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29/02/2012

LE GENERAL COLIN, MORT POUR LA FRANCE

 

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Jean Lambert Alphonse Colin naquit le 27 décembre 1864 à Chatou (portrait ci-dessus).

 

Polytechnicien puis élève de l'Ecole d'application de Fontainebleau, il entra à l'Ecole Supérieure de Guerre et en sortit breveté d'état-major au grade de capitaine le 26 février 1894. Son caractère  indépendant et sa passion pour l'histoire militaire faisaient déjà sa réputation lorsqu'il publia en 1898 son premier livre  (faisant encore autorité)  "Etudes sur la campagne d'Italie de 1796".

 

Détaché  en août 1900 au service historique de l'armée, il se distingua pendant 14 ans par un nombre impressionnant d'ouvrages qui le classent encore aujourd'hui parmi les meilleurs écrivains militaires. Parmi ceux-ci : "L'éducation militaire de Napoléon", "Les campagnes du Maréchal de Saxe (3 volumes)", "La campagne de 1793 en Alsace", "La campagne de 1805 en Allemagne (4 volumes)", "La surprise des ponts de Vienne en 1805", "Annibal en Gaule", "Les travaux des Romains devant Alésia", "La tactique et la discipline dans les armées de la Révolution", "L'infanterie au XVIIIème siècle", "Les grandes batailles de l'histoire"  pour ne citer que les plus connus.  

 

Dans "Les transformations de la guerre", écrit en 1911, il conclut de manière prémonitoire au risque d'une guerre figée et linéaire par l'accroissement des effectifs, à la nécessité d'un seul chef pour commander les armées de coalition (doctrine qui finalement s'imposera en 1917) et  au rôle primordial de la diplomatie pour favoriser des renversements d'alliance  permettant des interventions ou des manœuvres décisives sur des théâtres d'opérations difficiles (exemples de l'Italie en 1915, de la  Russie et de la Grèce en 1917).

 

Chef d'escadron en 1906, Alphonse Colin entra en guerre comme lieutenant-colonel sous les ordres du Général Pau. Il en devint le chef d'état-major pendant la campagne d'Alsace en août 1914.

 

Après une première mission dans les Balkans, il rentra en France et commanda en février 1915 l'artillerie de la 2ème division coloniale. Les avancées qu'il obtint dans la région de Beauséjour le portèrent au grade de colonel et l'amenèrent à commander successivement trois régiments d'artillerie  au cours de l'année 1916.

 

De nouveau envoyé dans les Balkans contre l'armée bulgare comme chef d'état-major d'un groupement de divisions, puis nommé général de brigade le 26 juin 1917, il commanda en juillet la 8ème brigade d'infanterie puis l'infanterie de la 30ème division. Ce fut son dernier commandement.

 

 

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En Macédoine, le général Sarrail, commandant du corps expéditionnaire en Orient du 11 août 1916 au 31 décembre 1917, arrêté par un soldat en faction attendant les ordres de laisser-passer.

 

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En Macédoine, le général Léontieff, commandant de l'armée russe, décore un soldat en haut d'une montagne (en bas les troupes rassemblées). Nous sommes en juin 1917 sous le gouvernement provisoire de Kerensky. A la révolution d'octobre 1917, le général s'exilera en France. L'un de ses arrières-petit-fils sera président du gouvernement de la Polynésie Française.

 

 

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Une batterie française à Gornitchevo en Macédoine. Partout, le même paysage de désolation.

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Une troupe serbe en Macédoine sur le front de Gornitchevo. Les Serbes, les Français, les Russes jusqu'à la chute de Kérensky en 1917, mobilisèrent des corps d'armée contre le front germano-bulgare en Macédoine.

 

 

 

 

 

Lors d'une visite des tranchées de première ligne à Holleven en Macédoine le 29 décembre 1917, le général Colin fut  grièvement blessé  par un éclat d'obus. Il mourut le lendemain, en ayant continué à donner des ordres jusqu'à son dernier souffle selon des témoins. Le 23 mars 1918, le conseil municipal de Chatou décida de baptiser la rue de Croissy de son nom.

