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21/10/2011

CHRONIQUE DE 1811

En 1811, on ne parle plus de la France mais de l’empire français en Europe : un empire rayonnant sur 144 millions d’habitants, de Hambourg à Rome et la Dalmatie (ancienne côte balkanique).

Des états vassaux  viennent encore prolonger l’Empire. Ils ont été créés, façonnés, dominés par la puissance militaire et l’organisation administrative et familiale mise en place par le « petit caporal » : Confédération du Rhin, Grand-Duché de Varsovie, Confédération Helvétique, Royaume d’Italie, Royaume de Naples.

Dans cet espace immense, les insurrections populaires sont rares, un fait y contribuant notablement : l’effondrement des institutions d’Ancien Régime devant la propagation du Code Civil, des préfets, de la conscription, devant l’abolition des restrictions apportées au commerce, devant l’émancipation des serfs et des juifs.

C’est ainsi que malgré le blocus de l’Angleterre et l’échec de l’aventure espagnole, le commerce français et l’agriculture en particulier, trouvent leurs débouchés dans cette Europe « enrégimentée ». Le monarque multiplie les expositions et les foires pour arracher l’industrie française au déclin, les travaux publics sont en plein essor. Sous  les instructions de Napoléon, un monde nouveau est en train d’émerger de la « botte française », un monde moderne que la fin de l’Empire ne pourra que mettre plus encore en évidence.

En France, la naissance des communes a été reprise en main par l’administration préfectorale.

 

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Chatou - gravure de Mariette de 1753 - le paysage ne variera pas sous l'Empire

 

Chatou il y a deux cents ans, village de 984 habitants, traduit la réalité de cette évolution sous tutelle où l’Etat transformé après les excès de la Révolution ne s’est jamais autant imposé au citoyen.

Le maire de Chatou renouvelé par le préfet depuis l'an 1800 est son notaire nommé le 11 juillet 1791, Jean-Pierre Vanier. Son sauf-conduit sous la Révolution nous indique que Monsieur Vanier est né à Nanterre, est âgé de 55 ans en 1811,  mesure 1,67 mètres, a « un front haut, des cheveux châtains, les yeux bleus, le nez ordinaire, une petite bouche, un menton rond, un visage rond ». Jean-Pierre Vanier demeura maire jusqu’à son décès en mars 1814.

Le 3 mai 1811, le conseil municipal se réunit pour prendre connaissance de la circulaire « de Monsieur le Comte d’Empire, préfet du Département » afin de délibérer sur les matières suivantes  :

1) les moyens de rétablir et de rendre praticables plusieurs rues de ce lieu et plusieurs chemins vicinaux

2) l’examen du revenu des contributions

3) l’examen du compte de la fabrique qui est présenté par les marguilliers

4) le budget 1812

Les réunions du conseil municipal sont peu nombreuses chaque année. On les compte sur les doigts de la main.

 

 

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Le préfet, créé par une loi du 18 février 1800, est devenu le pilier du régime, l'administrateur éclairé et obligé des départements et des communes. Il est systématiquement Chevalier de la Légion d'Honneur sous l'Empire. Le préfet de Seine-et-Oise de 1806 à 1810 est Charles Laumond.

 

  

 

Le 10 mai 1811, le maire annonce au conseil municipal l’arrêté du préfet relatif à la fête du 2 juin pour le baptême de sa majesté le Roi de Rome : « C’est avec le plus grand regret que le conseil se retrouve privé par défaut de moyen de pouvoir faire connaître à ses augustes souverains ses sentiments d’amour.

Forcé par les circonstances de se réduire aux fonds dont il peut disposer, il a été arrêté :

1)      Que la fête du 2 juin serait annoncée la veille par des salves d’artillerie et le son des cloches

2)      Que le jour le matin au commencement les salves et le son des cloches sera renouvelé

3)      Que toutes les autorités civiles et militaires se rendant en corps à l’église pour assister au te deum solennellement pendant lequel il sera fait de nouvelles charges

4)      Que l’après-midi il sera donné aux dépens de la commune un bal gratis à tous les habitants

5)      Enfin que le soir tous les habitants de cette commune seront invités à illuminer le devant de leurs maisons et à des banquets »

La gêne du village de Chatou n’empêcha pas que la naissance du roi de Rome fut annoncée par le canon sur les bords de l’Elbe, du Tibre, du Tage et de la Vistule.

