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29/11/2012

RAYMOND SUBES PAR GEORGES REMON OU L'AGE D'OR DE LA FERRONNERIE

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Cage d'escalier par Patouillard-Demorianne, architecte, et rampe par Raymond Subes, ferronnier 

 

La ferronnerie connut une sorte d'âge d'or dans l'entre-deux-guerres. Le mouvement des Arts Déco imprimé par la France lui apporta une place particulière dans le monde de l'art. Le décorateur Catovien Georges Rémon (1889-1963), qui en fit la promotion notamment à travers son propre dessin sur le paquebot "Paris", revient ici dans son rôle d'observateur de l'art contemporain dans un article de 1926 consacré à Raymond Subes (1893-1970), l'un des plus illustres ferronniers français, employé dans l'entreprise de ferronnerie d'art d'Emile Robert et Ernest Borderel. Raymond Subes devait plus tard être attaché à la décoration des paquebots "L'Atlantique" (1933) et "Normandie" (1935), temples de l'Art Déco sur les océans :

"Il est hors de conteste que nos modestes ferronniers ont su admirablement traiter tous les problèmes que leur proposaient nos architectes et nos décorateurs et que les meilleurs d’entre eux ont atteint par la vigueur et la grâce de l’exécution, par le sentiment des belles ordonnances architecturales, une maîtrise qui ne nous interdit pas de les comparer aux plus grands artisans du passé.

On sait quelle part revient à un Emile Robert dans ce renouveau d’une technique et non d’un art. Comment ne pas associer à ce nom vénéré celui d’un créateur tel que Raymond Subes, l’un de ceux qui ont à coup sûr le mieux compris, le mieux interprété, avec des dons tout personnels, la robuste et noble leçon du maître.

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Cage d'escalier par Bruno Pélissier, architecte, et rampe par Raymond Subes, ferronnier

 

Nulle pièce sortie de ses mains, qu’il s’agisse d’une grille, d’un balcon, d’un départ et d’une rampe d’escalier, d’un lampadaire, d’un cache-radiateur, qui n’accuse le plus vif souci de simplification, de clarté, de netteté en même temps qu’un sens très averti de la composition ornementale, à la fois très sobre et très raffinée, stylisée avec une délicatesse et une virtuosité hors de pair.

 

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Escalier et terrasse par Hennequet frères, architectes, et balustrade par Raymond Subes, ferronnier

 

Faut-il évoquer ici combien fut importante la participation de Raymond Subes à l’Exposition de 1925 , tant à la classe du métal que dans quelques-uns des pavillons et ensembles les plus remarqués.

Rappelez-vous les ferronneries du pavillon Corcellet, à la douce patine bleutée, exécutées sur les plans de l’architecte P. Marrast, ou encore la porte du pavillon de la Société des Architectes, sur les plans de Tournon, rappelez-vous l’étonnante variété de ces lustres, lampes, appliques, consoles, miroirs, incomparables par le fini du détail et par l’esprit synthétique.

 

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Table, par Raymond Subes, ferronnier

 

Partout l’excellente remarque de mon ami G. Denoinville notant chez Subes l’heureuse subordination de l’effet décoratif à l’ensemble architectural. Ses œuvres, ajoutait-il, y gagnent ainsi en clarté et en vérité. »

En clarté, parce qu’il arrive, avec des moyens de composition qui lui sont très personnels, à tirer un parti excessivement ingénieux, ce qui emprunte de moins en moins aux éléments florifères des assemblages, des barres de fer, sans avoir recours à l’imitation, en leur infligeant  toutes les courbures possibles et en procédant par grandes lignes constructives qui dérivent le plus souvent de formules géométriques.  

Aussi bien ne soyons pas surpris si Raymond Subes est le collaborateur intime d’architectes aussi réputés que M.M. Perret, Tournon, Marrast, Haubold, Droz, Paquet, Expert, Hulot, Roux-Spitz, Lelièvre.

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Escalier par Granet, architecte, et Subes, ferronnier

 

Nous reproduisons ici quelques pièces récentes du maître ferronnier, en particulier plusieurs très belles rampes d’escalier, exécutées en collaboration avec M.M. Patouillard-Demorianne, Bruno Pélissier, Granet et Hennequet Frères.

Et ce sont encore une remarquable grille de porte avec imposte, à motifs fleuris, ou la grille de fenêtre à motifs filiformes. Subes exposait aux artistes décorateurs console, grilles et lampadaires présentés avec une aimable fantaisie, en même temps que de chatoyantes étoffes de Bianchini dont la souplesse et la grâce se mariaient avec bonheur à la rigidité et à la pureté des lignes du métal martelé.

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Porte par Lelièvre, architecte et Subes, ferronnier

 

Ce stand, l’un des meilleurs du salon, attestait les plus fines nuances du goût avec lequel Subes sait exalter dans l’esprit même de la matière qu’il façonne, la précision de son sentiment décoratif.

Nous retrouvons toutes les caractéristiques de son beau talent dans la table en fer avec piédestal et plateau de marbre que nous reproduisons, et surtout dans les ouvrages d’un style si pur, si dépouillé, où bannissant l’ornement floral, le maître ferronnier se meut dans les simples arabesques, les entrelacs, les réseaux et les moulurations rectilignes.

Voyez notamment à quelle sobriété de moyens et tout à la fois à quelles harmonieuses proportions est due la beauté grave et ferme d’une grille comme celle qui a été exécutée avec la collaboration de l’architecte Dureuil ou celle dont le décorateur Perret a fourni le modèle, comme celle, enfin, plus nourrie, plus pleine où se reconnaît la griffe de l’excellent architecte P. Marrast.

 

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Cache-radiateur par Raymond Subes

 

Il me semble que, dans ces créations, Raymond Subes affirme avec un bonheur singulier la mâle sûreté de son goût de plus en plus épris de simplicité, de calme et de perfection.

Georges Rémon 

Jardins et Cottage - juillet 1926

 

 

 

 

11/11/2012

"CLEMENCEAU" SUR FRANCE 3

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Sortie du Traité de Versailles: au premier plan, Clemenceau et Wilson, au fond, quatrième en partant de la gauche, Georges Mandel, son jeune chef de cabinet, né à Chatou le 5 juin 1885. Source : "Georges Mandel, l'homme politique" par Georges Wormser - cliché coll. Georges Sirot - Librairie Plon 1967.

 

Servi par une reconstitution sans défaut et des comédiens excellents, Didier Bezace dans le rôle de  Clemenceau, Marc Citti dans celui de Georges Mandel, Grégory Gadebois dans celui de Georges Wormser et Thierry Gibault dans celui du général Mordacq, le téléfilm « Clemenceau » d’Olivier Guignard diffusé sur France 3 le 10 novembre 2012 a offert au grand public l’histoire d’une phase décisive de la Grande Guerre. Alors que le conflit mondial, loin de s’enliser, tournait au désavantage de la France trois ans après son déclenchement, Georges Clemenceau, ancien président du Conseil de 1906-1909 alors âgé de 75 ans, fut nommé en désespoir de cause par le président Poincaré. Changement de chef, changement de méthode, changement de commandement, changement d’attitude. La durée et le caractère meurtrier du conflit auraient perdu tout sens si la France avait signé une paix blanche. 

Le général Foch nouvellement nommé contenait l’invasion, mais il manquait les clés de la victoire : l’arrivée du million de soldats américains conjuguée au lancement des chars et à la multiplication des avions, fit  passer l’espoir dans le camp allié en août 1918. La persévérance payait enfin, Foch faisait reculer l’armée allemande. Pendant tout ce temps, Georges Mandel agissait, défaisait les intrigues, représentait Clemenceau dans tous les secteurs hors la guerre. Il fut le chef de cabinet de Clemenceau, l’homme de confiance détesté qui tint les parlementaires jusqu’à la victoire.