 

Dans la commémoration  de la première  guerre mondiale au cours de laquelle prés de trois cents enfants de Chatou ont laissé leur vie, le souvenir du Général Colin occupe une place éminente qu'un panneau commémoratif permettrait peut-être de rappeler : natif de Chatou, historien militaire, mort au combat le 30 décembre 1917.

 

 

N.B : Les usines Pathé-Marconi de Chatou ont eu le grand mérite d'éditer un disque sur la Première Guerre Mondiale : "L'Armistice de 1918" par le général Weygand (1867-1965), adjoint du Maréchal Foch, dans le label "Témoignages" (ci-dessous, collection José Sourillan)

 

 

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21/02/2012

DROLE D'EPARGNE

La Révolution avait soulevé le tumulte et l’enthousiasme. Les bases d’une société nouvelle plus libre et plus équilibrée étaient recherchées par tous ceux qui avaient la foi en l’évolution. Le comte de Mirabeau (1749-1791), tout à la fois royaliste et révolutionnaire, avait contribué à ce que rien ne puisse entamer cette aspiration que l’on avait écartée depuis trop longtemps au détriment de la classe la plus laborieuse et la plus nombreuse de la société.

 

 

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Portrait tiré du livre "Mirabeau" de Louis Caste (éditions Dardanchet 1942)

 

 

Parmi les causes dont il se saisit peu avant sa mort le 2 avril 1791, celle de la création d’un système d’épargne l’avait amené à défendre une organisation importée d’Italie : un plan de tontine viagère et d’amortissement proposé par Monsieur Joachim Lafarge, un homme que nous connaissons pour avoir été au terme de son entreprise le propriétaire de l’actuel hôtel de ville de Chatou de 1801 à 1808 (édifice demeuré maison de maître jusqu’en 1878).

 

 

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Joachim Lafarge fut propriétaire de la maison de l'actuel hôtel de ville avant son changement d'affectation

 

 

 

Dans son ouvrage, « La Caisse d’Epargne et de Prévoyance de Paris » publié en 1892, Monsieur Bayard rapporta ce que Mirabeau déclama à l'Assemblée Nationale au sujet de la proposition de Monsieur Lafarge :

 

« Vos comités trouvent une foule d’avantages dans l’adoption du projet de Monsieur Lafarge. Il en est un dont ils ne vous parlent point, c’est qu’un pareil établissement, rappelant sans cesse à la classe indigente de la société des ressources de l’économie, lui en inspirera le goût, lui en fera connaître les bienfaits et, en quelque sorte, les miracles.

 

J’appellerais volontiers l’économie la seconde providence du genre humain. La nature se perpétue par des reproductions, elle se détruit par des jouissances. Faites que la subsistance même du pauvre ne se consomme pas tout entière ; obtenez de lui, non par des lois, mais par la toute-puissance de l’exemple, qu’il dérobe une très petite portion de son travail pour la confier à la reproduction du temps, et, par cela seul, vous donnerez les ressources de l’espèce humaine.

 

Et qui doute que la mendicité, ce redoutable ennemi des mœurs et des lois, ne fût détruite par de simples règles de police économique ? qui doute que le travail de l’homme dans sa vigueur ne pût se nourrir dans sa vieillesse ?

 

Puisque la mendicité est presque la même chez les peuples  les plus riches et parmi les nations les plus pauvres, ce n’est donc pas dans l’inégalité des fortunes qu’il faut en chercher la véritable cause, elle est tout entière dans l’imprévoyance  de l’avenir, dans la corruption des mœurs et surtout dans cette consommation continuelle sans remplacement qui changerait toutes les terres en désert, si la nature n’était pas plus sage que l’homme.

 

Monsieur Lafarge appelle son projet : tontine viagère et d’amortissement ; je voudrais qu’il l’eût appelé : caisse des épargnes, caisse des pauvres ou caisse de bienfaisance ; ce titre aurait mieux fait connaître au pauvre ses besoins et au riche ses devoirs. Assez de fortunes ont été amoncelées par l’avarice, en accumulant des intérêts, en échangeant des privations par des richesses. Il faut aussi apprendre à la classe indigente ce moyen de se préparer un plus doux avenir (…)."

