par les Allemands, puis l’identification des Martyrs.
"Le Soir" rapporta :
"La grande porte du garage du château de Chatou porte encore les traces de la tuerie du 25 août. Voyez le sang qui a giclé jusqu'en haut de la porte et les trous faits par les balles de mitrailleuses. Autour de cet emplacement, nous avons retrouvé des doigts. La fosse est à trois mètres de là. Vingt-sept corps sont entassés dans un trou d'un mètre de profondeur. C'est le plus jeune, un gosse de 16 ans, employé de la gare, qui était chargé de transporter ses camarades dans leur sépulture. Arrivé au vingt-sixième, lui comme les autres y passa. "J'ai retrouvé mon fils dans cette fosse, il avait 23 ans. Le pauvre enfant était nu, un bras cassé, les yeux arrachés, des doigts en moins. Ils ont été enterrés vivants. On les a retrouvés la bouche pleine de terre, les mains crispées dans le sol. Des drapeaux français, lacérés, déchirés, étaient enterrés avec eux."(...) Mais le cynisme des assassins ne s'était pas arrêté là. Après le massacre du parc du château, ils sablèrent le champagne. Sur la fosse, ils avaient déposé des mines, afin que personne ne puisse approcher."
"Le Soir" - Archives municipales de Chatou
Les 27 fusillés de Chatou : lieutenant Torset, lieutenant Lecaron, Martial Fleury, Robert Alexis, Roger Lemoine, Raymond Acquart, Georges Blaizot, André Couespel, Henri Fisseux, Louis Gaudillet, Joseph Grand, Pierre Jallu, Eugène Jeffrault, Lucien Jeffrault, Victor Kurtz, Adrien Laurent, Pierre Le Bihan, Eugène Le Tyrant, Yves Louis, Jean Mauchaussat, Gabriel Morel, Jacques Mouchard, Robert Noë, Henri Painchaud, Robert Rateau, Henri Richaume, Jean Ramain.
Ci-dessus, l'hommage du 28 août 1944 aux 27 Martyrs au château de la Pièce d'Eau puis au cimetière de Chatou rue des Landes où toute la ville semble s'être donné rendez-vous en présence de soldats des armées Leclerc et Eisenhower. Le 22 octobre 1944, l'avenue de la Pièce d'Eau reçut le nom d'avenue des 27 Martyrs.
Le 17 mai 1946, la Cour de Justice de Versailles, juridiction d'exception, rendit son verdict sur le crime commis contre les 27 Résistants de Chatou. Ceux-ci avaient en effet été assassinés sur une délation qui avait fait revenir les Allemands à Chatou. Le président de la Cour, Pihier, avait été l’un des magistrats instructeurs de l’affaire Prince en 1934.
Les accusés reconnurent les faits. Graff et la veuve Toupnot furent condamnés à mort, Buchard et Apostolides furent condamnés à 15 et 8 ans de travaux forcés, la femme de Graff fut condamnée à 5 ans de réclusion, Haffray à un an de prison. Tous les condamnés furent désignés à l’Indignité Nationale.
Une image des accusés dans le box et de leurs défenseurs - collection et recherches Annick Couespel
L'EDITORIAL DE FRANCOIS MAURIAC DANS LE FIGARO DU 18 MAI 1946
« Dans cette affaire sinistre de Chatou que l’on juge à Versailles, je détourne mon attention des traîtres sur les victimes. Je pense à ce chef résistant qui se dénonça lui-même à l’ennemi revenu, espérant que sa mort sauverait celle de ses camarades et qu’il paierait pour tous (le commandant Torset qui habitait 66 route de Montesson à Chatou).
A peine osons-nous aujourd’hui parler de la Résistance, comme si entre ces héros et nous s’accumulaient trop de réputations menteuses, trop de fausses gloires, comme si nous n’arrivions plus à discerner ceux d’entre eux qui se démasquèrent, le moment venu, à l’heure du plus grand péril.
Ils ont existé pourtant, et beaucoup parmi ceux qui ont vécu étaient dignes de parler en leur nom. Que s’est-il donc passé ? toutes les impostures, tous les crimes, toutes les usurpations de certains ouvriers de la dernière heure ne suffiraient pas à expliquer ce discrédit. Sans chercher les responsables d’un côté plutôt que de l’autre, reconnaissons simplement que l’esprit de la Résistance a été contaminé par la politique. Dans un homme, pourtant, il subsiste à l’état pur. Le pèlerinage du général de Gaulle à la tombe de Clemenceau, nous avons toujours su qu’il ne dissimulait aucune pensée.
