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08/08/2011

VOYAGE AVEC GEORGES REMON (3)

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L’Exposition des Arts Décoratifs de Paris de 1925 a refermé ses portes mais, sept ans après la dévastation de la Grande Guerre, elle vient inaugurer  le dernier grand courant d’architecture du XXème siècle porté par la France.

Dans Jardins et Cottages de janvier 1927, le Catovien Georges Rémon affiche sa sévérité à l’égard de ceux qui perpétuent le style de la Belle Epoque. En contre-feu, il présente l’œuvre nouvelle de l’architecte Pierre Patout (1869-1955), un hôtel particulier à Auteuil. Le talent de Pierre Patout, comme celui des ateliers Rémon, sera sollicité par la Compagnie Générale Transatlantique et s’exprimera avec éclat sur ses paquebots « Ile-de-France » (1927) et « Normandie » (1935).

« C’est au cours d’une récente conversation avec Monsieur Pierre Patout, un instant interrompue par le téléphone, que, feuilletant une revue technique, mes yeux se portèrent sur cette déclaration d’un architecte belge d’avant-garde, rapportée par Monsieur Mallet-Stevens :  « C’est la dèche qui nous sauvera. »

Cette pensée pourrait être exprimée plus élégamment. Elle ne nous en invite pas moins à prendre en considération l’une des principales caractéristiques de l’art moderne, avide de trouver dans le plus complet dénuement des moyens, dans le rejet systématique de tout ce qui cherche à séduire et à plaire, le fin du fin, la quintessence, l’absolu métaphysique, la beauté pure (comme Monsieur Paul Valéry ne créé que de la poésie pure !), le transcendant obtenu par l’abstraction.

Est-ce à dire, en d’autres termes, qu’à notre époque et par une sorte de fatalité, il ne soit artiste et surtout architecte qui ne s’entende à traiter un programme moins sévère, moins indigent, moins réticent ? ne possédons-nous donc aucun maître d’œuvre qui, tout en respectant le principe éthique et esthétique de la simplification, devenu notre commune mesure, ne puisse se mouvoir à l’aise dans un domaine privilégié et ne sache, par un singulier paradoxe, concevoir une belle œuvre en même temps que luxueuse, du fait seule qu’elle est authentiquement luxueuse. La richesse constitue-t-elle de nos jours un thème d’inspiration en soi si néfaste, qu’il oblige nos architectes à tomber inéluctablement dans le poncif des beaux projets d’école.

Rien à ce propos n’est plus suggestif qu’une promenade à travers ce quartier de La Muette où les heureux de ce monde, grands seigneurs de la finance et des affaires, se sont fait édifier au cours des dix dernières années, de splendides hôtels, dont la somptuosité n’exclut malheureusement  pas la banalité.

Cette somptuosité se signale par la surcharge de l’ornement, par l’utilisation des inévitables beaux motifs traditionnels : colonnades, rotondes composites, frontons renaissants. Ainsi  les architectes, en dépit des beaux programmes qui leur étaient proposés, n’ont pas pu ou pas su s’affranchir de cette manie ostentatoire et de ce mauvais goût qui semblent avoir atteint leur apogée sur certaines façades Champs–Elysées  et qui sévissent un peu partout dans les quartiers riches.

Mais voici une exception, une magnifique réussite due à l’heureuse rencontre d’un homme de goût  parfait et d’un maître architecte d’une remarquable sûreté de vue. Rencontre qui bien souvent aussi s’est transformée en précieuse collaboration.

L’hôtel particulier que Monsieur Ducharne s’est fait construire rue Albéric-Magnard, à Auteuil, accuse dans ses moindres détails l’entente  qui n’a cessé de régner entre lui et son architecte Monsieur Pierre Patout, à ce point de vue infiniment privilégié. Il ne l’a pas moins été par l’excellence, la clarté du programme qu’il avait à remplir, type d’habitation  particulière de haut luxe et d’ample confort et d’une exquise distinction.

L’architecte avait à construire et distribuer un garage pour auto, une galerie de peinture, un grand et un petit salon, une salle à manger avec cuisine voisine, une bibliothèque-bureau, une salle de billard, une grande chambre , trois chambres d’enfants, une chambre d’amis, des salles de bains, un salon d’habillage, un boudoir et, pour les enfants, une salle de culture physique.

L’hôtel, inscrit dans un quadrilatère, comporte trois étages, en retrait l’un sur l’autre du côté du jardin.

 

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La façade sur rue est précédée d’une grille d’un modèle imposé règlementaire, tapissée de plantes grimpantes. Construite suivant le principe de la symétrie, une grande porte rectangulaire en occupe le centre, porte magnifiquement décorée d’une grille en fer forgé, mise en exécution  d’après les dessins de Pierre Patout, par Monsieur Llano Florès et exécutée par Monsieur Carrera.