 

L’oraison se poursuivit par de très belles paroles mais l‘Assemblée Nationale, bien qu’émue du talent déployé dans cette nouvelle harangue, ne fut pas convaincue à juste titre par le projet présenté.

 

Le refus de l’Assemblée n’entama pas la détermination de Joachim Lafarge, qui ouvrit ses bureaux 53 rue des Blancs-Manteaux à Paris.

 

Le 17 août 1791, Monsieur Lafarge, soutenu par deux administrateurs Messieurs Mitouflet de Beauvais (futur maire de Chatou sous la Restauration voir notre revue "Chronique des temps difficiles 1814-1830") et Mignon Duplanier, présenta un mémoire en vue d’obtenir un brevet d’invention pour son plan de tontine sous le nom de « Caisse d’Epargne et de Bienfaisance », retenant ainsi  la suggestion de Mirabeau, pour une durée de 5 ans « avec le privilège exclusif que la loi y attache », au titre des entreprises bénéficiant des nouvelles dispositions sur le droit de propriété.

 

Le principe de la Caisse reposait sur une cotisation des "riches" avec un intérêt de 5% garanti la première année et « augmenté chaque année par les chances du tirage » jusqu’à percevoir 3000 livres de rente par action, en plaçant les sommes sur la tête de leur fils en bas âge. « Si l’enfant périt, il perd tout à la vérité, mais l’éducation et la dot lui auraient coûté beaucoup plus ; si son fils vit, le riche est assuré de jouir abondamment, et au bout de 18 à 20 ans, il le  marie avec des rentes qui forment la dot la plus riche ».

 

Parallèlement, "le pauvre" devait cotiser 90 livres en 10 ans, à raison de 9 livres par an. « Sa mort fait gagner très peu aux riches, tandis que celle de ses derniers le rend héritier des sommes qu’ils ont versés dans la Caisse. »

 

Le 31 mars 1793, la Caisse de Monsieur Lafarge annonçait : « Le devoir le plus important, celui qui tenait le plus à la délicatesse et à la probité des directeurs et administrateurs, est totalement rempli. Les 32.894.160 millions, 7 livres et 10 sols, produit des 460 et 19.608 actions tant entières que partielles composant la masse de la Société, sont totalement employés en contrats perpétuels sur l’Etat et assument, pour le recouvrement au nom collectif des actionnaires, le service des arrérages et des accroissements auxquels ils ont droit par succession les uns aux autres. »

 

Ce système qui s’était assis sur la nouveauté et la crédulité, avait continué son cours sous les tribulations du Directoire.

 

 

Le Premier Consul fut amené à revoir  la question d’un autre œil : il nomma un Commissaire prés de l’établissement de la Caisse d’Epargne, seize actionnaires ayant déposé plainte selon un rapport annexé aux délibérations de la Société le 4 Prairial an 12 (1804).

 

Un rapport fut établi par les maîtres des requêtes au Conseil d’Etat le 12 décembre 1808, Le Camus de Néville, Pasquier et Coquebert de Monthret à la demande de l’Empereur.

 

Convaincu par les conclusions du rapport, Napoléon signa sur avis du Conseil d’Etat le 1er avril 1809 un décret prévoyant que trois administrateurs prés le conseil municipal de la commune de Paris nommés par le préfet du Département de la Seine seraient chargés de gérer au mieux les intérêts des actionnaires cependant que les contestations furent renvoyées devant la Cour des Comptes.

 

Puis, c’est du quartier général impérial de Wilna, le 4 juillet 1812, que Napoléon arrêta que la Caisse des employés et artisans, entité de la Caisse Lafarge « composée jusqu’à ce jour de 2 sociétés distinctes, ne formerait plus qu’une seule société dans l’organisation nouvelle.»