Le 11 mai 1811 a lieu le vote du budget

Recette :  1244,85 francs

Dépense : 1244,11 francs

Recette : 74 centimes

Le préfet ayant pris un arrêté le 2 mai 1811 sur les chemins vicinaux ordonnant une enquête aux élus, le 7 juin suivant en conseil municipal, Pierre Vanier et ses adjoints, Paul Rateau et Louis François Grais, proclament avoir visité tous les chemins vicinaux de la commune à la demande de préfet en relevant leur dimension et « les usurpations qui pouvaient y avoir été faites et les réparations qu’ils exigent ». (…)

« Nous avons commencé par la grande rue de Chatou appelée vulgairement "rue de Montesson" ou "de Carrières Saint-Denis" prenant naissance de la grande route de Paris en Normandie traversant cette commune et conduisant à l’embouchure des chemins vicinaux conduisant aux communes ci-dessus désignées.

Nous avons remarqué que cette rue étant défoncée dans beaucoup d’endroits, elle a été le soin d’un prompt rétablissement en cailloux pour remplir les trous et fonds, lui donner un nivellement afin de lui faire couler les eaux dans la Seine passant le long de cette commune ; qu’une autre rue dépendante de celle-ci à la rivière a aussi besoin d’un nivellement étant trop élevée dans son milieu ce qui occasionne le jour des eaux sur le pont de la rendre impraticable, qu’une autre rue du Chef Saint-Jean communiquant de la Grande Route à la rue de la Procession est défoncée dans plusieurs sorties qui empiètent le remplissage de ses trous afin de retirer  les eaux qui séjournent et qui deviennent dangereuses par leurs odeurs, que la rue dite de la Procession a été le soin de quelques réparations dans différentes parties.

Sortis du village côté du nord, nous avons examiné le chemin qui conduit  de la rue de Montesson et Carrières à deux embranchements des chemins desdites communes et que nous avons reconnu de la largeur de 64 décimètres ou 20 pieds à partir des murs des potagers et jardins de Chatou (…), de laquelle largeur il doit rester.

Ensuite celui conduisant à Montesson par le moulin et route ordinaire de cette commune, avons reconnu sa largeur devoir être de 58,5 décimètres ou 18 pieds, largeur qui lui a été donnée et dans laquelle il est maintenu dans sa majeure partie un autre chemin vicinal continuant aux fins vers Montesson en tirant vers le nord appelé le Chemin des Cures contient 18,10 décimètres, largeur qu’il devait toujours avoir et dans laquelle il doit être maintenu.

Celui appelé le Chemin des Chevaux Rû servant anciennement pour communiquer à Carrières-Saint-Denis et qui se trouve susceptible d’être remplacé par le Chemin de Flandres doit aussi rester comme celui-ci de la largeur au moins de 38,10 décimètres ou 12 pieds telle qu’il l’a maintenant, lesquels chemins sont de la longueur d’1,80 km.

Sortant de la commune côté du midi est le chemin conduisant à Croissy de 58,5 décimètres ou 18 pieds. Sa largeur naturelle par sa longueur qui est de 9 hectomètres 7 décamètres ou un quart de lieu.

Observons qu’il a été fait sur ses chemins dans plusieurs parties des usurpations qu’il est essentiel qu’il est essentiel de rétablir, étant faciles à reconnaître et qu’il y a différentes réparations et entretien à y faire, tels que remplissage d’ornières et de plusieurs trous et sentiers qui y existent occasionné par le séjour des eaux de ces parties. Le conseil municipal décide de procéder aux réparations et de solliciter l’homologation dudit rapport. »

On apprend lors de la séance du conseil le 9 juin 1811 « qu’en exécution du décret impérial qui fixe au jour le baptême de sa majesté le roi de Rome et de la circulaire de Monsieur le Préfet du Département du 20 mai dernier, la fête ordonnée par sa majesté dans tout son empire a été célébrée dans cette commune.

 

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Napoléon présentant le roi de Rome à la foule

 

Le 8 juin veille de la fête a été annoncée par le son de cloche le 9 au lever du soleil, elle a été de nouveau annoncée à dix heures. Le maire, le conseil municipal et les autres autorités constituées de la commune accompagnés d’un détachement de la Garde Nationale en armes se sont rendus à l’église où ils ont assisté à la messe et le Te Deum qu’ils ont chanté solennellement.