A cette triple collaboration est dû l’escalier dont nous reproduisons l’élégant départ et le motif de rampe de fer forgé.

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A gauche de cette porte, la conciergerie et l’entrée de service. A droite, une petite porte pour l’entrée des maîtres. L’automobile pénètre par la grande porte, dépose les voyageurs dans le vestibule et va se ranger dans le garage situé au fond. Ce garage est long de vingt mètres et permet à la voiture d’évoluer et de tourner, prête à sortir sans être obligée de le faire à reculons. Une porte sous le vestibule donne accès à l’antichambre des maîtres où les invités trouvent un vestiaire et des lavabos.

Un escalier en marbre conduit à la galerie de peinture, qui occupe longitudinalement, la partie médiane du rez-de-chaussée de réception. Elle figure ici sous deux aspects, non garnie encore des toiles et des sculptures que leur destine le collectionneur. Construite en stuc, avec dallage en pierre et marbre, elle s’orne d’une vasque en marbre, d’une stèle destinée à recevoir un bas-relief  et de hautes colonnes en stuc poli qui communiquent à l’ensemble un caractère de majesté.

On remarque sur une autre vue, l’entrée de la galerie avec les trois degrés de marbre et les hauts piliers tendus d’opulentes soieries de Ducharne. Cette galerie sépare la salle à manger des salons et du billard, situés sur jardins et communiquant avec ceux-ci de plain-pied.

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Perspective du salon à la salle à manger

 

Le premier étage contient la grande chambre et le boudoir, dont les baies donnent sur les terrasses, ainsi que les chambres d’amis, et les trois chambres d’enfants, prenant jour sur la rue. Enfin à l’étage supérieur se trouvent, outre la chambre de la gouvernante, la salle de culture physique et le terrain de jeu en haute terrasse, pour la cure d’air et de soleil.

Telles sont, en bref, les caractéristiques de cette manifestation  dont le moindre détail mériterait d’être longuement analysé et décrit. Tout est ici logique, équilibre, judicieux accord entre la maîtrise du savant constructeur et le sobre et élégant dessin de l’artiste, et Pierre Patout est l’un et l’autre éminemment. Il apporte le même soin, la même minutieuse conscience à résoudre le problème du garage ou de la cuisine qu’à jouer en audacieux symphoniste avec les splendides matières avec lesquelles il a édifié les pièces nobles.

C’est ainsi, comme il nous le fait observer, qu’il a utilisé dans la construction de la cuisine le principe de ventilation des grandes salles  du Moyen-Age aux puissantes cheminées à hotte. L’air chaud, les fumées et la buée sont immédiatement ventilés et transportés à travers des conduites d’éjection.

Nous ne proposons pas pour cette fois de décrire dans leur délicat raffinement et pièce après pièce, cet hôtel dont les ensembles mobiliers ont été confiés à Ruhlmann, choix dont le moindre mérite n’est pas d’unir une fois de plus le maître décorateur à l’architecte qui avait dessiné les plans du charmant « Hôtel pour un collectionneur » de l’Exposition.

L’hôtel  de Monsieur Ducharne procède sensiblement du même esprit. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner la grâce et la sobriété des lignes du jardin, dont le mur du fond dessine un nerveux fronton et dont la surface est si heureusement interrompue par deux pilastres quadrangulaires jumeaux.

Mais ce que nous avons pu longuement admirer, sans risquer une indiscrète visite domiciliaire, c’est la splendide façade sur rue, si ingénieusement composée.

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Supprimant le jeu monotone des fenêtres uniformément percées, l’architecte a fait se détacher de l’ensemble de la façade, dessinée comme un frontispice, exécutée en marbre blanc guilloché. Ce parti reflète sans nulle supercherie ni trompe-l’œil la disposition des pièces. Il en est le corollaire obligé. Il  nous montre en même temps que le dessin discipliné de l’auteur  est sa constante préoccupation de fuir tout arbitraire.

Monsieur Pierre Patout a créé sans nul effort apparent, avec une grâce qui frappe et séduit tout d’abord sans forcer nulle part la note, un ensemble dont on discerne très nettement, en dépit et à cause de son harmonieuse simplicité, le caractère de grandeur et la noblesse.

Et il a résolu avec un singulier bonheur ce problème que d’autres paradoxalement envisagent avec scepticisme ou mépris : faire une œuvre, qui, bien que riche et pourvue de moyens exceptionnels, soit vraiment conçue et réalisée sous le signe de la beauté. »

 

Georges Rémon 

Jardins et Cottages- janvier 1927 - n°10  

 

 

Sources :

 Bibliothèque Nationale de France, département Sciences et Techniques

 Archives Municipales de Chatou

 Bibliothèque Historique de la Ville de Paris

 Archives de la Légion d'Honneur 

 

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