 

Par un arrêt définitif rendu en séances les 18,22,23 et 29 décembre 1813, la Cour des Comptes déclara « en débit les directeurs de la société en inscription de 5% consolidés sur les dix exercices des capitaux de la première société de la somme de 108.468,91 francs. » La liquidation des Tontines Lafarge était consommée.

 

 

 

 

Sources :

 

- archives du Musée de la Poste

- bibliothèque administrative de la Ville de Paris

 

 

 

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Locomotive SNCF 241 P compound fabriquée aux usines Schneider du Creusot de 1948 à 1952, emblème de l'association.

 

 

 

 

 

 

15/02/2012

L'ECOSSAIS DE CHATOU

 

Le compositeur LEO DELIBES (1836-1891) fut un spécialiste de l'opérette. On lui doit une cinquantaine d'oeuvres musicales dont celle de "L'OMELETTE à la FOLLEMBUCHE", opérette-bouffe en un acte du croissillon Eugène Labiche et de Marc-Michel représentée pour la première fois à Paris sur le Théâtre des Bouffes-Parisiens le 8 juin 1859.

 

C'est pourtant le ballet "COPPELIA" en 1870 qui le conduisit à la postérité. Si "LA COUR DU ROI PETAUD" conforta sa renommée dans l'opéra-bouffe au Théâtre des Variétés en 1869, il fut également l'auteur de "L'ECOSSAIS DE CHATOU", une opérette en un acte sur un livret de Gille et A. Jaime, créée au théâtre des Bouffes-Parisiens d'OFFENBACH le 16 janvier 1869. C'est peu dire que la ville de Chatou affichait déjà sa célébrité dans la revue joyeuse du Second Empire.  

 

 

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Affiche de "l'Ecossais de Chatou"
 
Le 16 janvier 1869, Offenbach créa l'opérette aux Bouffes Parisiens avec les comédiens suivants dans les cinq rôles: Messieurs Désiré (Ducornet), Bonnet (Lebic), Hamburger (Hippolyte), Mademoiselle Fonti (Palmyre),  Monsieur Munier (Pierret) - collection Pierre Arrivetz 

 

 

 

L'opérette prend pour thème le propriétaire d'un manoir à Chatou (Ducornet) destiné à accueillir les étrangers, qui ne comprend pas pourquoi aucun étranger ne vient :

 

"voilà ce que j'ai dit à mes domestiques...seulement il y a un malheur, une paille dans mon oreiller !...il ne vient pas d'étrangers, comprend-t-on ça ? je cherche, je m'y perds, et je me dis toute la journée : mais quel vice y-a-t-il dans cette maison ?". Il a embauché deux domestiques (Lebic et Palmyre) qu'il affuble des noms de Dikson et Jenny mais rien n'y fait. Il finit par se déguiser pour se présenter dans son manoir.

 

 

 

Couplet "Ensemble" scène IX et dernière :

 

Ducornet

 

Oui, tu reverras ton règne,

O sainte hospitalité.

J'en jure par mon enseigne,

Je saurai la vérité

 

Lebic et Palmyre

 

Vraiment, il faut qu'on le plaigne,

C'est trop de naïveté.

Il s'en rapporte à l'enseigne,

Et veut l'hospitalité

 

L'opérette se termine ainsi :

 

 

Palmyre, Ducornet, Lebic, Hippolyte et Pierret

 

Notre hôtellerie

A déjà ce soir

Bonne compagnie

Notre hôtellerie

Conserve l'espoir

De vous revoir.

 

 

Palmyre

 

La route est aisée,

Fleurie et boisée

 

Hippolyte

 

Le chemin de fer

N'est pas trop cher

 

Lebic

 

Vous prenez la gare,

Celle Saint-Lazare,

Vous trouvez au bout

 

 

Ducornet

 

Chatou !

 

 

Palmyre

 

Chez nous votre couvert est mis,

Revenez nous voir en amis.

 

 

Ensemble

 

Dzing, boum, etc, etc...