Même en fiction, le discours de Clemenceau et ses paroles sur la « France retrouvée » aux côtés des représentants de l’Alsace-Lorraine, ont permis au spectateur de ressentir l’émotion bouleversante du sacrifice et de la gloire du pays. « Etre fort pour imposer la paix », un appel de raison de Clemenceau rendu à la vie civile que l’on refusa d’entendre. En 1920, battu aux élections présidentielles sur la campagne d’Aristide Briand qui fit élire Paul Deschanel, dont le passage à la folie interrompit piteusement le mandat, Clemenceau vit peu à peu jusqu’à sa mort son action se diluer dans les jeux parlementaires habituels et l’impuissance de la S.D.N. promue par Briand apparaître au grand jour.

Après la disparition de Clemenceau (1929), Georges Mandel fut le seul parlementaire avec Henri de Kerillis à s’opposer aux violations continuelles des clauses du traité de Versailles. L’éclat de la victoire de 1918, le patriotisme de la Grande Guerre, le tribut trop lourd payé par la France, furent jetés aux orties. A l’arrivée d’Hitler, un pacifisme électoraliste, un nationalisme de règlements de compte, une stratégie de défense nationale forgée par la médiocrité, relayèrent puis balayèrent la victoire de 1918.

29/06/2012

UN DECORATEUR CATOVIEN DANS LES EXPOSITIONS UNIVERSELLES : HENRY PENON

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Une image nocturne de l'Exposition Universelle de 1867 : "le promenoir", aux abords des cafés et lieux de restauration.

 

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A l'Exposition Universelle de Paris de 1867, le pavillon de l'Isthme de Suez abritant d'importantes maquettes et tableaux des travaux entrepris. 

 

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Le café russe à l'Exposition Universelle de Paris de 1867 

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Les ascenseurs exposés par Monsieur Léon Edoux à l'Exposition Universelle de Paris de 1867

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Un atelier de gravure sur verre à l'Exposition Universelle de Paris de 1867

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A la demande de Napoléon III, la classe 94 était l'exposition réservée aux créations des ouvriers eux-mêmes représentés par 320 exposants. L'Empereur y récolta des applaudissements aprés y avoir fait une visite le 21 octobre 1867 au cours de laquelle il acheta divers objets et déclara : "c'est mon devoir de travailler au bonheur public et particulièrement à celui des classes ouvrières qui montrent tant de zèle, d'intelligence et de patriotisme." La gravure le représente avec Monsieur Sajour, président du comité d'admission de la classe 94.

 

 

Alors que des dizaines de millions de visiteurs s’y ruaient pour observer les œuvres de milliers d’exposants, les expositions universelles de Paris de 1867 et 1878 vinrent rappeler au monde que dans l’industrie des Beaux-Arts, la France entendait garder son rang.

Un Catovien s’y distingua : Henry Penon, décorateur-tapissier, né en 1831, dont les ateliers furent situés à leurs débuts 10 rue du Faubourg Saint-Honoré et rejoignirent vingt ans plus tard la rue La Boëtie.

Les expositions universelles avaient le don pour consacrer non seulement la richesse technique et artistique d’un pays  mais encore le talent de jeunes entrepreneurs. Sous le Second Empire, Henry Penon, tapissier-décorateur, fut de ceux-là.  L’un des pavillons de l’Exposition Universelle de 1867, « Le Repos de l’Impératrice », lui dut sa célébrité. Voici ce qu'écrivit Edmond About dans  «  L’album de l'Exposition Universelle de 1867 illustrée » : 

" J'ai gardé pour la fin la perle de cette Exposition. Ce petit pavillon, si simple et si modeste en apparence, est une œuvre aussi capitale dans son genre que la serre de M. Dormois…(...) C'est M. Henry Penon qui a conçu, esquissé, dessiné, fait exécuter cet ensemble et tous ces détails. L'exécution appartient par moitié à son associé, qui est son frère. Ces jeunes gens ont sous la main toute une école de peintres décorateurs dont l'aîné est à peine âgé de vingt-cinq ans.  

M. Henry Penon a-t-il, comme il le croit, inventé un nouveau style de décoration ? je n'ose me prononcer là-dessus. Il doit beaucoup aux artistes du temps de Louis XVI, quoiqu'il se fasse un point d'honneur de ne rien leur emprunter. Ce qui lui appartient incontestablement, c'est le sentiment du beau, la rage de bien faire, et un certain mépris des obstacles qui a produit dans le courant de cet hiver un résultat vraiment curieux. Je vous ai dit que les principaux sujets de sa décoration intérieure sont peints sur satin dégradé. Mais les teintes dégradées ne s’obtenaient jusqu’ici que par le tissage ou l’impression ; belles par le tissage, médiocres par l’impression lorsqu’elle les donne.

Ils ont fait, font et feront des élèves. L'art si français et si parisien de la tapisserie devra beaucoup à leur initiative et à leur exemple.  Ils ne sont pas riches, ils commencent, et les voilà qui fournissent une quote-part exorbitante dans un travail collectif qui doit durer six mois et coûte 200.000 francs pour le moins." 

 

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Panorama du "Jardin Réservé " à l'Exposition Universelle de Paris au Champ de Mars en 1867 avec à sa gauche le pavillon octogonal d'Henry Penon dédié à l'impératrice Eugénie

 

 

Dans son ouvrage « L’Art Industriel à l’Exposition Universelle de 1867 », Auguste Luchet décerna ce commentaire :

« M. Henry Penon, de la maison Penon Frères, est un tapissier illustre. Et, comme on vient de le voir, nous ne sommes pas enthousiaste des tapissiers, lesquels, en fait d’art, empruntent beaucoup plus qu’ils ne prêtent. Mais celui-ci fait exception.

Celui-ci est sérieusement un homme de génie dans son genre. L’auteur du pavillon de l’Impératrice, songeant à employer le terrain qu’on lui concédait, entreprit de créer  un kiosque dans un parc. Ce n’est pas qu’il y en eût déjà, Dieu merci ; mais personne, que nous sachions, n’avait, fût-il même architecte à ruban, distingué ces habitations mignonnes des lois d’ensemble et d’intérieur  qui régissent les pièces banales de la grande habitation.(…)

Le sujet : Le Matin, un poème.  Et, pour chanter ce poème  dans la pièce octogone, quatre panneaux principaux, accompagnés chacun de deux panneaux latéraux. Les quatre autres faces percées à jour par de hautes fenêtres. Nature et lumière, éther et parfums. » Alors que des boiseries en sycomore furent choisies par le décorateur, il y sculpta des motifs de houx et d’aubépine, de rose sauvage et de muguet, de feuillages de peuplier, de platane, d’orme et de chêne.

Des panneaux en soie teints  en tons dégradés, « depuis celui de satin bleu d’argent à celui d’azur un peu plus obscurci, afin de reproduire le ciel », figuraient « la  blonde Psyché » qu’Eros  éveillait en secouant un bouquet sur son front tandis qu’au fond du tableau, des enfants joyeux dansent en rond."

Le 1er juillet 1867, pendant l'Exposition, Henry Penon reçut une Médaille d'Or parmi quatorze exposants distingués de l'Europe entière.

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Ci-dessus, une gravure représentant la  ruée  vers l'Exposition Universelle de Paris de 1878.

 

En 1878, la France de Mac-Mahon brava son isolement international par une nouvelle exposition universelle. Celle-ci offrit notamment l’avantage de réduire les opinions desséchées de tous ceux, qui en Europe, se faisaient fort de convoyer sans fin le char funèbre de la guerre Franco-Prussienne.

