25/07/2012
LE CRIME DE L'AVENUE D'EPREMESNIL
A l’époque où le crime ne revêtait pas la banalité d’aujourd’hui, Chatou fut le théâtre d'un assassinat resté célèbre par le couple Fenayrou.

"M. Aubert était un brave garçon, laborieux, intelligent, qui , grâce à ses efforts persévérants avait relevé une pharmacie qui était presque sans clientèle au moment où il l’avait achetée.
Il se trouvait dans une situation satisfaisante et désirait se marier. Aussi tenait-il à en finir avec une liaison que probablement il n’avait point provoquée. ; mais la jalousie de Madame Fenayrou n’a joué aucun rôle dans le crime. Cette odieuse créature est arrivée peu à peu à faire les aveux les plus complets. Elle a raconté la scène du meurtre telle qu’elle s’est produite. Son mari, son beau-frère et elle avaient dîné au restaurant du Père Lathuile, un dîner qui a coûté 45 francs.
Après le dîner , Fenayrou et l’ouvrier tabletier partirent pour Chatou par le train de 7 heures. Elle, elle attendit Aubert, comme on sait, après être entrée une demi-heure à l’Eglise Saint-Louis d’Antin. Aubert hésitait à raccompagner Madame Fenayrou, et il fallut tout le charme qu’elle exerçait sur lui pour le décider à la suivre.
Tout était si bien préparé pour le crime que, la veille, elle était allée à Chatou, et , entre autres objets, avait apporté une serviette, qu’elle avait déchirée en deux pour servir de baillon à son amant.
Aubert entra dans la maison, tenant une alllumette-bougie. Dans la première pièce, il n’y avait personne. Mais, dans le salon, Fenayrou et son frère l’attendaient. Ils voulurent lui faire signer des billets pour une certaine somme. Aubert refusa. C’est alors qu’il reçut le coup de marteau.Madame Fenayrou dit qu’elle n’a pas assisté aux tortures que les assassins ont fait subir à Aubert. Ces tortures, affirment-elles, ont duré trois quarts d’heure !
Un détail épouvantable a été donné par elle. Lorsque les forces du malheureux pharmacien s’épuisaient, les meurtriers lui faisaient prendre un cordial, afin de ranimer un moment ses forces et de le faire souffrir d’avantage. L’infortuné Aubert avait longtemps hésité à la gare Saint-Lazare au moment de prendre les billets : « je l’ai tant cajolé, a répété la Fenayrou au juge d’instruction, que je l’ai forcé à me suivre. »
On s’est demandé ce qui se serait passé si Aubert avait signé les billets. Evidemment, il eût été assassiné quand même ; les précautions prises en sont la preuve. Les criminels ne se seraient pas exposés à une dénonciation. »"

Source : Le Journal Illustré - 25 juin 1882
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19/07/2012
MICHELE ARNAUD (1919-1998)
Michèle Arnaud (1919-1998) débuta sa carrière comme chanteuse de cabaret en 1952 spécialisée dans les chansons à texte et fit de son guitariste un homme célèbre : Serge Gainsbourg. Mais devint surtout une productrice du petit écran pour le compte duquel elle réalisa notamment « Chez vous ce soir » en 1959, « Les raisins verts » en 1963, « Le music-hall de France » en 1964, « Anna », la première comédie musicale à la télévision par Serge Gainsbourg en 1967. Elle employa Michel Drucker à ses débuts et passe encore aujourd’hui pour un cerveau de la production télévisuelle. Sa discographie se trouve chez EMI mais son cœur a battu pour ? on vous le demande : pour sa villa de Chatou et son vaste jardin. Elle y bénéficiait d’une piscine et y pratiquait la course à pied le matin. Cinémonde nous a livré d’autres détails sur sa vie d’artiste et productrice : après une tasse de thé de chine fumé, elle partait en début d’après-midi à Paris à ses cours de chant ou répétait à son domicile avec son pianiste puis en fin de journée se rendait au cabaret de son mari, au « Milord L’Arsouille », où elle assurait un tour de chant jusqu’à deux heures du matin.
La photo nous présente la charmante productrice et chanteuse derrière un arbre centenaire de sa propriété de Chatou, laquelle existe toujours, et au loin, son élégante voiture dotée de pneus à flancs blancs (de la marque française Salmson (1913-1962) ? une 2300 S de 1953 ?). Le cliché de la maison de Chatou date de 1959. Nous ne pouvions vous l’épargner. Avec Jean-Marie Drot, pionnier des émissions culturelles et metteur en scène d'un dialogue avec André Malraux dont le témoignage a été conservé pour l'histoire, Michèle Arnaud fait partie des références de l'audiovisuel ayant élu domicile à Chatou.
Trouver un disque de Michèle Arnaud : aller à gauche sur la page d'accueil du blog sur "liens conseillés : Site de vente d'ILD - La mémoire du disque"
Sources :
Cinémonde 12 mars 1959
Wikipedia : Michèle Arnaud
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11/07/2012
UNE HISTOIRE MECONNUE
Sartrouville, commune un peu éloignée mais associée à Chatou par la CCBS, est le dépositaire d'une histoire importante : une église du XIème siècle, une maison sur les bords de Seine ayant abrité Maupassant qui y écrivit l'un de ses romans, une aventure aéronautique pionnière.
Fait qu'on ignore peut-être : l'aventure maritime y a également eu sa place. Le navigateur Alain Gerbault (1893-1941), qui avait réalisé à bord du "Firecrest" la première traversée de l'Atlantique en solitaire en 1923, puis traversé en solitaire le Pacifique Sud en 1929, était l'auteur de plusieurs ouvrages évoquant ses exploits. Son succès en tant qu'auteur lui permit de projeter de nouveaux voyages, non sans envisager la construction d'un voilier en remplacement du "Firecrest". La proue de ce bateau apparaît sur le cliché en présence d'Alain Gerbault situé à l'extrême gauche. Nous sommes le jour du lancement de "Blanche Fille du Soleil" en juin 1931 aux chantiers de Sartrouville, auxquels a été confiée la construction du voilier. Le ministre de la Marine Marchande, Monsieur de Chappedelaine, assiste à l'évènement. Alain Gerbault était le navigateur le plus célèbre du moment en Europe. C'est à bord de ce navire qu'il parcourut la Polynésie en solitaire et y finit ses jours prématurément.
Source : Le Miroir du Monde 13 juin 1931 - n°67
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10/07/2012
CHATOU SOUS LA BOTTE ALLEMANDE 1940-1942
Située en zone occupée, Chatou dut accueillir une Kommandantur provisoire 20 avenue des Tilleuls en juin 1940. Celle-ci déménagea au 18 boulevard des Etats-Unis au Vésinet en novembre de la même année. Cette situation perdura jusqu'au 27 août 1942, date à laquelle une Kommandantur fut de nouveau instituée à Chatou, cette fois-ci au 26 rue des Ecoles.
Dés le début de l'Occupation, un agent de liaison entre la municipalité et la Kommandantur avait été désigné, Monsieur Emile Fieg, "rendu responsable des relations avec les employés de la mairie concernant le ravitaillement de la population civile" avec le titre de "commissaire de sûreté."
En août 1942, les troupes allemandes firent main basse sur l’école des filles du groupe scolaire Jules Ferry rue Léon Barbier. L’école continuant pour les élèves, la classe de filles fut transférée pour moitié au groupe Paul Bert et pour l’autre dans des propriétés réquisitionnées route de Carrières. Quant à la maternelle Jules Ferry, elle fut provisoirement jointe à la maternelle Paul Bert. En avril 1943, l’Inspecteur d’Académie ordonna que l’école des garçons du groupe Jules Ferry soit évacuée « en raison de sa proximité des usines Pathé » (bombardements)…

Dans un ordre du 24 septembre 1940, il fut précisé au maire de Chatou que le Grand Café de la Gare (occupé aujourd'hui par une blanchisserie) obtenait de rester ouvert "jusqu'à une heure du matin pour les soldats allemands seulement." Le cinéma "L'Olympia" fut lui aussi réservé aux soldats allemands, les mardi, jeudi et dimanche.
Un autre ordre de la Kommandantur du 26 septembre 1940 fut adressé à la mairie de Chatou : la commune devait fournir aux troupes allemandes 300 tonnes de coke, 200 tonnes de charbon et 220 mètres cubes de bois à compter d'octobre 1940, le sixième de cette commande devant être fourni immédiatement.
Le 24 octobre 1940, la Kommandantur avisa les mairies de Chatou, Croissy, Le Vésinet, Montesson, Carrières que selon une ordonnance du 27 septembre 1940 pour les territoires occupés, "chaque juif" devait se présenter aux sous-préfets avant le 20 octobre 1940. Avant cette date, les commerces juifs devaient être "signalés en langue allemande et française". "On avisera pour les mesures contre les juifs, citoyens des Etats-Unis."
Un inventaire du parc automobile de la commune fut également réalisé par l'occupant le 15 mars 1941 : on dénombrait environ 460 véhicules, de 4 CV à 23 CV dont 1 Voisin de 17 Cv, 3 Ford de 21 Cv, 3 Hotchkiss de 17 Cv, 1 Mercedes de 20 Cv, 1 Rolls-Royce de 17 Cv, 1 Delage de 23 Cv, 1 Buick de 22 Cv, 1 Renault de 21 Cv, 1 Chenard-Walcker de 21 Cv, 2 Matford de 21 Cv, 1 Renault de 23 Cv, 1 Chevrolet de 18 Cv, 1 Delahaye de 18 Cv, 1 Peugeot de 22 Cv, autant de signes extèrieurs de richesse de la bourgeoisie d'affaires venue s'installer à Chatou ou de véhicules utilitaires d'entrepreneurs industrieux de la ville.