 

 

 

 

 

 

* Pour contacter une troupe spécialisée dans l'opérette :

 

   www.jacquesmougenot.com

 

 

05/02/2012

L'AFFAIRE DES 27 MARTYRS DE CHATOU LE 25 AOUT 1944

Le tribut de Chatou aux heures sombres de l'histoire a atteint son apogée dans les guerres du XXème siècle. La moins conventionnelle, la deuxième guerre mondiale, nous apporta son fardeau de meurtres sur fond de règlements de comptes.

 

Depuis la percée d’Avranches du 31 juillet 1944 permettant l’avance de la 2ème D.B. du général Leclerc, les multiples opérations menées par la Résistance à Chatou sous la direction du commandant Torset avaient abouti à l’évacuation de l’armée allemande, puis le jeudi 17 août 1944 à la reprise de possession du château de la Pièce d’Eau, enfin à celle de la mairie le lundi 21 août.

Après avoir pris leurs quartiers au château de la Pièce d’Eau, les résistants F.F.I. de Chatou installèrent sous bonne garde dans le garage de la propriété une quarantaine de prisonniers [23 Allemands, dont deux grièvement blessés, ainsi qu’une vingtaine de miliciens et de femmes] mais ils furent très vite dénoncés par des collaborateurs auprès des Allemands fugitifs. Le mercredi 23 août 1944, Raymond Acquart en embuscade à quelques mètres de la rue Esther-Lacroix fut abattu par une colonne allemande remontant la rue Camille Périer.

Le jeudi 24 août 1944, Paris acclamait la 2ème D.B. du général Leclerc tandis que les Allemands qui se trouvaient encore à l’ouest de la capitale prenaient la précaution de miner les ponts, dont celui de Chatou. Aussitôt informés, les résistants de Chatou décidèrent d’accueillir au château de la Pièce d’Eau des civils domiciliés près du pont afin de les protéger de sa destruction annoncée. Le vendredi 25 août 1944, un détachement allemand d’arrière-garde de S.S., armé de grenades et de mitraillettes, prit violemment d’assaut le château de la Pièce d’Eau, ce qui amèna le commandant Torset à devoir désarmer la soixantaine de résistants qui s’y trouvaient.

Les Allemands insistèrent alors pour savoir où se trouvaient leurs prisonniers. Voulant éviter un massacre de civils, le commandant Torset conduisit les Allemands à la maison de la Villa Lambert où les prisonniers du garage avaient été mis à l’abri par leurs gardiens, mélangés aux civils réfugiés. C’est là, à la Villa Lambert, qu’Auguste Torset fut abattu, et que se firent brutalement arrêter ses camarades désignés comme des "terroristes" par certains prisonniers de langue allemande.

Après avoir fait évacuer les deux blessés allemands, puis obligé les trois plus jeunes résistants à creuser une fosse devant le château, les Allemands aidés des prisonniers délateurs prirent le temps de fouiller la propriété, d’y trouver du champagne, de le boire et d’utiliser les bouteilles vides et des tessons comme matraques, assommant, fusillant et mutilant sauvagement les "terroristes" qui leur avaient été désignés, avant de les ensevelir les uns sur les autres, morts ou vifs. On ne dut le départ des Allemands et de leurs comparses vers 21 h 30 qu'à l’arrivée imminente de détachements alliés. Le samedi 26 août 1944, l’armée Leclerc entra à Chatou tandis qu’au château de la Pièce commençaient les exhumations du charnier miné par les Allemands, puis l’identification des Martyrs.

 "Le Soir" rapporta :

 "La grande porte du garage du château de Chatou porte encore les traces de la tuerie du 25 août. Voyez le sang qui a giclé jusqu'en haut de la porte et les trous faits par les balles de mitrailleuses. Autour de cet emplacement, nous avons retrouvé des doigts. La fosse est à trois mètres de là. Vingt-sept corps sont entassés dans un trou d'un mètre de profondeur. C'est le plus jeune, un gosse de 16 ans, employé de la gare, qui était chargé de transporter ses camarades dans leur sépulture. Arrivé au vingt-sixième, lui comme les autres y passa. "J'ai retrouvé mon fils dans cette fosse, il avait 23 ans. Le pauvre enfant était nu, un bras cassé, les yeux arrachés, des doigts en moins. Ils ont été enterrés vivants. On les a retrouvés la bouche pleine de terre, les mains crispées dans le sol. Des drapeaux français, lacérés, déchirés, étaient enterrés avec eux."(...) Mais le cynisme des assassins ne s'était pas arrêté là. Après le massacre du parc du château, ils sablèrent le champagne. Sur la fosse, ils avaient déposé des mines, afin que personne ne puisse approcher." 