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L'inauguration de l'Exposition Universelle de Paris le 1er mai 1878 autour du Palais du Trocadéro nouvellement construit.

 

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Vue générale de l'Exposition de 1878 au Champ de Mars.

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La maison égyptienne, un jour de conférence de Ferdinand de Lesseps à l'Exposition Universelle de 1878.

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Mobilier de la Société des Marbres et Onyx d'Algérie à l'Exposition de 1878

 

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 Lanterne en fer forgé de M.Bodart à l'Exposition Universelle de Paris de 1878, élégante et discrète...

 

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Fontaine Renaissance, par la maison Christofle, à l'Exposition Universelle de Paris de 1878.

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Le marteau pilon à vapeur du Creusot et en fond, le Pavillon du Creusot à l'Exposition Universelle de Paris de 1878.

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L’œuvre des décorateurs à l’Exposition Universelle de Paris fut rapportée par le Rapport du Jury International édité par le Ministère de l’Agriculture et du Commerce :

« si nous pouvions convier les visiteurs de notre exposition à une incursion dans le Paris moderne (un hommage à l’œuvre si conséquente de Napoléon III et du baron Haussmann ), c’est là seulement qu’ils pourraient se rendre compte du véritable rôle du tapissier décorateur et de l’importance du concours qu’il a pu prêter à l’architecte pour créer ces habitations, dont un grand nombre  sont des types achevés de haut goût et de véritable élégance.

 

Ce sont ces maisons d’élite qui ont été, avec les écoles d’architecture et les écoles d’apprentis, le plus précieux soutien de l’industrie du tapissier décorateur, et qui l’ont aidé à maintenir la réputation que la France s’est faite dans cet art. Il ne faut pas non plus oublier l’heureuse influence de la Société pour la Propagation des Livres d’Art, qui ne saurait être trop encouragée.

 

Paris est donc toujours resté le grand centre de l’industrie du tapissier décorateur, et, sur un mouvement d’affaires annuelles de 100 millions pour toute la France, Paris peut revendiquer à lui seul 70 millions.

 

(…) Il faut bien que nous disions que les objets figurant à une exposition de tapissiers décorateurs sont sacrifiés d’avance ; et le sacrifice à faire est considérable, puisque la somme dépensée par les vingt exposants de la France s’est élevée à prés d’un million de francs.

 

Mais, pour peu nombreuses qu’elles aient été, les maisons qui ont exposé n’en ont pas moins représenté brillamment l’industrie parisienne du tapissier décorateur. » Et le rapporteur de citer Fourdinois en premier lieu et en second, « la maison Penon, dont l’exposition a eu la bonne fortune d’attirer et de captiver la foule.

 

Nous sommes ici en présence d’un véritable ensemble décoratif : au point de vue du coloriste, il est difficile d’éprouver une satisfaction plus complète. Le choix des étoffes, leurs nuances rompues, la manière dont elles sont drapées, la richesse des passementeries, tout est bien œuvre du décorateur.

 

M. Penon a aussi exposé des panneaux en broderies, qui sont d’une grande beauté et d’un grand effet décoratif. L’un de ces panneaux est un mélange de tapisserie de basse lice et de broderies d’application. Le relief est puissant et la coloration est vraiment belle. Ces trois panneaux exposés, représentant l’un une figure, l’autre une fête champêtre et le troisième un paysage, trouveraient leur digne place dans un musée des travaux à l’aiguille. »

 

Henry Penon quitta l’exposition universelle de Paris de 1878 avec la Légion d'Honneur au grade de Chevalier dans les classes 17 à 29 du mobilier, la seule qui fut remise à un tapissier.

 

L’un de ses mérites, écrivit-on, fut également d’avoir mis à la mode la peluche.

 

A Chatou, Henry Penon quitta la rue de la Procession pour emménager  rue de Sahüne où il se rendit acquéreur de la villa "le Cèdre" en 1884.

 

Domicilié également à Paris 95 avenue Victor Hugo, il séjourna au « Cèdre » jusqu’à sa mort en 1907.

 

La villa (ci-dessous) avait été déclarée au cadastre en 1866. Couvrant les lieux-dits "les Justices" et "les Gargouilles", son immense domaine fut morcelé en 1891 par le décorateur lui-même, ce qui donna lieu à l’ouverture de la voie qui porte son nom à Chatou par une décision unanime du conseil municipal du 9 septembre 1892 sur proposition de Maurice Berteaux. A la demande d'Henry Penon, celle-ci prit le titre d'avenue et non de rue. Quant à la seconde voie ouverte dans le prolongement de la rue Sous-Bois, le conseil lui attribua le nom de François Laubeuf, en l'honneur du maire héroïque de Chatou lors du siège de 1870. 

 

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En 1882, c’est en qualité d’artiste « sorti du rang » qu’Henry Penon observa l’exposition rétrospective de l’Union Centrale des Arts Décoratifs. Point de participation mais un jugement sévère de ses pairs à travers une critique sans ambages du mobilier en vigueur exprimée dans son ouvrage « Etude du Mobilier ». Il fut également un membre actif de la Société des Arts Appliqués à l’Industrie.

 

 

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Modéle de papier peint de la collection des ateliers Penon - bibliothèque Forney

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Projet de décoration intèrieure par les ateliers Penon - bibliothèque Forney

 

Quelques années plus tard, il fit don d’ouvrages de projets de ses ateliers, dont la liste a été conservée à la Bibliothèque du Musée de l'Union Centrale des Arts Décoratifs (ci-dessous, modèle de papier peint). Ceux-ci renferment plus de 2000 dessins ainsi que vint en témoigner pour l’association en l'an 2000 Madame Odile Nouvel, conservateur du département du XIXème siècle du Musée des Arts Décoratifs et spécialiste du mobilier Napoléon III-1880.

 

Les 14 et 15 mai 1891, Henry Penon dispersa une partie de son mobilier aux enchères à Drouot. Son inventaire ne laisse pas indifférent : tableaux de l’école française du XVIIIème siècle, des écoles flamandes et hollandaises parmi lesquels des tableaux de Boucher, Breughel, Chardin, des aquarelles de Fragonard et Géricault, dessins de Girodet et d’Hubert-Robert, pastels de Van Loo et Watteau, sculptures et bronzes du XVIIIème siècles. Retenons pour la postérité ce cliché d’un canapé de Madame de Pompadour :

 

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Henry Penon maria sa fille Henriette au général Joffre, alors directeur du Génie au Ministère de la Guerre, en 1905, faisant rentrer, sans le savoir, sa famille au coeur de la plus grande conflagration que le monde ait connue.

 

 

 

Sources :

Madame Odile Nouvel-Kammerer, conservateur - Musée de l'Union Centrale des Arts Décoratifs, spécialiste du mobilier Napoléon III - 1880, auteur de "L'aigle Et Le Papillon - Symboles Des Pouvoirs Sous Napoléon 1800-1815" (2007 -Les Arts Décoratifs), "Papiers peints panoramiques" (2001 -Flammarion), "Le style Second Empire" (1999 - Flammarion)

Archives départementales des Yvelines : "La Liberté de Seine-et-Oise", 23 août 1907

Archives municipales de Chatou : recensements de population

"L'Album de l'Exposition Universelle de 1867 Illustrée"

"L'Art Industriel à l'Exposition Universelle de 1867"

Exposition  Universelle de 1867 - "Les Arts dans l'Industrie - Rapport du Jury International"

"Les Merveilles de l'Exposition de 1878"

Bibliothèque Forney

Service Historique de la Défense

L'auteur remercie Madame Strugo, propriétaire de la villa d'Henry Penon à Chatou, qui lui a permis de prendre la photo qui illustre cet article en 2005. 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

23/06/2012

"GEORGES MANDEL" (1885-1944) PAR PAUL COBLENTZ

MANDEL PORTRAIT 4.jpg « Georges Mandel, je veux dire Louis Georges Rotschild, car tel était son véritable nom, est né le 5 juin 1885 à Chatou. Ses parents y passaient cette année-là les mois d’été dans une petite villa située avenue du Chemin de Fer (aujourd’hui rue du Général Sarrail).

