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04/09/2011

L'ASSASSINAT DE GEORGES MANDEL DANS LES PROCES D'APRES-GUERRE

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Dans un article du 26 octobre 1944, le journal "L'Aube" rendit compte du procés des Miliciens qui avaient participé à l'assassinat de Georges Mandel le 7 juillet 1944, un mois après le Débarquement :

"Je vous avouerai que les accusés d’aujourd’hui ne m’intéressent pas. Ces visages d’hommes à tout faire ne resteront pas dans le souvenir. Ils n’attirent le regard que pour le faire détourner. Qu’ils aient été condamnés pour intelligences avec l’ennemi, que la cour n’ait pas retenu le chef d’assassinat, c’est là une question qui a manifestement surpris le public et qui s’explique, sans doute, par la manière dont les questions ont été posées à la Cour.

Ce qui importe, ce ne sont pas tant les trois hommes que tout ce qui a précédé et entouré le drame. Ce sont les ordres donnés. Ce sont les donneurs d’ordre qui ne sont pas là, pas plus que ne s’y trouve celui qui a tiré sur Georges Mandel et l’a abattu avec une férocité telle que le docteur Paul a pu dire qu’il n’avait encore jamais examiné de victime traversée de tant de coups.

Et c’est surtout la victime elle-même. Pour nous qui n’avons pas à traiter de l’homme politique ni des services qu’il a rendus à la France et qu’il lui aurait encore rendus, la dernière image que nous emporterons de ce procès sera celle que l’un des accusés nous donnait en racontant comment, durant le trajet de la Santé à Fontainebleau, il se trouvait dans la voiture à côté  de Mandel et comment celui-ci se mit à lui parler familièrement.

Rien n’est plus émouvant que cet ultime dialogue entre Mandel et l’aide de son bourreau, dialogue d’autant plus émouvant que Mandel connaissait son sort. Et il savait à qui il parlait. (…) Cette image tragique et familière sera la dernière qu’aura laissée cet homme vivant, cet homme à la fois multiple et plein d’unité.

Il est un peu plus de treize heures lorsque Monsieur le Président Pailhé, premier président honoraire de la Cour de Cassation, déclare l’audience ouverte.

C’est Pierre Boero qui ouvre le feu de l’interrogatoire. Boero, Niçois d’origine, a d’abord milité au PSF mais fait bientôt connaissance de Joseph Darnand. A la suite d’incidents avec les autorités allemandes, Darnand le couvre et il entre à la Milice fin mars 1944.

Le président Pailhé retrace les circonstances dans lesquelles s’est perpétré le 7 juillet dernier, l’assassinat de ce grand Français, « élève à l’école de Clemenceau et qui n’avait cessé de songer à la grandeur de la France ».

Le crime était mis au point dés le 6 juillet. Trois voitures parties du centre de la Milice, rue Le Peletier, vinrent à la Santé chercher leur victime.

Et c’est la classique mise en scène. On va, soi-disant, au château Des Brosses dans la région de Vichy. Mais, par hasard, arrivé en Fontainebleau, une voiture tombe en panne. Tout le monde descend. Quelques coups de feu claquent dans la clairière. Mansuy vient de tirer. Un corps gît à terre.

 - Vous saviez quel était le but de ce voyage ? demande le président à Boero

 -  Je l’ignorais. Seuls Fréchoux, Knipping et Mansuy en avaient discuté.

Georges Néroni, à son tour, vient sur la sellette. Barman de son métier, il est entré, vers mars 1944, au service de la documentation de la Milice.

- Vous ne pouviez ignorer les tractations entre les chefs de la Milice.

- Ils ne s’étaient pas confiés à moi. D’ailleurs, précise-t-il plus loin, je n’étais pas armé et croyais personnellement qu’on allait à Vichy.

Enfin le président Pailhé, s’adressant à Pierre Lambert, lui a fait préciser quel est son rôle dans cette tragédie.

- Je n’étais pas au courant. Ce n’est que par hasard…

On entend alors les témoins, et notamment le docteur Paul, médecin légiste, qui, dans un exposé d’une rare précision, situe les blessures. Seize plaies sont observées dans le corps de l’ancien ministre : quatorze au thorax, une au cou et l’autre à la tempe droite.