Avant la guerre, Chatou abritait 556 voitures et 68 camions (pour une population de plus de 11.000 habitants).
La Kommandantur ayant exigé le 9 octobre 1940 la liste des pillages identifiés comme ayant été commis par des civils français, une liste de 10 actes de pillage lui fut envoyée le 17 octobre recensant notamment des vols au tabac du 24 rue du Pont, au magasin Félix Potin 1 rue du docteur Rochefort, au magasin des 5 et 7 rue du docteur Rochefort, à une épicerie du 81 route de Carrières, une coopérative 68 route des Landes...
On note également que la Kommandantur se plaignait d'actes de sabotage continuels sur ses véhicules stationnés à Chatou, Croissy, Le Vésinet. Le 15 octobre 1940, elle exigea le couvre-feu à 21 heures pour tous les habitants, la création de postes sans appartenance à la police dans chaque commune responsables des nouveaux actes de sabotage et dont les agents seraient reconnaissables à leur brassard "estampillé par la Kommandantur".
Le 17 décembre 1940, la Kommandantur du Vésinet interdit d'envoyer les paquets de Noël en zone libre.
Enfin, l'état des cultures à Chatou dut être également inventorié. Le 19 février 1941, celui-ci se dressait comme suit: 40 ares de terres en friche, 260 hectares de terres cultivées dont 90 hectares de jardins, 20 hectares de pâturage, 25 hectares de terrains irrigués.
Le 17 avril 1941, il fut interdit de jouer et chanter la Marseillaise.
Le 24 juillet 1941, lors d'une réunion des maires de la Boucle organisée par l'occupant, le "Kreiskommandant" indiqua que les aviateurs anglais laissant tomber des tracts et des plaquettes incendiaires, les tracts devaient être remis au maire qui devait les communiquer à la Kommandantur. Toute personne en possession d'un tract serait punie.
(Source : archives municipales)
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04/07/2012
QUI CONNAIT LE PROJET DU GRAND PARIS ?
Projet d’une "cité du gouvernement" franchissant la Seine depuis l’Etoile, jusque « dans la Presqu’Ile du Vésinet » (on distingue le bras de Seine). Le projet comporterait le nouvel Elysée, les Chambres, les Ministères, le Conseil d’Etat et la Cour des Comptes, des habitations pour les ministres et hauts fonctionnaires, une cité moderne pour les employés, des aéroports civils et militaires avec des dispositifs de défenses contre les avions spécialement étudiés.
Ce projet répond à l’étude d’une « Voie triomphale Etoile-Saint-Germain » « au nom de l’axe du futur Grand Paris ». Il a été présenté par Madame Monique Vago, architecte et publié le … 4 avril 1936 (source : Le Miroir du Monde – Pâques 1936).
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02/07/2012
LE PATRIMOINE DE CHATOU : OU EN EST-ON ?
Notre association a mené depuis sa fondation divers combats en faveur du patrimoine architectural de la ville :
- depuis 1999 en faveur de la restauration du Nymphée de Soufflot et de son ouverture au public,
- de 2000 à 2004 contre la démolition intégrale de l'usine Pathé-Marconi, berceau du microsillon et édifice art déco répertorié par l'Inventaire,
- entre 2002 et 2006 contre les deux projets de Plan Local d'Urbanisme (PLU) qui se sont succédé. Seul le naufrage du premier a été obtenu. Y figuraient notamment comme aujourd'hui le retrait de l'obligation de conservation des villas anciennes de Chatou au profit d'un seul inventaire restreint, sans réelle valeur juridique, ainsi qu'une extension de la construction autorisée sur des terrains patrimoniaux comme celui des services municipaux.
Il n'en demeure pas moins que depuis 2008, deux actions municipales sont à noter en faveur du patrimoine de Chatou, alors que rien n'avait été entrepris depuis l'achèvement de la restauration de la maison Fournaise en 1992 : ceux-ci concernent la villa des services techniques 6 rue Camille Périer, dont l'un des pans de façade vient d'être ravalé et la verrière remplacée, et en 2010, l'église Notre-Dame, objet d'un ravalement et d'une réfection de toiture. L'église représente plusieurs époques de l'ancien Chatou (clocher du XIIème, nef de 1872, façade de 1880) et tranche avantageusement avec la rénovation de Chatou qui a conclu la pèriode de destruction massive entre 1966 et 1980.
façade sur rue de l'église Notre-Dame le jour de l'inauguration après les travaux
La villa des services techniques s'inscrit dans le style néo-gothique en briques et pierre de taille à la mode lors de sa construction vers 1881. Si l'on ignore son architecte, à une époque où deux architectes étaient alors particulièrement sollicités dans la commune pour des constructions de maisons de maître, Alfred Gaultier et Eugène Bardon, son premier propriétaire et constructeur semble avoir été Monsieur Carlos de Ezacquire de Bayonne. Sa veuve née de Prado y Lagueranra s'y maintînt jusqu'en 1900 (plan cadastral de 1885 : n°653). L'acquisition de la villa par la commune a été faite par la municipalité de Jacques Catinat le 27 février 1973.
On peut saluer l'initiative de s'attaquer à l'état dégradé de cette maison, l'un des plus belles de Chatou dont les fissures apparentes sont sans doute moins le témoin des méfaits d'une occupation surchargée que d'une circulation très intense sur la voie riveraine de la rue Camille Périer conjuguée à des problèmes de sécheresse. Il faut espérer que cet investissement sera poursuivi afin de pérenniser le legs aux générations futures des richesses architecturales de Chatou.
façade sur cour de la villa des services techniques rue Camille Périer
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29/06/2012
UN DECORATEUR CATOVIEN DANS LES EXPOSITIONS UNIVERSELLES : HENRY PENON
Une image nocturne de l'Exposition Universelle de 1867 : "le promenoir", aux abords des cafés et lieux de restauration.
A l'Exposition Universelle de Paris de 1867, le pavillon de l'Isthme de Suez abritant d'importantes maquettes et tableaux des travaux entrepris.
Le café russe à l'Exposition Universelle de Paris de 1867
Les ascenseurs exposés par Monsieur Léon Edoux à l'Exposition Universelle de Paris de 1867
Un atelier de gravure sur verre à l'Exposition Universelle de Paris de 1867
A la demande de Napoléon III, la classe 94 était l'exposition réservée aux créations des ouvriers eux-mêmes représentés par 320 exposants. L'Empereur y récolta des applaudissements aprés y avoir fait une visite le 21 octobre 1867 au cours de laquelle il acheta divers objets et déclara : "c'est mon devoir de travailler au bonheur public et particulièrement à celui des classes ouvrières qui montrent tant de zèle, d'intelligence et de patriotisme." La gravure le représente avec Monsieur Sajour, président du comité d'admission de la classe 94.
Alors que des dizaines de millions de visiteurs s’y ruaient pour observer les œuvres de milliers d’exposants, les expositions universelles de Paris de 1867 et 1878 vinrent rappeler au monde que dans l’industrie des Beaux-Arts, la France entendait garder son rang.
Un Catovien s’y distingua : Henry Penon, décorateur-tapissier, né en 1831, dont les ateliers furent situés à leurs débuts 10 rue du Faubourg Saint-Honoré et rejoignirent vingt ans plus tard la rue La Boëtie.
Les expositions universelles avaient le don pour consacrer non seulement la richesse technique et artistique d’un pays mais encore le talent de jeunes entrepreneurs. Sous le Second Empire, Henry Penon, tapissier-décorateur, fut de ceux-là. L’un des pavillons de l’Exposition Universelle de 1867, « Le Repos de l’Impératrice », lui dut sa célébrité. Voici ce qu'écrivit Edmond About dans « L’album de l'Exposition Universelle de 1867 illustrée » :
" J'ai gardé pour la fin la perle de cette Exposition. Ce petit pavillon, si simple et si modeste en apparence, est une œuvre aussi capitale dans son genre que la serre de M. Dormois…(...) C'est M. Henry Penon qui a conçu, esquissé, dessiné, fait exécuter cet ensemble et tous ces détails. L'exécution appartient par moitié à son associé, qui est son frère. Ces jeunes gens ont sous la main toute une école de peintres décorateurs dont l'aîné est à peine âgé de vingt-cinq ans.
M. Henry Penon a-t-il, comme il le croit, inventé un nouveau style de décoration ? je n'ose me prononcer là-dessus. Il doit beaucoup aux artistes du temps de Louis XVI, quoiqu'il se fasse un point d'honneur de ne rien leur emprunter. Ce qui lui appartient incontestablement, c'est le sentiment du beau, la rage de bien faire, et un certain mépris des obstacles qui a produit dans le courant de cet hiver un résultat vraiment curieux. Je vous ai dit que les principaux sujets de sa décoration intérieure sont peints sur satin dégradé. Mais les teintes dégradées ne s’obtenaient jusqu’ici que par le tissage ou l’impression ; belles par le tissage, médiocres par l’impression lorsqu’elle les donne.