Chatou 1885…15 kilomètres de Paris…C’était alors le bout du monde, une halte de quelques « pataches », de quelques rares omnibus, l’arrêt d’une ligne de grande banlieue aux trains peu nombreux. Les estivants n’en venaient pas moins y découvrir pendant les vacances les multiples agréments que la Seine offre à ses fidèles. Les Guides Bleus de l’époque vantaient en aval et en amont de Chatou deux îles bénies des amoureux, un excellent estaminet au milieu d’herbages « médiocres mais fleuris » qui attirait vers Chatou bien des gourmets de Paris et de Saint-Germain.

Les pêcheurs numéro 1, comme on les appelait alors (on dirait aujourd’hui « les mordus ») se donnaient rendez-vous sur les berges de Chatou pour y traquer sans merci ces fritures merveilleuses dont l’espèce tend depuis à disparaître.

Si j’insiste quelque peu sur cette charmante bourgade natale de Georges Mandel, c’est que, quarante ans plus tard, l’homme d’Etat aimait encore à s’y arrêter au passage, à y rêvasser quelques instants, ce qui contrastait singulièrement avec ses habitudes, et, il faut le noter, avec le peu de cas que ce politique faisait du spectacle de la nature.

Entre deux suspensions de séance tumultueuse au Palais Bourbon, tandis que les couloirs bouillonnaient d’une fièvre tapageuse dont Mandel était bien souvent le satanique animateur, Lautier prétendait que le député de Lesparre, montant seul dans sa voiture, a donné plus d’une fois cet ordre à son fidèle chauffeur : « - Henri, à Chatou, aller et retour. » (…) »

In Paul Coblentz "Georges Mandel" (1946)         

 

 

Pour en savoir plus sur l'homme d'Etat né à Chatou, voir notre rubrique "*Manifestations historiques" au sujet de la pose du médaillon de Georges Mandel le 5 juin 2008 sur sa maison natale avenue Sarrail.

13/06/2012

AU TEMPS DE CHARLES V AVEC GILLES MALET

Le nom du Catovien Gilles Malet (mort en 1410) est inconnu de la presque totalité des habitants et pourtant, il est inscrit au fronton de la Bibliothèque Nationale rue de Richelieu.

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L'inscription sous le porche de la Bibliothèque Nationale rue de Richelieu mentionne : "XIVeme siècle : Charles V fondateur de la Bibliothèque réunit plus de 900 volumes dans une Tour du Louvre. Le catalogue en est dressé par Gilles Malet."

 

La gloire de Gilles Malet vint de Charles V, dont le règne est souvent comparé à celui de Saint-Louis en terme de sagesse de gouvernement. Monté sur le trône en 1364 et mort en 1380, Charles V reste dans l’histoire comme le seul roi de la dynastie des Valois qui redressa la France et s'entoura des meilleurs conseillers et chefs de guerre, parmi lesquels Olivier de Plisson et Bertrand du Guesclin. Il retourna en effet le cours de la guerre de Cent ans, et entamant la suprématie anglaise, réunit à la couronne le Poitou, la Saintonge, le Rouergue, une partie du Limousin, le comté de Ponthieu et la Guyenne.  

Décidé à faire montre de tous les apanages de l’autorité contre les compagnies qui ravageaient le pays, Charles V entreprit pour y résider de restaurer le château de Saint-Germain-en-Laye, incendié en 1346 par les troupes du prince Noir qui avaient saccagé la Normandie.

En 1369, le roi confia à Gilles Malet le soin de créer et d’enrichir la Librairie du Louvre, ancêtre de notre Bibliothèque Nationale. Administrateur dévoué et apprécié, Malet occupa ses fonctions à la Librairie pendant 41 ans jusqu'à sa mort. En 1373, 910 volumes, dont de nombreuses œuvres traduites, composaient la Librairie. Ces recueils d’une valeur inestimable ne survécurent pas aux malheurs des temps.  

 

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Gilles Malet, seigneur de Chatou, Garde de la Librairie du Roi, et sa femme, Nicole de Chambly

 

Pour le récompenser, Charles V offrit en 1374 à Gilles Malet la seigneurie de Chatou, non loin de la résidence royale de Saint-Germain-en-Laye et de la Tour du Louvre.

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"Octobre, les semailles", miniature représentant les semailles au pied de l'ancien Louvre.

L'académicien Emile Henriot écrivit :  "A mesure que le monde féodal s'organise et construit la France, la vie se détend, prend ses habitudes, devient stable et moins dangereuse. Les gens se sont risqués hors de l'enceinte du château qui les protégeait, et bâtissent leurs demeures nouvelles autour de lui.

Au pied du donjon, c'est le bourg, lui-même clos d'une muraille de défense, au-delà de quoi le faubourg s'aventure, à même la campagne. La terre a ceux qui vivent d'elle, le serf, laboureur ou berger. L'homme de métier, l'artisan, le marchand, restent au bourg, qui, bien situé, sur un lieu de passage, un noeud de routes, une rivière, s'enfle, prospère et devient ville."

Les terres cultivées s'élargissent au détriment des forêts. La population française atteint vingt millions d'habitants au milieu du XIVème siècle et tombera à moins de quinze à la suite de la guerre de Cent Ans. Elle ne retrouvera ce chiffre que sous Louis XIV.

 

 

Valet de chambre et écuyer du Roi, Gilles Malet devint, par échange de biens avec Messieurs de Saint-Denis, seigneur de Chatou et de Villepresle. A ses titres s'ajoutaient ceux de Châtelain de Pont Sainte Maxence, vicomte de Corbeil et seigneur de Soisy.

Preuve d’une fidélité exemplaire et d’un service sans ombre à l’œuvre du souverain, le seigneur de Chatou fut l'exécuteur testamentaire de Charles V en 1380 et demeura au service de son successeur, Charles VI.  

Gilles Malet construisit l'hôtel de Malet dans le quartier de l’église de Chatou où il habita. Il fit don d'une Vierge à l'Eglise Notre-Dame avec sa seconde femme, Nicole de Chambly, dont il ne reste aucune trace.

Il mourut en 1410, non sans avoir rétabli la prospérité à Chatou, et pris l'initiative de faire dresser le premier censier par son intendant, Jehin de la Mare.

Son successeur à la tête de la Librairie fut nommé vraisemblablement sur sa recommandation. Charles VI désigna en effet un autre grand propriétaire de Chatou, Bureau de Dampmartin, propriétaire de vignes aux Sablons, aux Champagnes et de terres en "la Longue-Ile". Grand bourgeois de Paris, celui-ci s’était occupé de l’enrichissement de la bibliothèque du duc de Berry.

Les fils de Gilles Malet occupèrent à leur tour des fonctions honorifiques dans l'entourage royal : Jean fut maître d'hôtel du Roi et Charles devint chevalier, chambellan et à son tour, seigneur de Chatou. Ce dernier conserva pour intendant Jehin de la Mare qui acheva le premier censier en 1416.    