C’était le geste d’un chef dont toute la politique, depuis qu’il s’est éloigné du pouvoir, tient dans la conscience qu’il a d’incarner cet esprit auquel tant de Français sont devenus infidèles et que la surenchère des partis a disqualifiée. Aucune autre ambition en lui que de rester fidèle pour nous tous : il demeure au milieu de nous, et il n’est pas nécessaire que sa voix s’élève pour que nous nous souvenions de quel esprit nous sommes.
Son pouvoir véritable ne dépend pas de la place qu’il occupe. Les Français dont la faute essentielle, dont l’unique faute fut de désespérer de la France à l’heure de son plus grand abaissement, et par des propos partout répandus, d’accabler leur mère humiliée, sont jugés, qu’ils le veuillent ou non, par ce Chef solitaire, assis à l’écart et qui n’est plus rien dans l’Etat.
Mais c’est de lui que la lumière émane : s’il occupait de nouveau la première place, il n’en recevrait aucun surcroît. Pas plus ses adversaires que lui-même, personne ne peut faire qu’il n’incarne toujours, partout où il se trouve, la même fidélité…et aussi le même désintéressement : je me souviens, au moment de la délivrance, comme notre Secrétaire Perpétuel l’avait fait pressentir pour qu’il acceptât de siéger à l’Académie, il fit répondre qu’il ne voulait recevoir aucune récompense de la patrie avant d’avoir accompli sa mission : il ne croyait pas qu’il eût encore fait assez.
Tant qu’il sera là, les victimes des collaborateurs de Chatou et tous ceux qui ont combattu le même combat auront au milieu de nous un répondant : grâce à lui, nous conserverons leur mémoire, et nous serons forcés de réveiller les souvenirs chez ceux qui oublient , et dont c’est l’intérêt d’oublier…
A l’heure des ténèbres, eux qui n’ont pas été fidèles, ils auront beau feindre de l’avoir été, cet homme les rappellera par sa seule présence au sentiment de leur misère, de cette misère qui nous est commune, bien sûr, et à laquelle, comme le rappelait le général de Gaulle lui-même au lendemain de la Libération, nous avons presque tous plus ou moins participé.
Il ne dépend de personne que chacune de nos vies n’ait pris, durant ces quatre années où la marée allemande nous a recouverts, comme une coloration qu’elle ne perdra plus.
Ces quatre années continuent de nous juger, ou plutôt, elles nous ont déjà jugés : elles ont fait remonter du plus secret des coeurs , elles ont fait apparaître en pleine lumière ce qui était caché, le meilleur, le médiocre et le pire. Nous nous débattons en vain : nous avons tous au front désormais une marque, un signe, une note que le destin nous a donnée, qu’aucune complaisance n’effacera et que nous emporterons dans la mort."
Le sacrifice des 27 Martyrs est commémoré chaque année au château de la Pièce d’Eau.
C’est celui de la jeunesse de la France défendant la liberté et l’indépendance séculaires d’une grande et vieille nation.
A propos des 27 Martyrs :
"Les Voix de la Guerre 1939 - 1945", coffret de deux cd audio mêlant voix historiques et témoignages réalisé par l'association Chatou Notre Ville avec la collection José Sourillan et en partenariat avec l'Association des Résistants, FFI et Fusillés de Chatou - coffret disponible par commande à l'association (voir notre article sur la présentation du coffret à Chatou le 10 décembre 2011)
Reportage "Aux héros de Chatou" réalisé par Pathé pour son Journal d'actualités cinématographiques du 4 septembre 1946 conservé par Gaumont-Pathé Archives, société chargée de la restauration et de la commercialisation des actualités cinématographiques.
"Histoire de Chatou" de Paul Bisson de Barthélémy (1950)
"Le feu et la foi"
Amicale des Anciens de la Résistance et F.F.I. et Familles de Fusillés de la Résistance - 6ème région Ile-de-France - 4 route de Montesson 78420 Carrières-sur-Seine - Tél. : 09 60 11 65 23 - E-mail : alainhamet@orange.fr
Publié dans :: LES 27 FUSILLES DE CHATOU, CHATOU ET LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE | 11:53 | Commentaires (1) | Lien permanent
Commentaires
C'est bien dommage que les jeunes ne connaissent pas assez l'histoire ancienne de Chatou cela donne vraiment à réfléchir
Écrit par : Pierre G | 09/02/2014
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