Après une courte interruption d’audience, Monsieur l’avocat général Vassart prend la parole :

« Un grand Français vient de mourir. Sa vie appartient à l’Histoire. Retraçant les circonstances de l’assassinat, Monsieur Vassart cite encore les belles paroles du grand patriote : « Mourir n’est rien. Je regrette seulement de mourir avant d’avoir vu la Libération de mon pays et la restauration de la République. »

Successivement, Maître Moranne, pour Néroni, Maître Mollé, pour Lambert , Maître Chamant, pour Boero, prirent la parole, faisant surtout le procès de la Milice :

Frappez la tête, tel est leur avis, où est le premier accusé de cette liste ? où est Darnand ? où est Mansuy ? si le crime du chef qui a trahi mérite un châtiment, réserverez-vous le même sort aux soldats de la troupe égarée ? après quarante minutes de délibération, l’audience est reprise. Boero et Neroni s’entendent condamner à mort, Lambert à 20 ans de travaux forcés ».

 

Le tribunal militaire de Paris jugeait en 1949 le cas d’Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne en France pendant l’Occupation. Voici la relation par « L’Aurore » du procès à l'audience du  17 juillet 1949  concernant l’assassinat de Georges Mandel, lequel ne constituait qu’une partie de l’accusation à l’encontre d’Otto Abetz.

Le président

Voyons, je vais vous interroger maintenant sur l’affaire de Monsieur Georges Mandel. Les Allemands avaient une haine particulière contre Messieurs Raynaud et Mandel, qu’ils rendaient responsables de la guerre et de la continuation de la guerre. Le gouvernement de Vichy avait lui-même une animosité contre ces personnes.

Messieurs Mandel et Reynaud avaient été internés en septembre 1940 et le 16 octobre 1941, ils étaient condamnés pour responsables de la défaite à l’internement dans une enceinte fortifiée.

En novembre 1941, Messieurs Blum, Reynaud et Mandel  étaient tous trois internés au Fort du Portalet. Et puis, en novembre 1942, les Allemands les ont transférés en Allemagne dans la région d’Orianenbourg.

Or, voyons comment les faits se sont passés, comment Monsieur Mandel a été assassiné  et nous verrons ensuite ce que l’accusation vous reproche à ce sujet.

Eh bien, en juillet 1944, le gouvernement allemand décida de remettre Monsieur Mandel au gouvernement de Vichy pour que celui-ci le fasse fusiller en représailles des condamnations de Phalangistes en Tunisie. C’est exact, n’est-ce pas ? à ce moment, vous aviez averti Laval que Mandel, Paul Reynaud et Blum devaient être livrés ?

Abetz

Oui, même déjà quelques semaines auparavant.

Le président

Quoiqu’il en soit, Monsieur Mandel a été ramené en avion à Paris par les Allemands, et, après avoir passé deux jours dans un service allemand, il était incarcéré, le 7 juillet, à la Santé, puis amené dans une voiture allemande, avec officiellement, le docteur Schmidt.

Alors, le même jour, vers 17h30, Knipping, adjoint de Darnand, va donc prendre livraison de Monsieur Mandel qui avait été incarcéré à la Santé. Il signe la levée d’écrou et il dit à Monsieur Mandel qu’il va être conduit au château Des Brosses, prés de Vichy et puis le livre à des miliciens sous le commandement  d’un nommé Mansuy, tortionnaire de la Milice.

Et Monsieur Mandel monte dans la voiture conduite par Mansuy et deux miliciens suivent avec l’allemand Schmidt. Les deux voitures passent dans la forêt de Fontainebleau et Mansuy stoppe à un carrefour, en disant qu’il y a une panne.

Tout le monde descend. Mansuy fait le tour de la voiture et tire à bout portant plusieurs coups de revolvers dans la nuque de Mandel. Celui-ci tombe mort instantanément, puis Mansuy tire une rafale de mitraillette dans la voiture de manière à faire croire à une attaque.

Ensuite, Monsieur Mandel est conduit  à Versailles à l’intendance de police, où les miliciens déclarent que la voiture a été attaquée en forêt de Fontainebleau et que Monsieur Mandel a été tué au cours de l’attaque.

Eh bien ! voyons quels sont les faits qui sont retenus contre vous par l’accusation dans cette affaire.

Il semble que vous aviez, tout de même, une certaine antipathie contre Messieurs Reynaud et Mandel, antipathie qui était apparue en 1941, dans l’affaire des Gardes Territoriaux Français poursuivis pour leur lutte contre les parachutistes allemands.

Abetz

Je crois que le mot « antipathie » n’est pas tout à fait exact, pour dépeindre mes sentiments.

Je ne connaissais pas Mandel personnellement, je ne l’avais jamais vu, et en ce qui concerne Reynaud, je l’avais vu une fois, mais cela n’empêche pas que j’ai vu paraître un article de presse dans lequel il a été dit  que j’aurais affirmé à un avocat du procès de Riom que « Reynaud et Mandel étaient des hommes que j’aurais fait périr de mes propres mains ».