Oublieuse d'une époque où la France ne disposait que d’un petit Etat qui restait à construire, Chatou tarde à rendre hommage à l’œuvre de ce collaborateur de Charles V, qui  contribua à établir les fondements de la culture dans notre pays.

 

Source :

"les seigneurs de Chatou", par Albert Curmer, 1916-1922, réédition Res Universis, 1991. 

 

N.B: Il existe une résidence Gilles Malet à Chatou mais le nom, baptisant une résidence privée des années 70, ne bénéficie pas de la notoriété et de la reconnaissance qui lui sont dues. La descendante de Gilles Malet, Madame Hemschoot, vit toujours à Chatou. Malgré l'orthographe changeante avec un l ou deux l du nom de Malet, celle-ci dispose de certificats de baptêmes qui ne font aucun doute quant à la succession qui a maintenu ce vieux nom de Chatou et de l'histoire de France.

 

 

 

 

Bibliographie : "La bibliothèque royale du Louvre." Edition Jean-Luc Deuffic. Volume I. 19,5 x 26 cm. Broché. 164 pages sur papier vergé. ISBN 2-914996-03-9. 28 Euros. Edition de l'inventaire de 1423. Réf. LM2/1Fait état de l'inventaire en 1373.

   

18/05/2012

JACQUES CATINAT, MAIRE DE CHATOU (1971-1979)

Jacques Catinat naquit à Lille le 2 janvier 1910. Licencié en droit, diplômé des Sciences Politiques, il fut attaché à la direction du Groupe des Industries Métallurgiques en 1940 puis fut nommé chef des services sociaux du Groupe Edgar-Brandt en 1942, avant de devenir secrétaire général des Tréfileries et Câbleries Wurth, directeur général de "L'Officiel de l'Automobile" et de "L'Office du Cycle et du Motocycle", enfin président des Imprimeries Tantet et Catinat. 

Il occupa parallèlement les fonctions de président de la Fédération Nationale du Commerce et de l'Artisanat Automobile, président du Syndicat des maîtres-imprimeurs d'Eure-et-Loire, directeur général de la Société d'édition Semis, gérant de la société d'édition S.O.S.P. Maire-adjoint de Chatou en 1965, il devint maire en 1971 puis conseiller régional.

On lui doit la création du cinéma Louis Jouvet et de la salle Jean Françaix en 1976, l'inscription à l'Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques des anciens pavillons du Comte d'Artois de 1783, mais surtout deux ouvrages sur Chatou qui font autorité : "XII Grandes Heures de Chatou et la naissance du Vésinet", "Chatou, les Châteaux et le Nymphée", premiers livres mettant en lumière le patrimoine architectural de Chatou ainsi qu'un ouvrage de référence sur Croissy, "C'est arrivé à Croissy" auquel il donna suite en obtenant le classement à l'Inventaire des Monuments Historiques de la Place d'Aligre à Croissy.

Son oeuvre majeure réside dans sa démarche, peu courante à l'époque, de sauvetage de la Maison Fournaise dans l'Ile de Chatou grâce à son projet  d'acquisition du terrain par la commune. Jacques Catinat était notamment chevalier de la Légion d'Honneur et chevalier de l'Ordre de l'Instruction Publique. Sa maison, du XVIIIème siècle, "La Colinésie", située 18 rue du Général Colin, a été détruite. Jacques Catinat mourut en cours de mandat le 7 mars 1979.

 

16/04/2012

1912 : IL Y A CENT ANS, LE NAUFRAGE DU "TITANIC" CEDAIT LA PLACE AU LANCEMENT DU "FRANCE"

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Gravure du supplément du Petit Journal -28 avril 1912

 

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La prière sur les lieux du naufrage du "Titanic" à bord du "Mackay-Bennet" affrété la White Star Line. L'expédition permit de repêcher une centaine de nouveaux cadavres. Gravure du supplément du Petit Journal - 5 mai 1912  

 

 

L'année 1912 sonna comme le glas de la Belle Epoque. En dépit des affaires européennes où un semblant de détente paraissait annoncer un avenir sans nuage, le monde n'eut d'yeux que pour la catastrophe maritime qui emporta le 15 avril 1912 le gratin du monde des affaires, ou plutôt des milliers de pauvres gens sous les sentences présomptueuses des promoteurs du plus grand navire de son temps, le "Titanic" de la White Star Line. L'aventure humaine n'apparaissait plus sans danger ni sans limite.  

Cinq jours après le naufrage, la Compagnie Générale Transatlantique, encore sous capitaux entièrement privés,  avait entendu répliquer dans un domaine accaparé par le monde anglo-saxon par une audace :  le lancement du paquebot "France" (illustration ci-dessous).

 

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Non un défi par sa taille, modeste pour ses concurrents avec ses 220 mètres en longueur. Mais imposant ses quatre cheminées (de 34 mètres de haut) que l'on ne retrouva sur aucun autre paquebot français, il se situa en première place pour la richesse du décor intèrieur,  alliée aux impérissables ressources de la gastronomie française et à la cordialité du service.

L'identité française n'était plus reléguée, elle était instruite sur les flots et portée par les artistes dont les noms cités aux  salons des Beaux-Arts rencontraient là une évidente célébrité.

Le style dominant, le style "Grand Siècle", valut au navire d'être surnommé le "Versailles des Mers", au gré de la réputation que lui accordait ses 2000 passagers lors de chaque traversée vers l'Amérique. Des décorateurs se surpassèrent pour y installer le confort de la "grandeur française".

 

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Le style "louisquatorzien" égrenait les plus grandes salles du pont des premières classes.  

Le salon mixte de musique décoré par les ateliers Rémon dont le futur Catovien Georges Rémon était l'un des maîtres d'oeuvre, menait à une enfilade de pièces, salon mauresque, café-fumoir, café-terrasse, dont la réalisation fut confiée à ces mêmes ateliers.

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Salon mixte de musique décoré par les ateliers Rémon et fils à bord de "France" 1912

 

Plus vaste encore que le grand salon, ce salon mixte de musique permettait à des passagers assis dans des fauteuils de style Régence placés au milieu de colonnes en marbre rose de deviser sous d'authentiques toiles de maîtres, en l'occurrence des "marines" de Lacroix de Marseille de 1774. L'ensemble était éclairé par une immense verrière.

 

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Quant au salon mauresque créé par Rémon, celui-ci tranchait volontairement avec le style ambiant. Il bénéficia de la présence d'un serveur algérien en habit traditionnel, accentuant l'évasion des passagers. Cet exotisme soudain devait tout à l'existence de l'empire colonial français dont l'Afrique du Nord était le meilleur symbole, lui-même à la source de l'orientalisme qui s'était développé depuis le milieu du XIXème siècle dans la peinture et l'architecture.

L'arrivée de la Grande Guerre deux ans plus tard marqua la transformation du paquebot pour le transport de troupes. La Compagnie Générale Transatlantique paya le prix de la réquisition : 29 de ses navires furent coulés dont deux paquebots, "La Provence" et "Le Carthage", cependant que "France" échappa par le tir de son unique canon à l'attaque d'un sous-marin allemand. 

La mise à la retraite du "France" n'intervint qu'après la mise en chantier du "Normandie" en 1932.

 

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Une image indissociable de la France. En 1924, à bord du "France" 1912, le président du Club des Cent, Louis Forest, remet au chef Jean Leer une médaille et un "diplôme de bonne cuisine".

Entre les deux avec une moustache, John Dal Piaz, président de la Compagnie Générale Transatlantique de 1920 à 1928, qui lança " l'Ile-de-France " en 1927, fut le promoteur d'une grande hôtellerie en Afrique du Nord et du premier billet "train-paquebot-hôtel-auto" (un monument lui fut dédié à Casablanca en 1931 après sa mort).