 

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Le roi de Rome, par Prud'hon. Il mourut en exil à Schonbrunn de la tuberculose le 22 juillet 1832. La France fêta les victoires napoléoniennes et trinqua à sa naissance. Museo Napoleonico - Rome

 

Pendant le Te Deum, des salves de mousqueterie se sont fait entendre et le son de la cloche. Après les cérémonies religieuses, les autorités et la Garde Nationale se sont retirés dans le même ordre et à 4 heures de l’après-midi, le bal a été ouvert et s’est prolongé dans la nuit, différents banquets se sont réunis ou ont porté avec enthousiasme le toast à sa majesté l’empereur et roi, à l’impératrice et à sa majesté le roi de Rome à neuf heures du soir, toutes les maisons ont été illuminées et les habitants se sont réunis et témoigné une vive reconnaissance en criant "Vive l’empereur vive l’impératrice et le roi de Rome". La joie te la tranquillité ont été les seuls mobiles de la fête. »

Le 15 juin 1811, est soumis au conseil municipal l’approbation du budget des administrateurs de la fabrique :

1066 francs de dépenses en 1811 pour une recette de 660 francs

1006 francs de dépenses en 1812 pour une recette de 660 francs

« Sur arrêté du préfet, une délibération est prise pour arrêter la taxe des journées de travaux, charrette et hommes de bras. La journée  d’une charrette, du cheval et du conducteur est fixée à 10 francs par jour et la journée d’un homme de bras à 2 francs. »

Le 15 août 1811, « le jour de la fête de la Saint-Napoléon et du rétablissement du culte catholique en France a été célébré avec la joie et l’enthousiasme que cette époque doit toujours rappeler aux Français, le matin au lever de l’aurore, la cloche a été sonnée, à dix heures toutes les autorités se sont rendues en corps avec la Garde Nationale à l’église où ils ont assisté à la messe qui a été chantée solennellement, au discours qui a été prononcé, à la procession autour de la commune et au te deum qui a été chanté en rentrant à l’église pendant lequel il a été fait différentes décharges de mousqueterie. Le soir a eu lieu un bal et des divertissements publics ; partout la joie et la tranquillité ont régné et les cris de vive l’empereur vive l’impératrice se sont fait entendre. »

 

 

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L'impératrice Marie-Louise d'Autriche qui donna un héritier à Napoléon aprés l'avoir épousé en 1810.

 

Le 1er décembre 1811 est rappelée par le maire « la fête anniversaire du couronnement de sa majesté empereur et de la bataille d’Austerlitz, époque à jamais mémorable dans le cœur des Français. » La fête a été  célébrée « en cette commune avec la joie et l’enthousiasme que mérite ce grand jour » en application du décret impérial du 19 février 1806. « La veille de la fête a été annoncée par le son de la cloche et le jour au lever de l’aurore, à dix heures, une messe solennelle a été chantée ensuite pendant laquelle l’on a fait des charges de mousqueterie, un discours analogue a été prononcé par le desservant et le soir il y a eu le bal et des divertissements. La gaité a présidé à tout et rien n’a troublé la joie et le contentement des habitants ».

 

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Napoléon à la veille de la bataille d'Austerlitz visitant les bivouacs et conversant avec les soldats. La bataille d'Austerlitz (2 décembre 1805), remportée malgré une infèriorité numérique des troupes françaises contre les austro-russes, fut la seule victoire commémorée chaque année sous l'Empire dans les communes. Tableau de L.F Lejeune. Réunion des Musées Nationaux.

 

Les rapports écrits par le maire sur ces festivités ont l’accent de rapports de police. Cette impression est peut être à modérer par les témoignages de l’époque plaçant l’année 1811, malgré une mauvaise récolte de blé, comme l'une des dernières années heureuses de l’Empire.

 

Sources :

- Registre des délibérations du conseil municipal - Archives municipales de Chatou

- "Le Consulat et de l'Empire" - Louis Madelin (1932)

- "Vivre à Chatou à la fin du XVIIIème siècle - le village retrouvé" - Cercle de Recherches Historiques de Chatou (1989)

11/10/2011

LA MORT D'ANDRE DERAIN, LE TEMOIGNAGE DE MAURICE DE VLAMINCK

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Couverture du catalogue de l'exposition "Chatou" à la Galerie Bing en mars 1947 par Maurice de Vlaminck. Celui-ci habita Chatou de 1893 à 1905, 39 rue de Croissy (avenue du Général Colin depuis 1918) et 87 rue de Saint-Germain (avenue Foch depuis 1931).