Ils ont fait, font et feront des élèves. L'art si français et si parisien de la tapisserie devra beaucoup à leur initiative et à leur exemple. Ils ne sont pas riches, ils commencent, et les voilà qui fournissent une quote-part exorbitante dans un travail collectif qui doit durer six mois et coûte 200.000 francs pour le moins."
Panorama du "Jardin Réservé " à l'Exposition Universelle de Paris au Champ de Mars en 1867 avec à sa gauche le pavillon octogonal d'Henry Penon dédié à l'impératrice Eugénie
Dans son ouvrage « L’Art Industriel à l’Exposition Universelle de 1867 », Auguste Luchet décerna ce commentaire :
« M. Henry Penon, de la maison Penon Frères, est un tapissier illustre. Et, comme on vient de le voir, nous ne sommes pas enthousiaste des tapissiers, lesquels, en fait d’art, empruntent beaucoup plus qu’ils ne prêtent. Mais celui-ci fait exception.
Celui-ci est sérieusement un homme de génie dans son genre. L’auteur du pavillon de l’Impératrice, songeant à employer le terrain qu’on lui concédait, entreprit de créer un kiosque dans un parc. Ce n’est pas qu’il y en eût déjà, Dieu merci ; mais personne, que nous sachions, n’avait, fût-il même architecte à ruban, distingué ces habitations mignonnes des lois d’ensemble et d’intérieur qui régissent les pièces banales de la grande habitation.(…)
Le sujet : Le Matin, un poème. Et, pour chanter ce poème dans la pièce octogone, quatre panneaux principaux, accompagnés chacun de deux panneaux latéraux. Les quatre autres faces percées à jour par de hautes fenêtres. Nature et lumière, éther et parfums. » Alors que des boiseries en sycomore furent choisies par le décorateur, il y sculpta des motifs de houx et d’aubépine, de rose sauvage et de muguet, de feuillages de peuplier, de platane, d’orme et de chêne.
Des panneaux en soie teints en tons dégradés, « depuis celui de satin bleu d’argent à celui d’azur un peu plus obscurci, afin de reproduire le ciel », figuraient « la blonde Psyché » qu’Eros éveillait en secouant un bouquet sur son front tandis qu’au fond du tableau, des enfants joyeux dansent en rond."
Le 1er juillet 1867, pendant l'Exposition, Henry Penon reçut une Médaille d'Or parmi quatorze exposants distingués de l'Europe entière.
Ci-dessus, une gravure représentant la ruée vers l'Exposition Universelle de Paris de 1878.
En 1878, la France de Mac-Mahon brava son isolement international par une nouvelle exposition universelle. Celle-ci offrit notamment l’avantage de réduire les opinions desséchées de tous ceux, qui en Europe, se faisaient fort de convoyer sans fin le char funèbre de la guerre Franco-Prussienne.
L'inauguration de l'Exposition Universelle de Paris le 1er mai 1878 autour du Palais du Trocadéro nouvellement construit.
Vue générale de l'Exposition de 1878 au Champ de Mars.
La maison égyptienne, un jour de conférence de Ferdinand de Lesseps à l'Exposition Universelle de 1878.
Mobilier de la Société des Marbres et Onyx d'Algérie à l'Exposition de 1878
Lanterne en fer forgé de M.Bodart à l'Exposition Universelle de Paris de 1878, élégante et discrète...
Fontaine Renaissance, par la maison Christofle, à l'Exposition Universelle de Paris de 1878.
Le marteau pilon à vapeur du Creusot et en fond, le Pavillon du Creusot à l'Exposition Universelle de Paris de 1878.
L’œuvre des décorateurs à l’Exposition Universelle de Paris fut rapportée par le Rapport du Jury International édité par le Ministère de l’Agriculture et du Commerce :
« si nous pouvions convier les visiteurs de notre exposition à une incursion dans le Paris moderne (un hommage à l’œuvre si conséquente de Napoléon III et du baron Haussmann ), c’est là seulement qu’ils pourraient se rendre compte du véritable rôle du tapissier décorateur et de l’importance du concours qu’il a pu prêter à l’architecte pour créer ces habitations, dont un grand nombre sont des types achevés de haut goût et de véritable élégance.
Ce sont ces maisons d’élite qui ont été, avec les écoles d’architecture et les écoles d’apprentis, le plus précieux soutien de l’industrie du tapissier décorateur, et qui l’ont aidé à maintenir la réputation que la France s’est faite dans cet art. Il ne faut pas non plus oublier l’heureuse influence de la Société pour la Propagation des Livres d’Art, qui ne saurait être trop encouragée.
Paris est donc toujours resté le grand centre de l’industrie du tapissier décorateur, et, sur un mouvement d’affaires annuelles de 100 millions pour toute la France, Paris peut revendiquer à lui seul 70 millions.
(…) Il faut bien que nous disions que les objets figurant à une exposition de tapissiers décorateurs sont sacrifiés d’avance ; et le sacrifice à faire est considérable, puisque la somme dépensée par les vingt exposants de la France s’est élevée à prés d’un million de francs.
Mais, pour peu nombreuses qu’elles aient été, les maisons qui ont exposé n’en ont pas moins représenté brillamment l’industrie parisienne du tapissier décorateur. » Et le rapporteur de citer Fourdinois en premier lieu et en second, « la maison Penon, dont l’exposition a eu la bonne fortune d’attirer et de captiver la foule.
Nous sommes ici en présence d’un véritable ensemble décoratif : au point de vue du coloriste, il est difficile d’éprouver une satisfaction plus complète. Le choix des étoffes, leurs nuances rompues, la manière dont elles sont drapées, la richesse des passementeries, tout est bien œuvre du décorateur.
M. Penon a aussi exposé des panneaux en broderies, qui sont d’une grande beauté et d’un grand effet décoratif. L’un de ces panneaux est un mélange de tapisserie de basse lice et de broderies d’application. Le relief est puissant et la coloration est vraiment belle. Ces trois panneaux exposés, représentant l’un une figure, l’autre une fête champêtre et le troisième un paysage, trouveraient leur digne place dans un musée des travaux à l’aiguille. »
Henry Penon quitta l’exposition universelle de Paris de 1878 avec la Légion d'Honneur au grade de Chevalier dans les classes 17 à 29 du mobilier, la seule qui fut remise à un tapissier.
L’un de ses mérites, écrivit-on, fut également d’avoir mis à la mode la peluche.
A Chatou, Henry Penon quitta la rue de la Procession pour emménager rue de Sahüne où il se rendit acquéreur de la villa "le Cèdre" en 1884.
Domicilié également à Paris 95 avenue Victor Hugo, il séjourna au « Cèdre » jusqu’à sa mort en 1907.
La villa (ci-dessous) avait été déclarée au cadastre en 1866. Couvrant les lieux-dits "les Justices" et "les Gargouilles", son immense domaine fut morcelé en 1891 par le décorateur lui-même, ce qui donna lieu à l’ouverture de la voie qui porte son nom à Chatou par une décision unanime du conseil municipal du 9 septembre 1892 sur proposition de Maurice Berteaux. A la demande d'Henry Penon, celle-ci prit le titre d'avenue et non de rue. Quant à la seconde voie ouverte dans le prolongement de la rue Sous-Bois, le conseil lui attribua le nom de François Laubeuf, en l'honneur du maire héroïque de Chatou lors du siège de 1870.
En 1882, c’est en qualité d’artiste « sorti du rang » qu’Henry Penon observa l’exposition rétrospective de l’Union Centrale des Arts Décoratifs. Point de participation mais un jugement sévère de ses pairs à travers une critique sans ambages du mobilier en vigueur exprimée dans son ouvrage « Etude du Mobilier ». Il fut également un membre actif de la Société des Arts Appliqués à l’Industrie.
Modéle de papier peint de la collection des ateliers Penon - bibliothèque Forney
Projet de décoration intèrieure par les ateliers Penon - bibliothèque Forney
Quelques années plus tard, il fit don d’ouvrages de projets de ses ateliers, dont la liste a été conservée à la Bibliothèque du Musée de l'Union Centrale des Arts Décoratifs (ci-dessous, modèle de papier peint). Ceux-ci renferment plus de 2000 dessins ainsi que vint en témoigner pour l’association en l'an 2000 Madame Odile Nouvel, conservateur du département du XIXème siècle du Musée des Arts Décoratifs et spécialiste du mobilier Napoléon III-1880.
Les 14 et 15 mai 1891, Henry Penon dispersa une partie de son mobilier aux enchères à Drouot. Son inventaire ne laisse pas indifférent : tableaux de l’école française du XVIIIème siècle, des écoles flamandes et hollandaises parmi lesquels des tableaux de Boucher, Breughel, Chardin, des aquarelles de Fragonard et Géricault, dessins de Girodet et d’Hubert-Robert, pastels de Van Loo et Watteau, sculptures et bronzes du XVIIIème siècles. Retenons pour la postérité ce cliché d’un canapé de Madame de Pompadour :
Henry Penon maria sa fille Henriette au général Joffre, alors directeur du Génie au Ministère de la Guerre, en 1905, faisant rentrer, sans le savoir, sa famille au coeur de la plus grande conflagration que le monde ait connue.
