1804

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16/04/2012

1912 : IL Y A CENT ANS, LE NAUFRAGE DU "TITANIC" CEDAIT LA PLACE AU LANCEMENT DU "FRANCE"

 TITANIC 3.gif

Gravure du supplément du Petit Journal -28 avril 1912

 

 TITANIC PRIERE.jpg

La prière sur les lieux du naufrage du "Titanic" à bord du "Mackay-Bennet" affrété la White Star Line. L'expédition permit de repêcher une centaine de nouveaux cadavres. Gravure du supplément du Petit Journal - 5 mai 1912  

 

 

L'année 1912 sonna comme le glas de la Belle Epoque. En dépit des affaires européennes où un semblant de détente paraissait annoncer un avenir sans nuage, le monde n'eut d'yeux que pour la catastrophe maritime qui emporta le 15 avril 1912 le gratin du monde des affaires, ou plutôt des milliers de pauvres gens sous les sentences présomptueuses des promoteurs du plus grand navire de son temps, le "Titanic" de la White Star Line. L'aventure humaine n'apparaissait plus sans danger ni sans limite.  

Cinq jours après le naufrage, la Compagnie Générale Transatlantique, encore sous capitaux entièrement privés,  avait entendu répliquer dans un domaine accaparé par le monde anglo-saxon par une audace :  le lancement du paquebot "France" (illustration ci-dessous).

 

 FRANCE 1912 32.jpg

 

Non un défi par sa taille, modeste pour ses concurrents avec ses 220 mètres en longueur. Mais imposant ses quatre cheminées (de 34 mètres de haut) que l'on ne retrouva sur aucun autre paquebot français, il se situa en première place pour la richesse du décor intèrieur,  alliée aux impérissables ressources de la gastronomie française et à la cordialité du service.

L'identité française n'était plus reléguée, elle était instruite sur les flots et portée par les artistes dont les noms cités aux  salons des Beaux-Arts rencontraient là une évidente célébrité.

Le style dominant, le style "Grand Siècle", valut au navire d'être surnommé le "Versailles des Mers", au gré de la réputation que lui accordait ses 2000 passagers lors de chaque traversée vers l'Amérique. Des décorateurs se surpassèrent pour y installer le confort de la "grandeur française".

 

FRANCE 41.jpg

 

Le style "louisquatorzien" égrenait les plus grandes salles du pont des premières classes.  

Le salon mixte de musique décoré par les ateliers Rémon dont le futur Catovien Georges Rémon était l'un des maîtres d'oeuvre, menait à une enfilade de pièces, salon mauresque, café-fumoir, café-terrasse, dont la réalisation fut confiée à ces mêmes ateliers.

FRANCE 1912 2.jpg

Salon mixte de musique décoré par les ateliers Rémon et fils à bord de "France" 1912

 

Plus vaste encore que le grand salon, ce salon mixte de musique permettait à des passagers assis dans des fauteuils de style Régence placés au milieu de colonnes en marbre rose de deviser sous d'authentiques toiles de maîtres, en l'occurrence des "marines" de Lacroix de Marseille de 1774. L'ensemble était éclairé par une immense verrière.

 

FRANCE 1912 3 SALON MAURESQUE.jpg

 

Quant au salon mauresque créé par Rémon, celui-ci tranchait volontairement avec le style ambiant. Il bénéficia de la présence d'un serveur algérien en habit traditionnel, accentuant l'évasion des passagers. Cet exotisme soudain devait tout à l'existence de l'empire colonial français dont l'Afrique du Nord était le meilleur symbole, lui-même à la source de l'orientalisme qui s'était développé depuis le milieu du XIXème siècle dans la peinture et l'architecture.

L'arrivée de la Grande Guerre deux ans plus tard marqua la transformation du paquebot pour le transport de troupes. La Compagnie Générale Transatlantique paya le prix de la réquisition : 29 de ses navires furent coulés dont deux paquebots, "La Provence" et "Le Carthage", cependant que "France" échappa par le tir de son unique canon à l'attaque d'un sous-marin allemand. 

La mise à la retraite du "France" n'intervint qu'après la mise en chantier du "Normandie" en 1932.