 

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 André Derain

 

Chatou. Les peintres ont porté son nom. Lorsqu'André Derain, qui naquit à Chatou le 10 juin 1880, meurt à Garches le 8 septembre 1954, Maurice de Vlaminck, autre Catovien non moins célèbre, lui parle encore : 

"La mort d’André Derain fait ressurgir en moi des images, des paysages…Tout un monde de fantômes, de personnages vieillis, démodés ou encore en vie, se bouscule, s’agite et passe sur l’écran. La bobine dans l’appareil semble dérouler à rebours le film du passé.

Je revois André Derain à vingt ans, déambulant dans les rues de Chatou, l’air las et désabusé, grand, long, efflanqué, ayant l’allure d’un escholier de la basoche.

Dans ses propos, sans transition, il passait de l’amertume à l’humour, de la lassitude à l’ennui, de l’enthousiasme à la confiance et au doute. Il était jeune ! Derain laissait à ses pensées leur libre cours. Mais dans tout ce qu’il disait, dans les préoccupations d’un avenir incertain, une chose dominait et l’obsédait…la Peinture.

Au bout d’un an de travail en commun dans l’atelier que nous avions tous deux à Chatou – atelier devenu historique – Derain partit au régiment. Pendant le temps qu’il passe à Commercy à faire son apprentissage militaire, dans toutes ses lettres, il rage d’être là, encombré d’un fusil et d’écraser les mottes de terre sous ses godillots. Toutes ses pensées, tous ses désirs, l’appellent, autre part : ce qu’il demande c’est d’avoir des pinceaux et une palette chargée de couleurs dans les mains.

« Pour la peinture…m’écrivait-il quelques mois après son arrivée à la caserne, j’ai conscience que la peinture réaliste est finie. On ne fait que commencer en tant que peinture. Sans toucher à l’abstraction des toiles de Vincent Van Gogh, abstraction que je ne conteste pas, je crois que les lignes, les couleurs ont des rapports assez puissants dans leur parallélisme à la base vitale pour permettre de chercher, de trouver un champ, pas nouveau mais surtout plus réel dans sa synthèse.. »

Plus loin, il écrivait : « il ne faut pas oublier que la seule définition complète de l’art est dans le fait du passage du subjectif à l’objectif. Hier, au détour d’un chemin, j’ai vu un vrai Rodin. Une femme portant un gosse à cheval sur une épaule : c’était très beau. Le gosse  était raide et vraiment à cheval…L’épaule qui portait, très large. Tout cela était rythmé et vraiment un peu dans l’avenir. Je voudrais tout dire et je ne peux rien dans le papier. Des mots ne suffisent plus, ce ne sont plus que des mots, des dessins ou des sons. Parle-moi si tu as vu des nouveaux Van Gogh ou des Cézanne ou autre chose ? j’ai besoin maintenant d’un travail plus sincère, plus désintéressé que je ne l’ai jamais fait…Ecris-moi deux mots, n’importe quoi ! donne-moi des nouvelles de Chatou, même fausses !. »

Derain employait parfois dans sa conversation et dans ses lettres, des mots crus : mais si l’accent était rude, de tour direct, si le langage était coloré, ce qu’il exprimait relevait de la plus fine sensibilité ou soulignait la plus cruelle observation.

Les expressions parfois grossières étaient là, dites comme un mépris de la crasse indigente, un défi jeté à la bêtise et à l’ignorance. Si invraisemblable que cela puisse paraître, si nous avions certains points communs, la nature d’André Derain et la mienne s’opposaient. Mais si nos moyens de réalisation différaient, nos aspirations étaient qualitativement semblables :nous aspirions à un même idéal en empruntant des chemins différents.

Dés l’enfance, Derain avait été en classe. Ses facultés avaient été cultivées. Ses études au collège lui donnaient des certitudes et le différenciaient de moi. Je n’étais qu’une graine que le vent avait semée au hasard et qui s’accrochait à la terre où elle avait germé, croissant avec son seul instinct et en vue seulement des ses propres acquisitions. Cependant, l’un comme l’autre, nous entendions refaire le monde à notre façon, à notre mesure. Nous y apportions la même hardiesse, le même enthousiasme. Avant d’avoir assemblé les matériaux d’un nouvel édifice, nous démolissions et nous nous placions sur un autre terrain avec l’espoir et parfois la certitude d’arriver à bâtir notre cathédrale. Notre rencontre bouleversa les plans de ses parents. Il était appelé à faire une carrière d’ingénieur, tel était le désir de sa mère ! mais tel n’était pas le désir d’André Derain. Il devint artiste peintre.