"L'Illustration" écrivit au sujet des cuisines : "l'espace est si grand que l'on n'arrive pas à démontrer du premier coup d'oeil  l'armée de la bonne chère qui compte 25 cuisiniers, 8 pâtissiers, 8 boulangers, 6 bouchers. Au dessert, le grand chef, un Breton, Monsieur Jean-Yves-Marie Leer, s'avança, presque timide et un peu ému pour recevoir, des mains de Monsieur Forest, la plaquette d'argent qui consacre trente-cinq ans de loyaux services et de cuisine supèrieure à bord de la Transatlantique."

Le menu avait été le suivant : " Cantaloup frappé au Porto et grappe fruit frappé au Xérès, Filets de sole à la Marocaine, Suprême de volaille à la Transatlantique, Asperges sauce Chantilly, Cailles de France à la Montmorency, Salade mimosa, Fromages, Fraises voilées à l'Algérienne, Mignardises, Corbeilles de fruits ". Le reporter précisa : "les Fraises à l'Algérienne sont un perfectionnement heureux des Fraises Melba : à la glace à la vanille sur laquelle reposent les fruits, on ajoute une couche de crème Chantilly "...

 

 

Sources :

"Arts Décoratifs à bord des Paquebots Français 1880 - 1960" - 1992 - éditions Fonmare par Louis-René Vian

"A la page" - 28 avril 1931

 

 

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Pour en savoir plus, le bulletin historique de l'association 2010 (62 pages), en vente au prix de 15 euros pour les non-adhérents.Pour tout renseignement : piarri@orange.fr
 

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Locomotive SNCF 241 P compound fabriquée aux usines Schneider du Creusot de 1948 à 1952, emblème de l'association.

 

29/03/2012

ROB ROY (1909-1992), UN CATOVIEN ENTRE LE DESSIN ET L'HISTOIRE

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dessin de Rob Roy

 

Chatou compte dans son patrimoine culturel des artistes mondialement connus. Parmi ses artistes moins connus, certains ont su tremper avec originalité leur pinceau dans le siècle écoulé.

Rob Roy, Catovien qui résida 28 rue Charles Despeaux de 1936 à sa mort en 1992, fut de ceux-là.

Il fut un illustrateur sans relâche, le dessinateur de notre histoire automobile et traversa notamment la seconde guerre mondiale armé de son courage et de sa passion.

Son fils, Monsieur Hubert de la Rivière, qui porte haut les couleurs de l’œuvre de son père Robert de la Rivière alias Rob Roy, a permis l’édition et l’exposition d’une partie de son œuvre à travers la France. Il nous autorise aujourd’hui à diffuser un extrait de cette gamme colorée qui ne fut pas seulement le fait d’un artiste mais celui d’un patriote engagé dont chaque dessin décrivit un évènement vécu dans les douleurs ou les euphories de son temps.

Ainsi, l’évasion en Bugatti de Robert Benoist, en juin 1940, décrite dans le très bel ouvrage « Bugatti, le regard de Rob Roy » par Pierre Fouquet-Hatevilain  (1994 – éditions d’art J.P.Barthélémy) :

« Robert Benoist, grand patriote, as de l’aviation pendant la Première Guerre Mondiale, deviendra pilote de voiture et champion du monde en 1927 sur Delage.

Ettore Bugatti et Jean décidèrent dès 1929 de s’adjoindre ce pilote de grande classe et de lui confier la direction du service des ventes du magasin de l’avenue Montaigne à Paris. En 1934, il entre dans l’équipe officielle Bugatti et signe de nombreuses victoires.

Lors de la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939, il est mobilisé en tant qu’officier dans l’Armée de l’Air et attaché à l’état-major du général Domino au Bourget. En juin 1940, l’exode jette sur les routes des millions de civils et militaires qui fuient vers le Sud-Ouest sous la pression de l’invasion allemande.Le gouvernement français suit le mouvement et s’installe d’abord à Candé, près de Tours, tandis que le ministère de l’Air prend ses quartiers à Rilly, près de Blois.

Le 14 juin, Robert Benoist quitte in extremis Le Bourget avec sa Bugatti 57 SC à compresseur personnelle.

Peu après Poitiers, il est fait prisonnier par les Allemands et se retrouve sous haute surveillance.

Incluse dans une colonne de blindés, sa voiture fait l’objet de la convoitise d’un officier allemand. Le soir, au bivouac, le plein d’essence est effectué pour repartir le lendemain.

Robert Benoist en tenue militaire ne songe qu’à une chose : s’évader mais sans abandonner sa Bugatti.

Le lendemain, dans la matinée, alors que le convoi poursuit sa route, Robert Benoist prend un chemin de traverse et fonce « à pleins tubes », faussant compagnie à la panzer division qui ne peut rattraper ni atteindre de ses tirs le champion du monde.

Très vite, Robert Benoist entrera dans la Résistance, et après avoir fait plusieurs fois faux bond à l’ennemi, sera capturé, déporté et assassiné par les nazis, le 12 septembre 1944 à Büchenwald. »

 

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L'une des quarante Bugatti 57 S et SC vendues de 1936 à 1937, fleuron de la production française. C'est à bord d'un modèle comme celui-ci que Robert Benoist, directeur des ventes de Bugatti, champion du monde automobile 1927, put s'échapper d'une colonne allemande de blindés et rejoindre la Résistance. Le dessin de Rob Roy est venu rappeler l'étonnante histoire de ce patriote au destin tragique. Illustration : Automobilia - Salon 1937

 

 

Dans le cadre de la semaine du dessin 

du 26 mars  au 1er avril  2012 

 Le musée du général Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris –Musée Jean Moulin et l’Association des Amis de Rob Roy

sont heureux de vous présenter une série de dessins originaux de Robert de la Riviere dit Rob Roy (1909-1992):

 

Les Américains à  Paris

 

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Dessins parus dans le  “Parisian Weekly  Information’’  à la libération de Paris et en 1945.Rob Roy y réalisa une série de dessins qui illustraient   la vie quotidienne des Américains à Paris et leur relation avec les Parisiens.Des scènes vivantes, avec beaucoup d’humour en ces temps  ou tout devenait  plus agréable après quatre années d’occupation allemande.

 Musée du Maréchal de Hauteclocque et de la Libération de Paris Musée Jean Moulin

23 allée de la 2ème DB - 75015 Paris
Jardin Atlantique (couvrant la gare Montparnasse)

 

Ouverture du mardi 26 mars 2012

au dimanche 1er avril 2012

de 10h à 18h00

 

 Pour en savoir plus : www.art-robroy.com

 

 

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Locomotive SNCF 241 P compound fabriquée aux usines Schneider du Creusot de 1948 à 1952, emblème de l'association.

 

 

 

 

27/03/2012

GEORGES REMON ET LA FERRONNERIE D'ART

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La France tenait, dans les Arts Décoratifs, un rang important sinon le premier par la richesse et l’élégance de nombre de réalisations de ses artistes. L’éclosion du mouvement à la suite de l’Exposition Internationale de Paris de 1925 concentra l’attention du Catovien Georges Rémon, lui-même à la tête d’un atelier qu’il fit briller à bord des grands paquebots français, ainsi que nous l’avons indiqué dans plusieurs articles de ce blog.