Sources :
Madame Odile Nouvel-Kammerer, conservateur - Musée de l'Union Centrale des Arts Décoratifs, spécialiste du mobilier Napoléon III - 1880, auteur de "L'aigle Et Le Papillon - Symboles Des Pouvoirs Sous Napoléon 1800-1815" (2007 -Les Arts Décoratifs), "Papiers peints panoramiques" (2001 -Flammarion), "Le style Second Empire" (1999 - Flammarion)
Archives départementales des Yvelines : "La Liberté de Seine-et-Oise", 23 août 1907
Archives municipales de Chatou : recensements de population
"L'Album de l'Exposition Universelle de 1867 Illustrée"
"L'Art Industriel à l'Exposition Universelle de 1867"
Exposition Universelle de 1867 - "Les Arts dans l'Industrie - Rapport du Jury International"
"Les Merveilles de l'Exposition de 1878"
Bibliothèque Forney
Service Historique de la Défense
L'auteur remercie Madame Strugo, propriétaire de la villa d'Henry Penon à Chatou, qui lui a permis de prendre la photo qui illustre cet article en 2005.
25/06/2012
PAUL WHITEMAN, PRESSE A CHATOU
"La féérie du jazz", un film Paramount de 1930 avec Paul Whiteman et son orchestre. Celui-ci fut également l'animateur des revues du grand Ziegfield.
Paul Whiteman (1890-1967), violoniste américain devenu chef d’orchestre en 1920, est aujourd’hui oublié avec son style musical, qui l’a incontestablement perdu. Il représente cependant à lui seul la fanfare outre atlantique des années vingt, celle qui permit de se divertir dans l’alcool et la vitesse, l’époque d’une joie éphémère revendiquée dans la musique et le cinéma, les dancings et les nuits d’oubli.
Précurseur, il l’a été : fort de son succès, de son couronnement médiatique de « roi du jazz », c’est lui qui commanda à Gerschwin la « Rhapsody in Blue » en 1924, fit entrer nombre de jeunes musiciens et de chanteurs dans son grand orchestre, les frères Dorsey, Jack Teagarden, Bix Beiderbeck , Mildred Bailey, Bing Crosby…
Alors que la considération pour l’orchestre de Paul Whiteman prend aujourd’hui l’allure d’une mention au bas d’une page, on ne peut nier l’indéniable talent de celui qui fit ronfler son époque par un jazz servi en pâtisserie musicale. Il est la musique du film muet des années vingt.
Vedette de la firme Victor aux Etats-Unis sous sa splendeur, Paul Whiteman fut importé sur le continent avant guerre par Columbia et maintenu dans l'édition Pathé-Marconi sous le label Capitol dans les années cinquante. La participation des usines de Chatou à la diversité du marché musical et au patrimoine qu’il représente, le catalogue musical français étant alors le plus fourni après le catalogue américain, était là pour entretenir un témoignage des premiers temps du jazz.
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23/06/2012
"GEORGES MANDEL" (1885-1944) PAR PAUL COBLENTZ
« Georges Mandel, je veux dire Louis Georges Rotschild, car tel était son véritable nom, est né le 5 juin 1885 à Chatou. Ses parents y passaient cette année-là les mois d’été dans une petite villa située avenue du Chemin de Fer (aujourd’hui rue du Général Sarrail).
Chatou 1885…15 kilomètres de Paris…C’était alors le bout du monde, une halte de quelques « pataches », de quelques rares omnibus, l’arrêt d’une ligne de grande banlieue aux trains peu nombreux. Les estivants n’en venaient pas moins y découvrir pendant les vacances les multiples agréments que la Seine offre à ses fidèles. Les Guides Bleus de l’époque vantaient en aval et en amont de Chatou deux îles bénies des amoureux, un excellent estaminet au milieu d’herbages « médiocres mais fleuris » qui attirait vers Chatou bien des gourmets de Paris et de Saint-Germain.
Les pêcheurs numéro 1, comme on les appelait alors (on dirait aujourd’hui « les mordus ») se donnaient rendez-vous sur les berges de Chatou pour y traquer sans merci ces fritures merveilleuses dont l’espèce tend depuis à disparaître.
Si j’insiste quelque peu sur cette charmante bourgade natale de Georges Mandel, c’est que, quarante ans plus tard, l’homme d’Etat aimait encore à s’y arrêter au passage, à y rêvasser quelques instants, ce qui contrastait singulièrement avec ses habitudes, et, il faut le noter, avec le peu de cas que ce politique faisait du spectacle de la nature.
Entre deux suspensions de séance tumultueuse au Palais Bourbon, tandis que les couloirs bouillonnaient d’une fièvre tapageuse dont Mandel était bien souvent le satanique animateur, Lautier prétendait que le député de Lesparre, montant seul dans sa voiture, a donné plus d’une fois cet ordre à son fidèle chauffeur : « - Henri, à Chatou, aller et retour. » (…) »
In Paul Coblentz "Georges Mandel" (1946)
Pour en savoir plus sur l'homme d'Etat né à Chatou, voir notre rubrique "*Manifestations historiques" au sujet de la pose du médaillon de Georges Mandel le 5 juin 2008 sur sa maison natale avenue Sarrail.
22/06/2012
LA TRAGEDIE "PRINCE" (1934): UNE PISTE DE CROISSY A LA GENDARMERIE DE CHATOU
Les chansons de Lucienne Boyer, Albert Préjean, Fred Adison, Tino Rossi, Reda Caire eurent beau égayer le moral de l’année 1934, un seul mot, la crise, un faible mot, à remplacer par la décomposition morale et économique du pays, s’affichait. Ce ne fut pas une chansonnette mais un opéra tragique et sanglant que fredonnèrent les Français. Il avait pour nom l’affaire Stavisky, un fait divers qui aujourd’hui ne ferait peut-être plus les gros titres. Stavisky, dit « Serge Alexandre » en raison d’une carte d’identité délivrée par la préfecture de police en 1928 à ce faux nom, sévissait de longue date.
Arrêté à Marly-Le-Roi en juillet 1926 pour un cambriolage de 10 millions de francs de titres, il était sorti de prison pour « raisons de santé » l’année suivante. Ses escroqueries se dénombraient. L’homme était de nouveau arrêté sur la foi de rapports abondants – la police faisait bien son travail - mais la justice le libérait systématiquement. Plus de 80 dossiers sur son compte dormaient dans les antichambres des tribunaux.
Capable d’user et d’abuser de toutes les influences qui entouraient le pouvoir, Stavisky avait fini par accoucher de sa plus grande mystification : l'escroquerie autour des bons de Bayonne. L’un de ses complices, Gustave Tissier, le directeur du Crédit Municipal de Bayonne dont Stavisky était le fondateur, avait ainsi mis en circulation 239 millions de faux billets avec la bénédiction du député-maire président du conseil d’administration, Joseph Garat, maire radical de la ville de 1908 à 1919 et de 1925 à 1934.
Mais le 23 décembre 1933, Tissier fut arrêté et derrière lui, Garat, qui n’écopera que deux ans de prison. Le 7 janvier 1934, Stavisky fut retrouvé mort dans des conditions douteuses dans un chalet de Chamonix. Le titre du Canard Enchaîné est resté : « Stavisky s’est suicidé d’une balle tirée à trois mètres. Ce que c’est d ‘avoir le bras long ».
L’escroc Stavisky
Le ministre des Colonies, Dalimier, compromis, démissionna le lendemain. Raynaldi, le Garde des Sceaux, également lié à un ami de Stavisky, le banquier Sacazan, fit de même le 26 janvier. Le président du Conseil, Chautemps, dont le beau-frère, Pressard, était le chef du Parquet qui avait facilité la vie judiciaire de Stavisky pendant de nombreuses années, donna sa démission le 27 janvier 1934.
Le successeur de Chautemps, également radical, Edouard Daladier, composa son cabinet contre quelques concessions. Il prit des mesures contre les fonctionnaires réputés hostiles à la gauche. De curieuses promotions se mirent à pleuvoir. Le préfet de police de Paris, Jean Chiappe, fut nommé résident général au Maroc, le directeur de la Sûreté Générale, Thomé, devint administrateur de la Comédie Française cependant que coupable de ses libéralités judiciaires, Pressard fut nommé conseiller à la Cour de Cassation. Au rire et à l’indignation succéda la fureur populaire, à droite comme à gauche.
Mais ce furent les anciens combattants et les ligues d’extrême-droite qui descendirent dans la rue les premiers, engageant le 6 février 1934 prés de 40.000 manifestants au cri d’ « A bas les voleurs ». Une nuit d’émeute effroyable laissa sur le pavé 16 manifestants, un policier et fit un millier de blessés, prélude à la formation d’un « Front Commun » futur « Front Populaire ». Le 7 février 1934, Daladier démissionna. Il fut remplacé par Doumergue, qui créa une commission d’enquête parlementaire.
Entre-temps, le 7 janvier 1934, jour de la mort de Stavisky, fut interrogé un conseiller à la Cour du Parquet siégeant aux Assises, chef de la section financière, Albert Prince, par son supérieur, le premier président de la Cour d’appel, Eugène Dreyfus, le procureur de la République, Pressard, et deux autres membres du Parquet. On lui demanda ce qu’il avait fait des rapports de police de l’affaire Stavisky.
Pris de court et reçu à nouveau mais cette fois-ci par le premier président de la Cour de Cassation, Lescouvé, le 15 février 1934, il expliqua à ce dernier qu’il avait toujours transmis ses rapports au procureur Pressard, beau-frère du président du Conseil Camille Chautemps, mais que le procureur avait répondu qu’il verrait la suite à donner en finissant par lui demander de les classer dans le dossier Stavisky. Il déclara à Lescouvé : « je veux libérer ma conscience ».