Je ne me souviens pas d’avoir dit cela, mais mes sentiments envers eux étaient les suivants – et cela est vrai – je leur en voulais beaucoup, énormément, justement pour l’affaire dont vous me parlez, l’affaire des Gardes Territoriaux.

Juridiquement, je ne pouvais rien faire, cela dépendait des tribunaux militaires qui, seuls, pouvaient intervenir. La seule chose que je pouvais faire, c’était placer cette question sur le plan politique, faire intervenir les Affaires Etrangères.

A ce moment-là, j’ai encore une fois, pour des raisons de tactique, fait la proposition de fusiller non pas les « petits » mais les responsables de cet état de fait. Et les territoriaux ont été graciés, c’est là le point important.

Le président

Bien, en tout cas, en mars 1944, à l’occasion du procès des Phalangistes de Tunisie, dont je parlais tout à l’heure, vous avez réagi, comme je l’ai indiqué, en lisant un document, en proposant qu’on fusille dix fois plus de membres de la dissidence et, après un séjour à Berlin, au printemps de 1944, vous reprenez, au sujet des questions des Phalangistes, la proposition d’exécuter Messieurs Reynaud, Blum et Mandel.

De sorte que vous reveniez, à cette date, au mois de mai 1944, à la proposition que vous aviez déjà faite de faire fusiller Messieurs Reynaud, Blum et Mandel.

Abetz

Oui

Le président

Voulez-vous vous expliquer à ce sujet ?

Abetz

Oui, mais il faut  lire tous les textes, n’est-ce pas ?  c’est un rappel, Ribbentrop m’a ordonné cela, et c’est un rappel à cet ordre qui est antérieur, et du reste est déjà prouvé par d’autres documents.

Le président

Oui continuez

Abetz

Il continue, il qualifie ces exécutions de mesures de représailles absolument nécessaires contre l’exécution des partisans fidèles à Vichy en Afrique du Nord et il considère que c’est une tâche urgente de l’ambassadeur Abetz que de découvrir  des personnes et d’inviter Laval à les faire fusiller.

Or, au moment de ces conversations, des fusillades avaient déjà commencé. Il y en avait eu déjà au plateau des Glières, où six chefs résistants, six petits chefs résistants ont été fusillés à la suite d’une sentence de cour martiale.

Il y avait donc le danger que cela déclenche toute une série de fusillades comme dans l’histoire des otages, et que de nouveau il y ait du sang entre les peuples. Je voulais éviter cela.

Et encore une fois j’ai eu recours au même moyen  qui m’avait si bien réussi en 1941 : proposer une chose qui frappe beaucoup l’imagination, qui fasse gagner du temps, qui fasse intervenir les Affaires Etrangères dans un sens contraire et de ce fait, éviter toutes représailles sanglantes.

Je voulais alors, encore une fois, empêcher une mesure ou des mesures sanglantes qui auraient touché des centaines de personnes, en faisant une  proposition dont j’étais sûr qu’elle ne serait pas réalisée. Je me trompais dans un certain sens.

Le président

Nous revenons n’est ce pas à ce document auquel vous faisiez allusion : cette note de Ribbentrop qui demande de vous entendre sur certaines questions « parce qu’on vous trouvait un peu trop mou », disait Ribbentrop.

Abetz

Il y a un fait en tout cas : c’est que moi et je le déclare de la manière la plus solennelle, je n’ai rien su du transfert de Monsieur Mandel de l’Allemagne à Paris, je n’ai rien su du séjour de Monsieur Mandel à Paris, je n’ai rien su du transfert de Monsieur Mandel en zone sud. Et j’ai appris l’assassinat de Mandel par la protestation de Laval.

Le président

Si je comprends bien, vous reconnaissez avoir fait cette proposition en mai 1944, proposition que vous aviez déjà faite en 1941 de faire fusiller Messieurs Paul Reynaud, Léon Blum et Georges Mandel mais vous dites : « j’étais persuadé que cela n’aurait pas lieu. »

Abetz

Oui

Le commissaire du gouvernement

Je tenais à dire que les policiers condamnés en Tunisie ont été considérés comme traîtres et c’est un tribunal militaire français qui les a condamnés. »  

 

Otto Abetz fut condamné à vingt ans de travaux forcés pour crimes de guerre au terme du procès mais libéré en avril 1954. Il se tua dans un accident de voiture en 1958.

 

 

 

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