Directeur de l’Ecole des Arts Appliqués de la Ville de Paris pendant l’entre-deux-guerres, celui-ci fut amené à commenter les oeuvres de ses pairs dans la revue « Jardins et Cottages » par plusieurs analyses que nous avons également produites pour l’information de nos lecteurs. L’extrait ci-dessous de la revue de 1926 consacré au ferronnier Charles Piguet (1887-1942) ajoute un nouvel intérêt aux créations de l’époque :

« N’avons-nous point, l’an passé, au Salon des Artistes Décorateurs, admiré tout particulièrement l’envoi du ferronnier Charles Piguet, une grille pour la porte d’entrée de son atelier ? composée de cinq tenailles à longues tiges, mordant chacune du bec  un sobre motif de volutes, elle exprimait, cette porte, avec une rare et noble simplicité, l’une des pensées les plus chères à tout artisan digne de ce nom, qui ne saurait imaginer plus beau symbole, armes mieux parlantes, que son outil familier ! et nous rappellerons le propos que tenait Monsieur Antoine Vicard le grand ferronnier lyonnais, propos, ajoutait malicieusement notre confrère, qui définit si bien la nature intime de son talent :

« un jour, j’ai remarqué un de mes ouvriers qui rangeait ses outils contre le mur. Cette fois-là, ce geste que tout le monde faisait machinalement chez nous me frappa et je pris soudain conscience de la grandeur du travail quotidien. Ces pinces, sans valeur auparavant à mes yeux, parce qu’elles étaient grossières et noires, je les vis luire comme de l’argent fin sous l’effet de la sueur, à l’endroit où les mains les tiennent. Voilà pourquoi j’ai placé mes outils à l’entrée de ma maison. »

Charles Piguet qui nous est représenté comme l’ouvrier à la poigne robuste, dominant la dure matière qu’il façonne au choc du marteau sur l’enclume résonnante, nous confie dans cet amoureux credo non seulement la passion que lui inspire son métier, mais aussi bien, et sans vaine phraséologie, son goût épuré et raffiné.

Nul ne sait comme lui traiter le fer comme une matière plus précieuse et en tirer, avec une telle économie apparente de l’effort, des lignes plus mesurées et plus gracieuses.

Que d’autres, utilisant l’abrasure à l’autogène, construisent des portes de vastes dimensions et se meuvent de préférence dans le plan du monumental, il semble bien que Charles Piguet, sans cesser jamais de créer des œuvres  aux nettes et solides architectures, s’applique surtout à doter la maison moderne de formes sobres et élégantes, d’une grâce unique et par la qualité de l’invention et par la maîtrise du rendu.

 

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Imposte (partie supèrieure de la porte) en ferronnerie par Charles Piguet

 

Quelle exquise collaboration fit un jour rencontrer dans cet hôtel particulier installé à Lyon, boulevard des Belges, par le maître décorateur Ruhlmann, le plus délicat  ornemaniste de ce temps avec le ferronnier qui nous semble avoir avec lui le plus d’affinités ! voyez de quel art discret et pur Charles Piguet a composé la porte que nous reproduisons, où le décor, d’inspiration florale, est ramené à une charmante stylisation et dont nous aimons particulièrement les motifs rectilignes qu’encadrent l’huis, où quelques billes, en haut et en bas, dessinent une si heureuse amorce de motif. On a plaisir à analyser de telles œuvres dont le simple parti met en relief le moindre détail.

 

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Porte d'entrée en ferronnerie par Charles Piguet pour l'orfèvre Claudius Linossier

 

 

C’est dans un même esprit qu’il convient d’aborder la porte d’entrée de la maison de Claudius Linossier – autre heureuse rencontre ! – à Lyon. Un dessin sobre et ferme, un entrecroisement rectiligne de barreaux d’épaisseurs diverses, un panneau rectangulaire où s’inscrit dans un triangle le monogramme du maître dinandier, entouré d’un gracieux motif de vrilles ; enfin, indiquées d’un trait sommaire et réparties entre les croisillons de la porte, les formes des vases incrustés où Linossier fait chanter la souplesse et la richesse de ses cuivres : tel se présente à nous cet ouvrage dont on goûtera le sens des délicates proportions.

Voici encore une grille pour une grande porte d’entrée, composée pour la maison de Monsieur Coty, à Lyon, construite par l’éminent architecte Pontremoli, membre de l’Institut. Les dimensions en sont plus considérables ; le motif est plus fouillé – rinceaux en vrille et médaillons ornés de bouquets – l’œuvre nous confirme la maîtrise absolue de l’artiste, encore que nous lui préférions, pour leur plus savoureuse simplicité, celles que nous venons d’analyser.

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Porte en ferronnerie par Charles Piguet pour le parfumeur François Coty

 

Les thèmes floraux largement traités  ont inspiré à Piguet des ouvrages de choix.  Citons la grille pour une table de communication (…) Voyez de même ses impostes dont le dessin accuse  la plus harmonieuse fantaisie, et, singulièrement, la rampe d’escalier exécutée pour Les Galeries Lafayettes, à Lyon.

Charles Piguet, a, nous l’avons dit, traité tous les problèmes de la ferronnerie d’intérieur. Il l’a fait avec une rigoureuse  discrétion, au contraire de ceux qui voudraient que la maison moderne fût presque exclusivement conçue en fer.

Sans doute, les applications de cette matière que l’artiste sait alléger ou amenuiser sont multiples, mais c’est une faute de goût que de l’employer à tout propos et souvent hors de propos. Elle prend, au contraire, infiniment plus de charme quand elle n’est utilisée que sobrement, ne risquant ainsi de perdre ni de son propre éclat ni de sa véritable valeur.

Ainsi, en use Charles Piguet. Nous ne trouvons de lui, ni de ces lourdes tables en fer ouvragé, ni de ces cadres de miroirs ou de tableaux, qui sont peut être des tours de force, mais qui paraissent vraiment incompatibles avec la demeure moderne.

Mais il nous offre un ameublement sobrement mesuré : cache-radiateurs, les uns découpés de motifs à jour – fleurs ou fruits – les autres dépourvus de tout ornement comme celui qu’il a composé pour l’intérieur imaginé par Ruhlmann : des tables-consoles, d’une aimable légèreté de lignes ; et surtout, toute une gamme de lustres et d’appliques où la solide armature du métal se marie avec l’éclat diffus du verre moulé ou dépoli.

 

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Cache-radiateurs en ferronnerie par Charles Piguet

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Dans le moindre détail, répétons-le, s’affirme avec une étonnante évidence, le goût des savantes recherches et, en même temps, celui, plus rare, plus subtil, d’une parfaite concentration de moyens.

C’est le propre des artistes qui ont, comme Piguet, étudié longuement la leçon des anciens maîtres, entrepris à leur exemple la conquête de toutes les ressources techniques de leur art, qui se sont ingérés, dans leur variété et dans leur esprit, les formes héritées des plus belles traditions, de savoir découvrir les disciplines qui s’imposent à notre époque, d’en accepter  le délicat rationalisme, sans toutefois aliéner la note personnelle et sensible faute de quoi les créations de l’intelligence ne sont que de pures et froides abstractions.

 

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Lustre en ferronnerie par Charles Piguet

 

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Une applique en ferronnerie par Charles Piguet

 

 

L’art de Piguet reste vivant, souple, vigoureux, et pourtant, s’achemine sans cesse vers une pureté de style, dont chaque nouvelle étape, dont chaque œuvre nouvelle, atteste plus complètement l’admirable caractère et l’impeccabilité.

Georges Rémon »

 

 

 

 

Sources :

 Bibliothèque Nationale de France, département Sciences et Techniques

  Archives Municipales de Chatou

 Bibliothèque Historique de la Ville de Paris

 Archives de la Légion d'Honneur 

 

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Locomotive SNCF 241 P compound fabriquée aux usines Schneider du Creusot de 1948 à 1952, emblème de l'association.