Il fut convenu que le 18 février, Albert Prince lui remettrait toutes ses notes sur le dossier. Mais Lescouvé attendit en vain des nouvelles de Prince. Le 19 février, ce dernier siégeant normalement aux Assises entendait une jeune femme victime d’une tentative de meurtre sur une voie ferrée et lui posa des questions sur les conditions du choc avec le train. Il reçut une nouvelle note du président Lescouvé lui demandant son rapport et répondit qu’il n’avait pu consulter que tardivement le dossier Hudelo Cachard concerné, qu’il profiterait de la journée du 21 où il n’aurait pas d’audience pour rédiger la note demandée.
Le 20 février, Albert Prince quitta son domicile. Le 21 février 1934 aux environs de deux heures du matin, son cadavre fut retrouvé déchiqueté sur la voie ferrée traversant La Combe-Aux-Fées. Le conducteur du train qui l’avait découvert à 20h46 jugea qu’il l’avait écrasé. L’affaire Prince commença.
Ci-dessus, à droite, l’emplacement du corps mutilé, à gauche, l’emplacement des débris de cervelle du conseiller.
L’enquête à la Combe-Aux-Fées
Un commissaire de la Sûreté Générale, Monsieur Belin, arrivé à Dijon la nuit du 21 février 1934, déclara : « Messieurs, c’est un suicide ». Puis vint l’inspecteur chargé de l’enquête le 3 mars 1934 à la demande expresse du Garde des Sceaux Chéron, Bonny, missionné dans toutes les affaires criminelles et politiques. C’est lui qui officia en 1923 dans l’affaire Seznec, dont le principal chef d’accusation, une machine à écrire ayant servi à Seznec dans son grenier pour établir une promesse de vente en sa faveur de Quemeneur (assassiné), ne tient plus aujourd’hui.
Lorsqu’il fut désigné dans l’affaire Prince, Bonny faisait déjà l’objet plaintes déposées devant le Parquet pour ses méthodes de chantage et de corruption. Le 27 mars 1934 , il rendit un rapport concluant à un crime politique sans en apporter les preuves formelles en désignant trois gangsters, Carbone, Spirito et le baron de Lussats comme en étant les agents d’exécution potentiels.
Bonny fut révoqué de la police le 10 janvier 1935 puis condamné à trois ans d’emprisonnement avec sursis le 31 octobre 1935 par la Cour d’Assises de la Seine. Engagé dans la Gestapo pendant la guerre, il fut arrêté et fusillé non sans avoir affirmé qu’on lui avait demandé d’organiser la disparition de Prince pour éviter celle, politique, d’une partie de la classe parlementaire. Son témoignage, peu détaillé, jugé trop tardif et délivré à la veille de son exécution, est sujet à caution.
C’est peu après son rapport qu’éclata l’affaire Watson pour laquelle fut diligenté Monsieur Mondanel, de la Sûreté. Alors que les hypothèses les plus folles couraient au profit de la thèse du crime politique, l’une concernait Croissy. Elle partit du « château bleu », 3 avenue Gounod, occupé depuis 1925 par Monsieur Watson, milliardaire écossais et ancien représentant d’une compagnie pétrolière en France selon « L’Humanité ». Celui-ci louait une partie de sa villa à Monsieur Bruneau, son homme à tout faire.
Le « château bleu » tient manifestement son nom de l’agrandissement qui n’est pas sans rappeler les fastes de l’Exposition Universelle de 1855 de Londres. Photo prise avec l’aimable autorisation de Monsieur et Madame Imgal.
« L’Action Française » du 16 avril 1934 rapporta : « un américain, Monsieur Watson, qui sous-loue une aile de sa villa de l’avenue Gounod à l’amie d’un certain Monsieur Bruneau, industriel parisien, déclara, il y a quelques jours, à la gendarmerie, que cet industriel, à l’issue d’un bon dîner , lui avait avoué avoir, sur l’ordre de l’inspecteur Bonny, exécuté, à la frontière italienne, l’assassin du conseiller Prince, un nommé Fontaine.
Hier après-midi, le parquet de Versailles, composé de Messieurs Albert, substitut, et Pihier, juge d’instruction, s’est rendu avenue Gounod. Il était prés de 16 heures quand les magistrats de Versailles se présentèrent sur le seuil de l’opulente villa où demeure l’américain Watson. Les magistrats restèrent fort peu de temps avenue Gounod. Ils quittaient la villa vers 16h15, accompagnés de Monsieur et Madame Watson, ainsi que de Monsieur Bruneau. Un départ en voiture suivit pour le palais de justice de Versailles, annonça-t-on, mais à 17h30, on n’avait dans la capitale de Seine-et-Oise, pas connaissance de l’arrivée des magistrats et des témoins.
Ces derniers étaient en réalité à la gendarmerie de Chatou où ils étaient entendus. A la suite de l’interrogatoire qu’il a subi pendant tout l’après-midi à la gendarmerie, Maurice Bruneau, 23 ans, se disant marchand d’automobiles et demeurant à l’Hôtel des Ibis, au Vésinet, a été inculpé de tentative de meurtre sur X et placé sous mandat de dépôt. Monsieur et Madame Watson ont regagné leur domicile avenue Gounod à Croissy.
Monsieur Bruneau, qui est originaire de Montbazon, aurait fait aux magistrats les déclarations suivantes : le 3 avril dernier, alors qu’il se trouvait avec Monsieur et Madame Watson, à Monte-Carlo, il avait été accosté par deux individus dont il ne put fournir l’identité et qui lui avaient tenu à peu prés ces propos : « tu es en parfaites relations avec un riche anglais. Tu devrais l’obliger à apporter une somme de 500.000 francs et le faire venir à un endroit que nous fixerons pour le dévaliser. Sur cette somme, il va sans dire que tu aurais une très forte commission. »
Monsieur Maurice Bruneau s’empressa d’avertir Monsieur Watson qui, pensant que sa vie était en danger, quitta la Côte d’Azur pour réintégrer sa propriété de Croissy-Sur-Seine. C’est depuis ce moment qu’il est l’objet de menaces de mort de la part d’individus anonymes. Bruneau, poursuivant ses déclarations, a dit qu’il se rendit au rendez-vous fixé par les deux malfaiteurs. Il les vit dans une luxueuse automobile. L’un était assis à l’intérieur et l’autre au volant.
- Me voyant arriver seul, a dit Bruneau, les deux malfaiteurs comprirent que j’avais dû les trahir. A peine étais-je assis dans la voiture que je fus assommé à coups de matraque. Lorsque je revins peu à peu à moi, j’entendis les deux hommes qui faisaient allusion à l’assassinat du conseiller Prince. Pensant sans doute que j’étais toujours étourdi, les deux individus poursuivirent leur conversation, mais brusquement je tirai mon revolver de ma poche et fis feu sur l’individu qui était à mes côtés.
Je dus le blesser, car je le vis cracher du sang. Je retournai alors mon arme dans la direction du conducteur, mais mon revolver s’enraya. Le complice de ma victime, me voyant armé, arrêta sa voiture et me jeta hors de l’automobile en criant : « tu as de la chance de t’en tirer ainsi. Il vaut mieux que tu t’en ailles ». Je vis alors l’autre automobile disparaître dans la direction de la frontière italienne. J’ignore si j’ai tué l’individu sur lequel j’ai tiré et ne puis donner d’autres précisions.
A la suite de ces déclarations, Maurice Bruneau a été inculpé de tentative de meurtre par Monsieur Pihier, juge d’instruction, qui l’a placé sous mandat de dépôt. Maurice Bruneau va être transféré sous peu à la prison de Versailles. D’après l’enquête faite par la Sûreté Générale, tandis que Monsieur et Madame Watson se trouvaient à Monte-Carlo, ils auraient été mis en rapport avec le baron de Lussats et Carbone.
Le baron de Lussats, le 23 février, se serait livré à une agression sur Monsieur Watson, qui aurait refusé de lui prêter 25.000 francs. La Sûreté Générale va donc poursuivre son enquête pour retrouver la trace du blessé et de son complice.
Monsieur Mondanel, contrôleur général par intérim des recherches judiciaires à la Sûreté Générale, est allé dans la soirée à la gendarmerie de Chatou, où il a pris connaissance des procès-verbaux relatant les déclarations de Maurice Bruneau. A sa sortie vers 22 heures, Monsieur Mondanel a déclaré : « l’affaire s’annonce comme très intéressante si les faits sont vérifiés. Attendons. »
Bruneau aurait donné, au cours de l’interrogatoire qu’il a subi hier soir, une nouvelle version de l’histoire de malfaiteurs qu’il a rapporté l’après-midi. Voici les faits : Monsieur Watson serait allé en personne au rendez-vous que lui avait fixé le mystérieux personnage.
Cependant, mis en méfiance, le riche écossais aurait prié Bruneau de l’accompagner. Il fut ainsi fait. Au rendez-vous, Bruneau et Watson trouvèrent plusieurs hommes ayant l’accent italien et parmi eux, il y avait un nommé Fournier. L’entrevue eut lieu puis la demande d’argent à Monsieur Watson. C’est alors que Bruneau entendit cette phrase, qu’échangeaient deux bandits : « le jour où tu as supprimé Prince, tu avais moins la frousse. » Bruneau alors prit peur, voyant dans quel guet-apens lui et Watson étaient tombés.