En art, un goût sûr lui faisait distinguer  le vrai du faux et rejeter  l’artificiel et le banal. Le 13 août 1902, il m’écrivait : « il y a bientôt un an que nous avons vu Van Gogh et vraiment son souvenir me hante sans cesse…Je vois de plus en plus le sens véritable chez lui..Il y a bien aussi Cézanne. Grande puissance aussi ! mais à part la peinture de chevalet, il me semble que le but est dans la fresque. Michel-Ange, par exemple, comme sculpture, ses nus sont écrasants, sans but, ne-te semblent-ils pas idiots ou isolés ?

Une chose qui me tracasse, c’est le dessin. Je voudrais étudier des dessins de gosses. La vérité y est, sans doute. Mais il faut se faire une raison. Tout cela n’est plus de notre temps et il faut surtout être plus jeune que notre temps : c’est-à-dire plus vieux  comme idées, surtout avoir les idées non seulement d’un futur jeune, mais plutôt d’un futur vieux… »

Et le 18 août 1902 :

« Oui, pour sûr, tu as bien raison, c’est idiot d’être mort lorsqu’on a vécu et c’est bien beau de mourir lorsqu’on ne peut plus vivre. C’est tout naturel d’être mort ou bien en vie lorsque  l’on a jamais été.

Chacun pouvait bien écrire ou dire à l’autre qu’il se sentait à bout, qu’il était fou ! mais au fond de soi-même ni l’un ni l’autre ne se sentait vaincu ou las définitivement.

Tous deux, solidement charpentés, dotés d’une robuste constitution et d’un parfait équilibre physique, nous avions nettement conscience de tout ce qui pouvait être malsain, de tout ce qui pouvait altérer nos pensées  et notre santé morale. Notre mise n’était certes pas élégante ni même soignée, mais nous n’inspirions ni commisération ni pitié.

Derain était doué d’un sens  critique extrêmement développé. Il avait une façon personnelle de voir les êtres et les choses, d’approfondir les questions  les plus simples et les plus ardues, mais les conclusions qu’il tirait de ses controverses philosophiques  et artistiques  arrivaient à le faire souvent douter de lui-même. Après une réplique ambigüe, on pouvait voir dans l’œil de Derain , accompagnant ses derniers mots , une expression de moquerie et sur ses lèvres une petite moue d’indifférence. Il résolvait les problèmes les plus ardus et pénétrait dans le monde des idées avec un petit rire intérieur (…)

Sur l’écran passent et repassent les images du film…1900…Chatou…L’atelier où nous nous retrouvions…où l’on remisait, toiles, couleurs, chevalets…Le pont de Chatou…La Grenouillère…Le restaurant Fournaise…Les balades à pied sous un soleil brûlant ou dans la campagne couverte de neige. Sans un sou dans la poche, nous explorions Paris, parcourant des kilomètres le long des berges de la Seine…Montmartre, l’atelier de la rue de Tourlaque où « les putains respectueuses » de la place Blanche et du Rat Mort venaient poser, celui de la rue Bonaparte où pendant des soirées entières  nous parlions des peintres de la génération qui nous précédait, de ce que ces peintres avaient réalisé, des moyens qu’ils avaient employés et dans quel sens et vers quel but ils avaient dirigé leurs efforts. Manet, Renoir, Monet, Cézanne…Et le réalisme : Zola, les Goncourt…Les visites aux musées, au Louvre…Les Primitifs..La naissance du Cubisme. La mode dans l’invention dans la peinture, l’Art, l’intention de l’esprit, Picasso, Guillaume Apollinaire, « Dadaïsme », « Surréalisme »…

Foncièrement classique de nature, de sentiments et de goûts, André Derain acceptait difficilement de s’engager dans le chemin  des écoliers que prenait alors la peinture. Cette interprétation déshumanisée, ces rébus d’où la vie était exclue, le chaos dans lequel  étaient plongées la nouvelle génération et la peinture, les nouvelles formules en « isme » le rendaient inquiet. Il déserta les Salons et les Expositions, se retira à l’écart pour ne plus être d’avant-garde, acceptant de passer pour « ne plus être dans le coup ».