21/02/2012

DROLE D'EPARGNE

La Révolution avait soulevé le tumulte et l’enthousiasme. Les bases d’une société nouvelle plus libre et plus équilibrée étaient recherchées par tous ceux qui avaient la foi en l’évolution. Le comte de Mirabeau (1749-1791), tout à la fois royaliste et révolutionnaire, avait contribué à ce que rien ne puisse entamer cette aspiration que l’on avait écartée depuis trop longtemps au détriment de la classe la plus laborieuse et la plus nombreuse de la société.

 

 

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Portrait tiré du livre "Mirabeau" de Louis Caste (éditions Dardanchet 1942)

 

 

Parmi les causes dont il se saisit peu avant sa mort le 2 avril 1791, celle de la création d’un système d’épargne l’avait amené à défendre une organisation importée d’Italie : un plan de tontine viagère et d’amortissement proposé par Monsieur Joachim Lafarge, un homme que nous connaissons pour avoir été au terme de son entreprise le propriétaire de l’actuel hôtel de ville de Chatou de 1801 à 1808 (édifice demeuré maison de maître jusqu’en 1878).

 

 

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Joachim Lafarge fut propriétaire de la maison de l'actuel hôtel de ville avant son changement d'affectation

 

 

 

Dans son ouvrage, « La Caisse d’Epargne et de Prévoyance de Paris » publié en 1892, Monsieur Bayard rapporta ce que Mirabeau déclama à l'Assemblée Nationale au sujet de la proposition de Monsieur Lafarge :

 

« Vos comités trouvent une foule d’avantages dans l’adoption du projet de Monsieur Lafarge. Il en est un dont ils ne vous parlent point, c’est qu’un pareil établissement, rappelant sans cesse à la classe indigente de la société des ressources de l’économie, lui en inspirera le goût, lui en fera connaître les bienfaits et, en quelque sorte, les miracles.

 

J’appellerais volontiers l’économie la seconde providence du genre humain. La nature se perpétue par des reproductions, elle se détruit par des jouissances. Faites que la subsistance même du pauvre ne se consomme pas tout entière ; obtenez de lui, non par des lois, mais par la toute-puissance de l’exemple, qu’il dérobe une très petite portion de son travail pour la confier à la reproduction du temps, et, par cela seul, vous donnerez les ressources de l’espèce humaine.

 

Et qui doute que la mendicité, ce redoutable ennemi des mœurs et des lois, ne fût détruite par de simples règles de police économique ? qui doute que le travail de l’homme dans sa vigueur ne pût se nourrir dans sa vieillesse ?

 

Puisque la mendicité est presque la même chez les peuples  les plus riches et parmi les nations les plus pauvres, ce n’est donc pas dans l’inégalité des fortunes qu’il faut en chercher la véritable cause, elle est tout entière dans l’imprévoyance  de l’avenir, dans la corruption des mœurs et surtout dans cette consommation continuelle sans remplacement qui changerait toutes les terres en désert, si la nature n’était pas plus sage que l’homme.

 

Monsieur Lafarge appelle son projet : tontine viagère et d’amortissement ; je voudrais qu’il l’eût appelé : caisse des épargnes, caisse des pauvres ou caisse de bienfaisance ; ce titre aurait mieux fait connaître au pauvre ses besoins et au riche ses devoirs. Assez de fortunes ont été amoncelées par l’avarice, en accumulant des intérêts, en échangeant des privations par des richesses. Il faut aussi apprendre à la classe indigente ce moyen de se préparer un plus doux avenir (…)."

 

L’oraison se poursuivit par de très belles paroles mais l‘Assemblée Nationale, bien qu’émue du talent déployé dans cette nouvelle harangue, ne fut pas convaincue à juste titre par le projet présenté.

 

Le refus de l’Assemblée n’entama pas la détermination de Joachim Lafarge, qui ouvrit ses bureaux 53 rue des Blancs-Manteaux à Paris.

 

Le 17 août 1791, Monsieur Lafarge, soutenu par deux administrateurs Messieurs Mitouflet de Beauvais (futur maire de Chatou sous la Restauration voir notre revue "Chronique des temps difficiles 1814-1830") et Mignon Duplanier, présenta un mémoire en vue d’obtenir un brevet d’invention pour son plan de tontine sous le nom de « Caisse d’Epargne et de Bienfaisance », retenant ainsi  la suggestion de Mirabeau, pour une durée de 5 ans « avec le privilège exclusif que la loi y attache », au titre des entreprises bénéficiant des nouvelles dispositions sur le droit de propriété.

 

Le principe de la Caisse reposait sur une cotisation des "riches" avec un intérêt de 5% garanti la première année et « augmenté chaque année par les chances du tirage » jusqu’à percevoir 3000 livres de rente par action, en plaçant les sommes sur la tête de leur fils en bas âge. « Si l’enfant périt, il perd tout à la vérité, mais l’éducation et la dot lui auraient coûté beaucoup plus ; si son fils vit, le riche est assuré de jouir abondamment, et au bout de 18 à 20 ans, il le  marie avec des rentes qui forment la dot la plus riche ».

 

Parallèlement, "le pauvre" devait cotiser 90 livres en 10 ans, à raison de 9 livres par an. « Sa mort fait gagner très peu aux riches, tandis que celle de ses derniers le rend héritier des sommes qu’ils ont versés dans la Caisse. »

 

Le 31 mars 1793, la Caisse de Monsieur Lafarge annonçait : « Le devoir le plus important, celui qui tenait le plus à la délicatesse et à la probité des directeurs et administrateurs, est totalement rempli. Les 32.894.160 millions, 7 livres et 10 sols, produit des 460 et 19.608 actions tant entières que partielles composant la masse de la Société, sont totalement employés en contrats perpétuels sur l’Etat et assument, pour le recouvrement au nom collectif des actionnaires, le service des arrérages et des accroissements auxquels ils ont droit par succession les uns aux autres. »

 

Ce système qui s’était assis sur la nouveauté et la crédulité, avait continué son cours sous les tribulations du Directoire.

 

 

Le Premier Consul fut amené à revoir  la question d’un autre œil : il nomma un Commissaire prés de l’établissement de la Caisse d’Epargne, seize actionnaires ayant déposé plainte selon un rapport annexé aux délibérations de la Société le 4 Prairial an 12 (1804).

 

Un rapport fut établi par les maîtres des requêtes au Conseil d’Etat le 12 décembre 1808, Le Camus de Néville, Pasquier et Coquebert de Monthret à la demande de l’Empereur.

 

Convaincu par les conclusions du rapport, Napoléon signa sur avis du Conseil d’Etat le 1er avril 1809 un décret prévoyant que trois administrateurs prés le conseil municipal de la commune de Paris nommés par le préfet du Département de la Seine seraient chargés de gérer au mieux les intérêts des actionnaires cependant que les contestations furent renvoyées devant la Cour des Comptes.

 

Puis, c’est du quartier général impérial de Wilna, le 4 juillet 1812, que Napoléon arrêta que la Caisse des employés et artisans, entité de la Caisse Lafarge « composée jusqu’à ce jour de 2 sociétés distinctes, ne formerait plus qu’une seule société dans l’organisation nouvelle.»

 

Par un arrêt définitif rendu en séances les 18,22,23 et 29 décembre 1813, la Cour des Comptes déclara « en débit les directeurs de la société en inscription de 5% consolidés sur les dix exercices des capitaux de la première société de la somme de 108.468,91 francs. » La liquidation des Tontines Lafarge était consommée.

 

 

 

 

Sources :

 

- archives du Musée de la Poste

- bibliothèque administrative de la Ville de Paris

 

 

 

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Locomotive SNCF 241 P compound fabriquée aux usines Schneider du Creusot de 1948 à 1952, emblème de l'association.