C’est alors qu’il aurait sorti son revolver et tiré par quatre fois, blessant le nommé Fournier. Tout l’intérêt - et c’est à quoi s’attache le commissaire, Monsieur Jobard -, serait de prouver que la scène de terrorisme qui a eu pour théâtre le 4 avril la Côte d’Azur, peut être rattachée à l’affaire Prince.
A cet effet, les noms du baron de Lussats, très connu de Marseille à Monaco, et de l’inspecteur principal Bonny, aux indicateurs nombreux et « deus ex machina de l’affaire », selon l’expression d’un membre du Parquet de Dijon, prononcée par Monsieur Bruneau, ne suffisent évidemment pas. Il faut attendre et observer le développement de ce nouvel épisode d’une affaire criminelle qui en déjà eu beaucoup. »
Le lendemain, « Le Matin » écrivit que les aveux de Maurice Bruneau ne soulevaient pas d’émotion à Monte-Carlo. « Ceux qui le connaissent écoutent l’histoire en souriant et portent un doigt au front ». Le propriétaire de l’hôtel Lido à Monte-Carlo, Monsieur Webel, témoigna : « ce Bruneau me fit tout de suite l’impression d’être un fou. Il occupait une chambre voisine de la mienne. Je n’ai jamais eu locataire semblable. Je crois qu’il ne se couchait jamais. La nuit, il sortait de sa chambre pour faire les cent pas dans le couloir. J’allumais alors la minuterie et il rentrait précipitamment chez lui, mais pour ressortir presque aussitôt. »
Le valet de chambre, Antoine, acheva le tableau : « presque toutes les nuits, Monsieur Bruneau sortait plusieurs fois. Je le trouvais l’air égaré, un revolver à la main. Il prétendait qu’on avait tenté de s’introduire dans sa chambre par la fenêtre. Je réussis bien à le calmer pendant quelques temps en lui parlant doucement et en lui démontrant que personne ne pouvait l’inquiéter ; mais dans la nuit du 2 au 3 mars, il eut une crise qui me terrifia, il sonna comme d’habitude, et , quand je me présentai, il ne me reconnut pas : « qui êtes-vous », me demanda-t-il, « et que venez-vous faire ici ? »
Le 18 avril, « Le Matin » indiquait que le médecin légiste, le docteur Détis, après examen de Bruneau, ne constatait aucune trace d’un coup sur la tête, au moins concernant son agression, mais ne pouvait non plus l’exclure.
L’inspecteur Bonny, qui était le seul enquêteur à avoir conclu un crime, déclara au journal qu’il ne connaissait ni Bruneau ni Fournier dont Bruneau prétendait être l’assassin « et que celui-ci ne peut, par conséquent, être l’un de mes indicateurs. Quant à Monsieur Watson, je ne le connais pas davantage mais son nom me dit cependant quelque chose. A première vue, cette histoire ne me semble pas avoir de rapport quelconque avec l’affaire Prince. »
Quant au juge d’instruction Pihier, il s’exaspéra de l’attitude des protagonistes. Madame Watson prétendit qu’elle n’avait jamais entendu parler de son agression à Monte-Carlo. Lorsque le juge la confronta à Bruneau, celui-ci répondit qu’il ne savait pas « si Monsieur et Madame Watson étaient à table lorsqu’il fit sa déclaration », ce qui contredisait le témoignage de Monsieur Watson et la première déclaration que Bruneau avait faite.
Œuvre d’un fou plus qu’une manipulation, le témoignage de l’affaire Watson ne fut corroboré par aucun élément.
« L’Ouest Eclair » du 18 avril 1934 titra en gros caractères « On continue de suivre la piste de Chatou » (la gare de Chatou a longtemps fait du tort à Croissy…) et ajouta en-dessous en petits caractères, non sans effet comique, « mais c’est sans conviction ».
La vérité sur l’affaire Prince put-elle être apportée ? les témoignages les plus graves et les plus pittoresques dont celui de Croissy avaient circulé, sous le regard déçu de l’opinion publique. Mais celle-ci pouvait-elle espérer un résultat propre à encombrer les allées aussi tourmentées que démissionnaires du pouvoir ? fallait-il réellement voir une œuvre de commande dans le piétinement de l’enquête ou Prince se suicida-t-il comme le conclut la thèse officielle ? en effet, si victime il était en ayant obéi à des consignes, il était encore possible à Albert Prince de démontrer sa bonne foi, de produire ses documents, d’en garder copie pour la presse, de parler. Or, malgré la demande de son supérieur, il ne fit rien et laissa passer du temps, peut-être aussi parce qu’il s’estimait en danger prétendront les partisans de l’assassinat. Il continua ses audiences, comme si de rien n’était.
Le départ du magistrat à Dijon est troublant. Sa femme avait reçu un appel le 20 février 1934 qu’elle croyait être du médecin de la mère du conseiller, demandant à son mari de se rendre à Dijon pour décider de l’opération de sa belle-mère. Albert Prince était rentré chez lui peu après l’appel téléphonique et avait décidé de partir par le train sur le champ.
Pourquoi alors Albert Prince avait-il, le jour même, envoyé un télégramme de Dijon à sa femme – il fut identifié par des témoins à la gare en train d’écrire un télégramme - en précisant que le docteur « Hallinger » déclarait sa mère guérie alors que celle-ci n’était pas malade et que le vrai nom de son médecin était le docteur « Ehringer » ? enfin, comment se fait-il dans l’hypothèse d’un assassinat, que le corps n’ait pas été attaché solidement à la voie, et que l’on retrouva seulement une ficelle entourant la cheville du conseiller ? Pourquoi, alors que le président Lescouvé lui demandait son rapport depuis cinq jours, ne prévint-il personne au Parquet de son départ pour Dijon ?
Cet homme, soldat héroïque, dont la probité n’était pas mise en doute, qui gérait des centaines de dossiers chaque année, ne s’était-il pas senti coupable d’une négligence dont l’oppression lui avait parue insupportable ? avait-il simplement obéi à des consignes orales, dès lors impossible à prouver ?
Le 16 février 1934, le député de Gironde et natif de Chatou, Georges Mandel (ci-dessous), déjà célèbre pour être le champion de la dénonciation de l’inertie face au réarmement allemand, se retrouva propulsé procureur devant ses collègues, au titre de la commission d’enquête parlementaire Guernut sur l’affaire Stavisky, dont il mena les interrogatoires. La commission n’était pas munie de pouvoirs judiciaires et s’intéressait aux seules complicités de Stavisky. Elle communiqua à partir du mois de mars 1934 des dossiers des parlementaires mis en cause.
Malgré vingt-six dossiers transmis, aucune suite ne fut donnée. Georges Mandel prit à partie en août 1934 le Garde des Sceaux, Chéron : « il n’y aurait qu’une seule façon de parvenir à l’apaisement, c’est la recherche et la punition des coupables. C’est ce que Monsieur Chéron ne veut pas et ne fait pas ».
Mais au sujet de l’affaire Prince, il livra sa conviction dans le journal « Le Cri du Jour » dans son édition du 31 mars 1934 : « je ne crois pas qu’un homme politique important ait jamais donné l’ordre de faire disparaître Monsieur Prince. Dans l’état actuel de notre personnel gouvernemental, nous n’avons pas un seul homme capable de donner un ordre quel qu’il soit. » Georges Mandel se plut surtout à démontrer les liens de Stavisky avec la classe parlementaire.
Citons ses questions du 6 juillet 1934, posées au député Bonnaure, député et avocat de l’aventurier : « A l’occasion du congrès radical-socialiste de Toulouse en 1932, « La Volonté » n’a-t-elle pas fait un très grand effort de lancement ? – Si – Elle y a consacré des sommes importantes ? – Oui – Etait-ce, pour partie, grâce au concours de Stavisky ? – Oui ».
Le clou fut peut-être la déposition de l’inspecteur Bayard de la Sûreté Générale qui employa Stavisky comme indicateur de 1928 à 1932, soit dans la période où il organisa ses escroqueries avec un ancien préfet de police, Monsieur Hudelo. Georges Mandel entendit également le témoignage d’un conseiller à la Cour, Monsieur Glard, qui déposa le 13 août 1934, sur les propos que Prince lui avait tenus : « j’étais écoeuré des interventions parlementaires et des résultats qui suivaient ».
Le président Lescouvé avait lui aussi rapporté devant la commission d’enquête le 10 avril 1934 que le magistrat lui avait déclaré : « J’en sais trop sur l’affaire Stavisky et sur d’autres ».
Georges Mandel était manifestement revenu à la charge la thèse de l’assassinat en tête : ce même 10 avril, il interrogeait le président Lescouvé en ces termes : « une campagne de presse, savamment orchestrée, tente de réaccréditer la thèse du suicide de Monsieur Prince. Dans les journaux de ce matin, on peut lire un document d’après lequel Messieurs Prince et Pressard auraient été convoqués devant la commission présidée par Monsieur Lescouvé, non comme témoins, mais en quelque sorte comme prévenus. Qu’en pensez-vous ? ».(…).
Georges Mandel photographié en voiture en couverture du journal «Les Annales » du 2 mars 1934 en tant que membre de la Commission d’Enquête Stavisky, "un des membres les plus redoutés" annonce le journal. Le futur ministre des PTT était né 10 avenue du Chemin de Fer à Chatou en 1885.