"Le Soir" - Archives municipales de Chatou

 

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Les 27 fusillés de Chatou : lieutenant Torset, lieutenant Lecaron, Martial Fleury, Robert Alexis, Roger Lemoine, Raymond Acquart, Georges Blaizot, André Couespel, Henri Fisseux, Louis Gaudillet, Joseph Grand, Pierre Jallu, Eugène Jeffrault, Lucien Jeffrault, Victor Kurtz, Adrien Laurent, Pierre Le Bihan, Eugène Le Tyrant, Yves Louis, Jean Mauchaussat, Gabriel Morel, Jacques Mouchard, Robert Noë, Henri Painchaud, Robert Rateau, Henri Richaume, Jean Ramain.

 

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Ci-dessus, l'hommage du 28 août 1944 aux 27 Martyrs au château de la Pièce d'Eau puis au cimetière de Chatou rue des Landes où toute la ville semble s'être donné rendez-vous en présence de soldats des armées Leclerc et Eisenhower. Le 22 octobre 1944, l'avenue de la Pièce d'Eau reçut le nom d'avenue des 27 Martyrs.

 

Le 17 mai 1946, la Cour de Justice de Versailles, juridiction d'exception, rendit son verdict sur le crime commis contre les 27  Résistants de Chatou. Ceux-ci avaient en effet été assassinés sur une délation qui avait fait revenir les Allemands à Chatou. Le président de la Cour, Pihier, avait été l’un des magistrats instructeurs de l’affaire Prince en 1934.

 

Les accusés reconnurent les faits. Graff et la veuve Toupnot furent condamnés à mort, Buchard et Apostolides furent condamnés à 15 et 8 ans de travaux forcés, la femme de Graff fut condamnée à 5 ans de réclusion, Haffray à un an de prison. Tous les condamnés furent désignés à l’Indignité Nationale.

 

 

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Une image des accusés dans le box et de leurs défenseurs -  collection et recherches Annick Couespel

 

 

L'EDITORIAL DE FRANCOIS MAURIAC DANS LE FIGARO DU 18 MAI 1946

 

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« Dans cette affaire sinistre de Chatou que l’on juge à Versailles, je détourne mon attention des traîtres sur les victimes. Je pense à ce chef résistant qui se dénonça lui-même à l’ennemi revenu, espérant que sa mort sauverait celle de ses camarades et qu’il paierait pour tous (le commandant Torset qui habitait 66 route de Montesson à Chatou).

A peine osons-nous aujourd’hui parler de la Résistance, comme si entre ces héros et nous s’accumulaient trop de réputations menteuses, trop de fausses gloires, comme si nous n’arrivions plus à discerner ceux d’entre eux qui se démasquèrent, le moment venu, à l’heure du plus grand péril.

Ils ont existé pourtant, et beaucoup parmi ceux qui ont vécu étaient dignes de parler en leur nom. Que s’est-il donc passé ? toutes les impostures, tous les crimes, toutes les usurpations de certains ouvriers de la dernière heure ne suffiraient pas à expliquer ce discrédit. Sans chercher les responsables d’un côté plutôt que de l’autre, reconnaissons simplement que l’esprit de la Résistance  a été contaminé par la politique. Dans un homme, pourtant, il subsiste à l’état pur. Le pèlerinage du général de Gaulle à la tombe de Clemenceau, nous avons toujours su qu’il ne dissimulait aucune pensée.