 

FR1NCE 1924.jpg

Une image indissociable de la France. En 1924, à bord du "France" 1912, le président du Club des Cent, Louis Forest, remet au chef Jean Leer une médaille et un "diplôme de bonne cuisine".

Entre les deux avec une moustache, John Dal Piaz, président de la Compagnie Générale Transatlantique de 1920 à 1928, qui lança " l'Ile-de-France " en 1927, fut le promoteur d'une grande hôtellerie en Afrique du Nord et du premier billet "train-paquebot-hôtel-auto" (un monument lui fut dédié à Casablanca en 1931 après sa mort).

"L'Illustration" écrivit au sujet des cuisines : "l'espace est si grand que l'on n'arrive pas à démontrer du premier coup d'oeil  l'armée de la bonne chère qui compte 25 cuisiniers, 8 pâtissiers, 8 boulangers, 6 bouchers. Au dessert, le grand chef, un Breton, Monsieur Jean-Yves-Marie Leer, s'avança, presque timide et un peu ému pour recevoir, des mains de Monsieur Forest, la plaquette d'argent qui consacre trente-cinq ans de loyaux services et de cuisine supèrieure à bord de la Transatlantique."

Le menu avait été le suivant : " Cantaloup frappé au Porto et grappe fruit frappé au Xérès, Filets de sole à la Marocaine, Suprême de volaille à la Transatlantique, Asperges sauce Chantilly, Cailles de France à la Montmorency, Salade mimosa, Fromages, Fraises voilées à l'Algérienne, Mignardises, Corbeilles de fruits ". Le reporter précisa : "les Fraises à l'Algérienne sont un perfectionnement heureux des Fraises Melba : à la glace à la vanille sur laquelle reposent les fruits, on ajoute une couche de crème Chantilly "...

 

 

Sources :

"Arts Décoratifs à bord des Paquebots Français 1880 - 1960" - 1992 - éditions Fonmare par Louis-René Vian

"A la page" - 28 avril 1931

 

 

BULLETIN MARITIME COUV.jpg 
Pour en savoir plus, le bulletin historique de l'association 2010 (62 pages), en vente au prix de 15 euros pour les non-adhérents.Pour tout renseignement : piarri@orange.fr
 

LOCO DU PATRIMOINE 2.jpg

 

Locomotive SNCF 241 P compound fabriquée aux usines Schneider du Creusot de 1948 à 1952, emblème de l'association.

 

06/04/2012

ANDRE DERAIN, IMPRESSIONS SUR LE CINEMA (1934)

 ANDRE DERAIN PORTRAIT.jpg

 Ayant à coeur de valoriser le patrimoine de la ville au XXème siècle, l'association a défendu son patrimoine industriel, mis en exergue par un coffret audio les moments forts de la Seconde Guerre Mondiale, évoqué sur ce blog les liens de Chatou avec le cinéma... Dans ce dernier domaine, nous ne pouvions que faire part des idées du peintre André Derain, né à Chatou en 1880, dans une interview à une journaliste du magazine cinématographique "Pour Vous" du 24 mai 1934 :

« Ce que je reproche au cinéma, c’est de n’avoir pas encore trouvé sa littérature. Il s’empêtre dans des anecdotes qu’il prend au roman, ou bien qu’il pille au théâtre. Ce ne sont qu’ "adaptations pour l’écran".

Comme si le monde des images ne devait pas posséder une technique nouvelle, différente, à coup sûr, de celle des livres et de celle des drames qui se jouent sur scène avec des personnages en chair et en os !..."

J’écoute Derain, qui parle doucement en faisant peu de gestes. Nous sommes dans sa maison charmante, posée dans un décor printanier d’arbres feuillus, d’oiseaux, avec un pan de ciel bleu et blanc qu’on aperçoit par la fenêtre. Malgré toute la gloire qui environne son nom, le peintre a de la gentillesse, un doux sourire, un éclair gai au coin de ses yeux. Il a bien raison d’être aimable, autrement sa taille considérable ferait un peu peur…

Il rappellerait assez les géants qui sont bons ou mauvais, on ne sait jamais, la première fois qu’on les rencontre.