Madame Prince témoigna quant à elle que le 20 février, jour de la mort du conseiller, son téléphone ne marchait pas, qu’après le départ de son mari, elle chercha à téléphoner dans la journée puis dans la soirée à divers membres de sa famille et qu’elle dut refaire cinq à dix fois le numéro avant d’obtenir la communication. Cela laisserait supposer que la ligne était sur écoute.
Le 23 octobre 1933, Stavisky avait encore bénéficié d’une remise pour une affaire de vol sur la foi d’un certificat médical des docteurs Marie et Vachet : « n’est pas en état en ce moment d’affronter un débat judiciaire qui pourrait déterminer un choc émotionnel. »
Un membre de la commission d’enquête, Ernest Lafond, interrogea le docteur Marie, de l’hôpital Sainte-Anne : Lafond : « L’examen a eu lieu à l’asile ? » - Marie : « Chez moi, boulevard Edgard Quinet 16. » - Lafond : « Comment se fait-il qu’il y ait le tampon de l’asile ? » - Marie : « J’y vais assez souvent et ne me souviens pas si la pièce a été signée à l’asile ou chez moi. » - Lafond : « Pourquoi aviez-vous apposé également le tampon de la mairie d’Orly ? » - Marie : « Je l’avais mis pour identifier ma signature. Je suis maire d’Orly. » Lafond : « Vous avez mis tous les tampons que vous aviez sous la main ? » (…).
Le commissaire Guillaume, qui hérita de l’enquête au titre de la police judiciaire, reprit l’affaire depuis l’origine et précisa dans son rapport du 16 août 1934 : « Le 27 mars 1934, Monsieur l’Inspecteur principal de la police mobile Bonny qui, le 3 mars, avait été chargé de découvrir les assassins du conseiller Prince, a déposé un rapport dans lequel il concluait à un crime politique.
Se rapportant aux dires, non contrôlés de deux de ses indicateurs, Monsieur Bonny désignait comme étant au courant ou ayant participé à ce crime : L’Herbon de Lussats Gaëtan dit Baron, né le 8 août 1888 à Monaco, de feu Henri et de Berrier Marie, Spirito, François Paul dit Le Grand Lydro, né le 22 janvier 1900 à Marseille, Carbonne Paul Bonaventure dit Venture, né le 14 février 1894 à Propriano (Corse).
Ce rapport a été communiqué au Parquet de Dijon. Un mandat d’amener fut délivré contre les trois individus sous les trois inculpations d’assassinat, vol et complicité. Ces trois individus arrêtés et transférés à Dijon ont été entendus, confrontés avec de nombreux témoins, mais deux d’entre eux furent relaxés, et peu après le troisième (de Lussats) fut transféré à Paris et ensuite à Nice pour autre cause. A l’heure actuelle, la preuve n’a pu être faite qu’ils étaient les auteurs ou les complices de ce crime.
Malheureusement, cette piste fit perdre un temps précieux aux premiers enquêteurs et pesa fâcheusement sur la suite de l’enquête. Il est, du reste, à noter que les recherches effectuées au sujet de la mort du conseiller Prince sont encore faites actuellement en vertu de l’inculpation pour assassinat contre ces trois individus, pour lesquels aucun non lieu n’a été prononcé à ce jour. L’enquête sur l’emploi du temps de Herbon de Lussats, Carbonne, Spirito a été effectuée par Monsieur Bonny qui a convenu depuis que ceux-ci ne pouvaient être les auteurs du crime, mais qu’ils ont pu en connaître tous les détails ».
Le commissaire Guillaume
La thèse de l’assassinat du magistrat, qui ne fut pas admise dés le début de l’enquête, fut ensuite poursuivie non seulement par la police française mais par les journaux, qui s’adjoignirent les services de membres de la police britannique et de détectives privés, par Georges Simenon, déjà créateur de Maigret, qui rencontra des truands dont le baron de Lussats ! cette thèse, qui avait le soutien de toute la magistrature et d’une partie de la presse, reste en suspens.
Le 16 septembre 1934, le journaliste Géo Guasco, de l’hebdomadaire « Police Magazine », annonça comme une partie des journaux ce fait cruel : les rapports des enquêteurs concluant au suicide n’avaient pas été publiés pour ne pas froisser l’opinion. Or ceux-ci émanaient de :
- la Sûreté Générale qui s’appuyait sur l’enquête du commissaire Belin
- la Police Judiciaire se fondant sur le rapport du 16 août 1934 du commissaire divisionnaire Guillaume (1871-1963). (considéré comme le plus grand policier de France, celui-ci inspira le personnage de Maigret à Simenon).
- l’ex-brigadier Riboulet, détective engagé par « Le Matin », auteur de l’arrestation de Landru, et dont le rapport sur l’affaire Prince ne fut jamais publié pour éviter la perte des lecteurs
- les détectives anglais de Scotland Yard
- l’enquête semi-officielle menée par l’inspecteur Yves Le Gall et le journaliste de « Police Magazine »
Le journal « Détective » du 30 août 1934, qui rapporta les conclusions du commissaire Guillaume, ne manqua pas de mentionner que celui-ci n’appartenait à aucun club, aucun groupe politique, de même que ses collaborateurs, l’inspecteur principal Moreux et le brigadier-chef Piguet (cf couverture ci-dessous de Police Détective montrant Guillaume au centre, Moreux et Piguet à ses côtés).
800 témoins furent entendus, 850 pour vérifier ce qui s’avéra être un faux-témoignage d’un dénommé « H.V. » Au total, les inspecteurs et commissaires-enquêteurs diligentés dans tous les services étaient au nombre de soixante. Le journal fit état en outre des faiblesses du Parquet de Dijon, poursuivant le crime : aucune saisine de la locomotive alors que celle-ci relevait selon le conducteur des débris de cervelle humaine à sa rentrée au dépôt, ce que le Parquet contestait.
Or, un ingénieur des chemins de fer précisa : « l’enquête mécanique donne à conclure que le corps était placé dans l’écartement des rails et dans une position telle que la tête arrivait à hauteur du crochet de traction : or, un corps humain ne peut avoir cette position que s’il est libre de ses mouvements.(…) On ne doit pas s’étonner de voir des traces de chair et de sang encore adhérents à la locomotive après 160 kilomètres de course ; c’est là aussi un phénomène très normal et semblable à celui des moucherons écrasés sur le pare-brise d’une auto qu’il faut, à l’étape, enlever à l’éponge. »
Au sujet de la locomotive, le procureur de la République de Dijon écrivit le 23 août 1934 au procureur général de la cour d’Appel : « j’ai rappelé que le juge d’instruction avait, dès le 21 février au matin, fait le nécessaire pour que l’examen de la locomotive fut entrepris judiciairement, mais cette machine avait été remise en service par le dépôt de Dijon dans la nuit du 20 au 21 février et avait remorqué un train de Dijon-Perrigny à Laroche-Mijennes.
Ce n’est qu’à cette dernière station que la gendarmerie, le mécanicien et le sous-ingénieur Girard, d’accord dans leurs déclarations, firent connaître l’état de la locomotive. Dans ces conditions, une expertise qui devait porter sur une machine ayant parcouru 175 kms avant d’avoir pu être saisie fut jugée non pertinente. »
Quant au couteau ensanglanté retrouvé prés de la voie, un témoin l’identifia comme ayant été acheté au B.H.V d’un homme vu de dos du genre de Prince ou de Bonny, le témoin insistant sur un homme plutôt jeune de 40 ans alors que Prince en avait plus de 50. Mais le rapport Guillaume attribua l’achat à Prince. Plus de 20 personnes ayant touché ce couteau lors de l’enquête sans consigne du Parquet, les experts devinrent incapables de se prononcer sur son usage antérieur.
S’agissant de l’état personnel de Prince, qui n’avait pas été pris en compte par le Parquet, il révéla que le secrétaire du chef de la section financière et Madame Nollin, amie de la famille, le déclaraient désemparé et profondément affecté le 19 février. Un auteur, ami de la victime, Alfred Détrez, émit les plus vives réserves sur Madame Nollin, parce qu’elle était elle-même l’échotière de Madame Sée, amie de la femme du procureur Pressard.
En outre, ces témoignages contredirent la conversation de Madame Buteau avec le conseiller le matin du lundi 19 février 1934. La fille de Madame Buteau était la petite amie du fils du conseiller, Raymond Prince : Madame Buteau : « Pour le cinéma vous chargez vous de prendre des places ? » - Prince : « Oui, c’est moi qui retiendrai. J’ai prévenu les Simon. Je me réjouis de cette soirée. Tâchez de ne pas avoir sommeil, ni l’un ni l’autre, pour que nous puissions faire ensuite une petite bombe. »
Madame Buteau :« A part ça, qu’est ce que vous devenez ? où en sont vos affaires ? » - Prince : « J’en aurais trop à vous raconter. Ca va barder ! soyez tranquille. Je les tiens. Du reste, nous en parlerons jeudi. » Madame Buteau écrivit au commissaire Guillaume pour être entendue. Elle ne fut jamais interrogée.