 

C’était le geste d’un chef dont toute la politique, depuis qu’il s’est éloigné du pouvoir, tient dans la conscience qu’il a d’incarner cet esprit auquel tant de Français sont devenus infidèles et que la surenchère des partis a disqualifiée. Aucune autre ambition en lui que de rester fidèle pour nous tous : il demeure au milieu de nous, et il n’est pas nécessaire que sa voix s’élève pour que nous nous souvenions de quel esprit nous sommes.

 

Son pouvoir véritable ne dépend pas de la place qu’il occupe. Les Français dont la faute essentielle, dont l’unique faute fut de désespérer de la France à l’heure de son plus grand abaissement, et par des propos partout répandus, d’accabler leur mère humiliée, sont jugés, qu’ils le veuillent ou non, par ce Chef solitaire, assis à l’écart et qui n’est plus rien dans l’Etat.

 

Mais c’est de lui que la lumière émane : s’il occupait de nouveau la première place, il n’en recevrait aucun surcroît. Pas plus ses adversaires que lui-même, personne ne peut faire qu’il n’incarne toujours, partout où il se trouve, la même fidélité…et aussi le même désintéressement : je me souviens, au moment de la délivrance, comme notre Secrétaire Perpétuel l’avait fait pressentir pour qu’il acceptât de siéger à l’Académie, il fit répondre qu’il ne voulait recevoir aucune récompense de la patrie avant d’avoir accompli sa mission : il ne croyait pas qu’il eût encore fait assez.

 

Tant qu’il sera là, les victimes des collaborateurs de Chatou et tous ceux qui ont combattu le même combat auront au milieu de nous un répondant : grâce à lui, nous conserverons leur mémoire, et nous serons forcés de réveiller les souvenirs chez ceux qui oublient , et dont c’est l’intérêt d’oublier…

 

A l’heure des ténèbres, eux qui n’ont pas été fidèles, ils auront beau feindre de l’avoir été, cet homme les rappellera par sa seule présence au sentiment de leur misère, de cette misère qui nous est commune, bien sûr, et à laquelle, comme le rappelait le général de Gaulle lui-même au lendemain de la Libération, nous avons presque tous plus ou moins participé.

 

Il ne dépend de personne que chacune de nos vies n’ait pris, durant ces quatre années où la marée allemande nous a recouverts, comme une coloration qu’elle ne perdra plus.

 

Ces quatre années continuent de nous juger, ou plutôt, elles nous ont déjà jugés : elles ont fait remonter du  plus secret des coeurs , elles ont fait apparaître en pleine lumière ce qui était caché, le meilleur, le médiocre et le pire. Nous nous débattons en vain : nous avons tous au front désormais une marque, un signe, une note que le destin nous a donnée, qu’aucune complaisance n’effacera et que nous emporterons dans la mort."

 

Le sacrifice des 27 Martyrs est commémoré chaque année au château de la Pièce d’Eau.

 

C’est celui de la jeunesse de la France défendant la liberté et l’indépendance séculaires d’une grande et vieille nation.

 

A propos des 27 Martyrs : 

"Les Voix de la Guerre 1939 - 1945", coffret de deux cd audio mêlant voix historiques et témoignages réalisé par l'association Chatou Notre Ville avec la collection José Sourillan et en partenariat avec l'Association des Résistants, FFI et Fusillés de Chatou - coffret disponible par commande à l'association (voir notre article sur la présentation du coffret à Chatou le 10 décembre 2011)

Reportage "Aux héros de Chatou"  réalisé par Pathé pour son Journal d'actualités cinématographiques du 4 septembre 1946 conservé par Gaumont-Pathé Archives, société chargée de la restauration et de la commercialisation des actualités cinématographiques.

"Histoire de Chatou" de Paul Bisson de Barthélémy (1950)

 "Le feu et la foi"

Amicale des Anciens de la Résistance et F.F.I. et Familles de Fusillés de la Résistance - 6ème région Ile-de-France - 4 route de Montesson 78420 Carrières-sur-Seine - Tél. : 09 60 11 65 23 - E-mail : alainhamet@orange.fr