Mais Derain n’entend point mes pensées. Il continue :

"Jusqu’à présent, le cinéma, ou plutôt la fabrication des films, est si compliquée, si difficile, elle met en train tant d’artisans, tant de machines, qu’elle ne nous donne presque toujours que des objets manufacturés et non point une œuvre d’art !"

N’est-ce pas toujours ainsi quand il s’agit d’une chose considérable ?

"Mais non, voyez autrefois quand on bâtissait des cathédrales merveilleuses. On utilisait des compétences innombrables et diverses, pourtant l’œuvre d’art naissait, parce qu’il y avait une cohésion, une entente entre les collaborateurs et surtout, parce tous obéissaient à une direction très précise et autoritaire."

Il y avait peut-être aussi la question d’argent qui était moins aigüe ?

"Oui et non ! la plupart des grands ouvrages du Moyen-Age se sont faits par contrat, liant, comme aujourd’hui, étroitement employeurs et employés. Mais ceux qui investissent des sommes dans le cinéma exigent un intérêt exagéré, qui mène chaque affaire à la banqueroute."

Dans le salon, un joli petit chat gris est grimpé prestement sur la table où je prends mes notes, puis sur mon épaule. Il a des gestes d’une souplesse, d’une douceur infinies. Derain dit en le regardant :

« Tout de même, le cinéma nous a apporté quelque chose de nouveau, que jusqu’alors l’œil humain  n’avait pu deviner, mais que la peinture et la photographie n’avaient pu saisir que par hasard, par accident. Il nous a révélé certains mouvements que les artistes avaient discernés presque sans les voir. Aussi bien chez les animaux que  chez les êtres humains, le corps a des mouvements de passage, des ruptures d’équilibre très brèves, très belles et qui mettent en valeur  telles attitudes, tels muscles, toutes sortes de jeux à quoi on n’avait jamais fait attention. Ainsi, j’ai filmé ce chat jouant dans la maison, dans le jardin. J’ai filmé des gazelles, des chevaux, des femmes nues. La bande de celluloïd a surpris des gestes dont je n’avais qu’une faible idée. Aussi, voilà en quoi le cinéma est merveilleux : il nous apporte une moisson de documents qui enchantera notre esprit.

Le cinéma n’est-il pas aussi un appel aux sens ?

"Jamais de la vie ! le cinéma, c’est le cauchemar, le fantôme. Les histoires d’amour qu’il nous raconte sont toujours lamentables. On dirait que les metteurs en scène  ont été chargés d’illustrer le proverbe populaire : « plus c’est triste, plus c’est beau ». D’un autre côté, il faut que les personnages aillent jusqu’au baiser pour qu’on soit ému. Et encore ! alors qu’au théâtre, c’est bien différent. Tout parle avec sens, et surtout la voix des acteurs."

N’avons-nous pas le cinéma parlant ?

"La voix humaine reproduite dans les scénarios est métallisée, banalisée, insupportable, sans souplesse. Elle ne vous donne pas d’émotion, elle vous agace ! pourquoi ne pas en convenir ? le cinéma est encore un art bégayant, un art qui utilise des moyens grossiers. Par exemple, actuellement, le drame est en trompe-l’œil. C’est le coup de revolver ou la mort qui finit tout, alors que dans la vie ce paroxysme réel et matériel n’a souvent rien à faire avec le drame. Le drame, c’était avant, ou ce sera après le coup de revolver, et combien il sera plus difficile à exprimer !"

La conversation de Derain est à la fois si substantielle et si abondante que je puis à peine prendre quelques notes. Maintenant, il suggère :

"Il devrait y avoir des bibliothèques de films, que l’on pourrait aller consulter comme on va demander des livres. Par exemple, si je veux peindre une rue de Pékin, ou un coin de Colorado, ou les bords du Nil, je voudrais pouvoir aller me renseigner au moyen d’images vraies prises sur les lieux et non point lire et lire des bouquins, ou me mettre en route pour l’autre bout du monde si je n’en n’ai point envie."

Le bon géant sourit en m’accompagnant vers la porte. Il promet de me convier à la présentation d’un petit film dont le siamois gris sera le principal acteur.

                                                             Michelle Deroyer"