Un témoignage s’oppose à la conclusion du suicide : celui de Madame Marin, qui écrivit le 18 septembre 1934 à la mère du conseiller Prince sur ce qu’elle avait vu sur le Chemin des Corviottes, à proximité de La-Combe-Aux-Fées :
« Madame, je maintiendrai toujours que le 20 février à 6 heures moins le quart du soir, j’ai rencontré sur la route nationale Bas-de-Talant trois automobiles qui se suivaient, dont celle du milieu, une petite auto grise foncée. Dans la première voiture, il y avait quatre occupants.
Dans la petite voiture grise qui s’était arrêtée à mes pieds, j’ai pu apercevoir un homme qui me criait : à moi, par deux fois en m’apercevant ; et tout de suite, l’homme qui était à côté de Monsieur Prince, que j’ai reconnu d’après les photographies du Bien Public, cet homme à côté de lui le repoussait au fond de la voiture en lui disant : « mais non, mon vieux » par deux fois. J’ai essayé de voir, mais cet homme me bouchait la vitre avec ses épaules et un large chapeau gris.
Et avant que la voiture se remette en marche, cet homme m’a lancé un regard de menace et de brigand. Malgré moi, j’ai dû reculer et j’étais seule ne pouvant aider à celui qui me demandait du secours, et ne pensant pas que c’était une affaire pareille. L’homme qui le repoussait était un petit homme de larges épaules, un visage rond et une figure mate. La première voiture était noire, la seconde était grise foncée, petite voiture basse, où le malheureux me demandait du secours, la troisième était noire.
J’ai bien regardé le numéro, mais je n’ai pas pu m’en souvenir, et si je n’ai fait connaître tout de suite j’ai bien fait connaître la raison dans mon rapport à Monsieur Rabut, juge d’instruction, que j’avais peur de représailles. Ca n’empêche que j’ai été au moins quinze jours sans pouvoir dormir, et que j’en avais parlé à un gendarme qui était venu changer le fascicule de Monsieur Clausse, où j’habite, et à un capitaine retraité.
Tous les jours, je lui en parlais en lisant les journaux, en regardant ceux que l’on arrêtait à ce moment-là. Jamais je n’aurais pu garder plus longtemps ce que j’avais vu. Recevez , Madame, mes sincères respects à ce sujet. J’ai vu et trop bien ce pauvre qui voulait échapper à la mort. »
Son témoignage fut corroboré par celui de trois industriels, Messieurs Lécrivain, Fagot et Themelle, qui surprirent à 19h15 trois voitures vides au même endroit, tous feux éteints. Le rapport Guillaume reprocha à Madame Marin sa déclaration tardive, le 25 avril 1934, pour l’écarter.
On sait aussi que le rapport conclut que Prince avait respiré une substance anesthésiante avant son décès. Or, un fait ne fut pas exploré jusqu’à son terme : la découverte, Chemin des Corviottes le 25 février 1934, par un dijonnais, Monsieur Piot, et sa petite fille, d’un bristol portant le nom de « docteur Sanlier-Lamarck des Laboratoires Cortial ». Cet homme fut recherché et déposa.
Il s’avéra qu’il était dans le train du conseiller Prince. Mais fit des dépositions différentes sur ses allées et venues à l’Hôtel de la Cloche lors de deux convocations, l’une devant le commissaire Ogier le 5 mars 1934, l’autre devant le juge d’instruction Rabut, le 24 septembre 1934. Pourtant, le rapport Guillaume le déclara au-dessus de tout soupçon par ses relations professionnelles, sa conduite pendant la guerre et ses titres.
Mais sur ce point, l’auteur Détrez et le journal « L’Oeuvre » du 17 septembre 1934 démontrèrent qu’il n’avait jamais été admis au titre de la médecine légale, ayant exercé en Espagne, et qu’il avait changé son nom avant la guerre. Le veilleur de nuit de l’hôtel situa avec certitude son retour à l’hôtel le 20 février 1934 jour du crime entre 22 heures et 22 heures trente cependant que le faux médecin déclara 18h30.
En outre, selon les parties civiles représentées par Maîtres Poignard et Garçon dans un rapport publié le 25 octobre 1934 par la commission d’enquête de l’affaire Stavisky, un autre témoignage fut écarté par le rapport Guillaume, celui de la concierge de la maison où résidait la mère du conseiller Prince, Madame Beaupoil, qui reçut la visite au mois de janvier d’un homme lui demandant des nouvelles de Madame Prince et le nom du médecin qui la soignait.
Or, celle-ci avait répondu : « je crois que c’est le docteur Ehringer qui est venu quelques fois la voir ». Le commissaire Guillaume ne retint pas son témoignage au motif qu’elle s ‘était montrée incapable de décrire l’individu en question alors qu’elle avait répondu différemment (mais comment ?) aux policiers et journalistes auparavant.
Enfin, le rapport Guillaume reprit des constatations de la brigade mobile sur les lieux du drame à propos de la serviette de Prince trouvée prés de la voie ferrée : « à l’intérieur de la serviette, une lettre décachetée avec en-tête : « Cour de Cassation, cabinet de M. le Président » mise à la poste Paris, 32, Tribunal de Commerce, à 18 heures, ladite lettre adressée à M.Prince, conseiller à la Cour d’appel, 15 rue de l’Odéon. L’adresse est rayée et porte la mention « inconnu 15 rue de l’Odéon ».
Cette enveloppe contenait la convocation pour le mardi 20 février à 17 heures. » Il s’agit de la convocation du président Lescouvé pour demander à Prince de lui faire son rapport sur son traitement du rapport Cousin accusant Stavisky.
Le procureur de la République de Dijon, Monsieur Barra, écrivit au procureur général de Dijon le 23 août 1934 : « pages 7 et 124 du rapport, il est fait allusion à une lettre trouvée dans la serviette de Monsieur Prince. La date indiquée et dont on pourrait faire état en vue de fixer les sentiments de Monsieur Prince la veille de sa mort, est erronée. La convocation visée n’était pas pour le mardi 20 février 1934 à 17 heures, mais bien pour le 23 janvier 1934. »
Cette convocation avait été adressée par erreur à un autre magistrat. C’était celle qu’Albert Prince avait reçue pour déposer sur le troisième rapport de l’inspecteur Cousin accablant pour Stavisky, ce qu’il avait fait le 27 janvier, entraînant le départ forcé de Pressard du Parquet de la Seine le 3 février 1934…
En conclusion, même s’il n’existe pas de preuve formelle de l’assassinat, la thèse du conseiller Prince fuyant ses responsabilités pour le suicide se retrouve fortement diminuée par la mise à l’écart de certains éléments.
Et pourtant, l’attitude du magistrat appelé à rendre son rapport, la possibilité qu’il avait de communiquer avec l’opinion publique pour faire éclater les éléments à charge et se mettre ainsi hors de danger, l’absence de commencement de rédaction de la note, l’affaire troublante du départ précipité pour Dijon sans informer sa hiérarchie, le fait qu’il lui suffisait de passer un coup de fil à Dijon pour s’assurer de l’état de santé de sa belle-mère avant de prendre le train - ce qui anéantissait toute organisation d’un meurtre -, laissent planer un doute sérieux sur l’existence d’un complot.
Quant à l’affaire de Croissy, elle vient s’égarer dans le dossier, semble-t-il, hors de toute manipulation. On pourrait bien sûr se demander si Monsieur Watson ne fit que rapporter ce qu’il avait entendu, pensant accomplir son devoir dans un scandale qui épouvantait l’opinion. Rien ne laisse supposer le contraire, d’autant que l’état psychique de Bruneau pouvait parfaitement s’accommoder de la thèse du crime politique conclue par Bonny en mars 1934.
La France entière, qui se passionna et eut connaissance de la piste criminelle de l’avenue Gounod, reçut avec douleur le verdict du suicide entériné par le dernier rapport Guillaume. Malgré tout, la thèse du crime n’est pas morte. Elle prospère sur le climat insurrectionnel qui sévissait à l’époque et n’aurait pas manqué de redoubler si le conseiller avait procédé à des révélations. On en restera donc au stade des présomptions par défaut de preuves matérielles allant dans le sens de l’assassinat.
Il est d’ailleurs à craindre que l’ouverture du dossier judiciaire Prince en 2034 n’apporte rien de plus au rapport Guillaume. La mort de tous les acteurs de l’époque, l’absence de révélation depuis la fin de cette affaire, ont semé à jamais un doute insupportable sur la tombe du conseiller Prince. Le déclin du pays puis la guerre ont relégué dans les écuries de l’histoire le sang du magistrat du train de la Combe-Aux-Fées.
Soixante-seize ans plus tard, le rappel d’une piste dans la Boucle vient rappeler qu’à Chatou Notre Ville, nous n’avons pas la culture de l’oubli…
Sources :
- « L’affaire Prince – Le secret du crime », Alfred Détrez, Librairie Paillard, 1934
- « Georges Mandel ou la passion de la République », Bertrand Favreau, éditions Fayard (1996)
- « Alain Decaux raconte », Alain Decaux, Librairie Académique Perrin (1978)
- « L’Action française » n°106 – 16 avril 1934, collection privée
- « L’Ouest-Eclair », « Le Matin », « La Croix », des 17 et 18 avril 1934, Archives Municipales de Croissy
- « L’Humanité », des 16, 17, 18 et 19 avril 1934, Archives Municipales de Croissy
- « Police Magazine » n°199 – 16 septembre 1934, collection privée
- « Détective » du 30 août 1934, collection privée
- cadastre de Croissy – recherche de Norbert Fratacci
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