De tous les peintres de notre génération, je n’en connais aucun, sauf André Derain, qui eût été capable de bâtir, de mettre debout sans vulgarité, gaucherie et banalité, une composition comparable à celle de  l’ « Atelier », ou à celle de « Un enterrement  à Ornans », de Gustave Courbet.

Nos caractères et notre nature même s’opposaient. Etait-ce cela qui  nous faisait nous rapprocher et discuter sans fin sur les mêmes sujets ? la Vie ? la Peinture ? la Peinture qui avait fait naître en nous une amitié qui dura de longues années. Des évènements surgirent. La guerre et la vie firent naître des dissentiments et des heurts et creusèrent pendant plus de vingt ans un fossé profond entre nous. Mais chacun reconnut toujours en l’autre qualités et défauts, sans haine ni mépris.

J’ai revu André Derain deux mois avant sa mort dans une auberge où nous avons déjeuné ensemble. Derain a aimé la vie  en égoïste raffiné, il a aimé la bonne chère, le bon vin et les femmes…Sa conversation était empreinte d’un humour singulier.

Je retrouvais malgré les ans qui avaient mûri son visage et alourdi son corps le Derain que je connaissais bien. Pendant qu’il me parlait, je revoyais les toiles qu’il avait peintes à différentes époques. Le goût sûr et raffiné, l’intelligence de son dessin, l’équilibre et l’ordonnance des formes, le choix et la sobriété des tons et de la couleur qui se trouvent dans son œuvre contribuent à faire de Derain un peintre…Un Grand Peintre.

Avant de nous quitter, nous nous serrâmes la main :

-         « j’irai te voir, me dit-il. Nous avons tellement de choses à nous raconter et à mettre au point !

Avec André Derain disparaît un des piliers de la Peinture française contemporaine.

VLAMINCK "

Arts – 22 septembre 1954

24/09/2011

VOYAGE AVEC GEORGES REMON (1)

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Georges Rémon (1889-1963), architecte décorateur, directeur de l'Ecole des Arts Appliqués à l'Industrie de la Ville de Paris, a vécu à Chatou des années 30 à sa mort en 1963 au 61 avenue Foch. Ayant fait son apprentissage à la croisée des deux siècles chez son père Pierre Henri Rémon, il n'eut cesse de promouvoir la création française dans l'entre-deux-guerres, établissant des chroniques dans les revues spécialisées, cependant que son cabinet du 16 rue d'Artois à Paris connaissait une certaine notoriété dans la décoration des grands paquebots.

 

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11 rue Dupetit-Thouars à Paris, l'Ecole Duperré autrefois l'Ecole des Arts Appliqués à l'Industrie dont Georges Rémon fut l'un des directeurs  

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Dans la revue "Jardins et Cottages", il nous emmène dans un voyage de l'autre côté de la Méditerrannée, là où l'architecture française a su magistralement construire et embellir en harmonie avec la culture du pays. Un hymne à la création française, c'est ce que signifie sans nul doute le titre qu'il donne à l'un de ses articles publié en 1926 : "L'architecture moderne au Maroc, Albert Laprade, architecte":

" L’urbanisme compte en France de savants théoriciens dont le nombre va sans cesse croissant, - mais pour combien de praticiens ?

Sans doute allèguera-t-on la difficulté d’exécuter dans les conditions actuelles, en matière d’aménagement et d’embellissement des villes, de vastes programmes d’ensemble, la rigueur des règlements juridiques ou administratifs, l’insuffisance des ressources budgétaires  et toutes sortes de raisons d’ordre économique ou psychologique.

Il n’en demeure pas moins que là où de grandes entreprises eussent été possibles – et nous songeons aux régions libérées – il s’en faut bien qu’on ait, en haut lieu, compris la nécessité d’imposer des directives générales qui permissent aux architectes d’équiper nos dix départements dévastés d’une manière conforme aux besoins du temps présent et aux besoins du prochain avenir, aisément prévisibles.

Tout autre, et par une rencontre unique, apparaît l’œuvre surgie au Maroc, sous l’égide de la France, grâce à la nette et impérative volonté du maréchal Lyautey, unie à la conception puissamment ordonnée des architectes chargés par lui d’exécuter un dessein de haute envergure.

Les voyageurs français ou étrangers, qui ont eu loisir de considérer le splendide effort accompli en une dizaine d’années à Casablanca ou à Rabat, sont unanimes à célébrer l’impression d’élégance et de fraîcheur, qui se dégage des bâtiments publics ou privés et la merveilleuse concordance régnant entre les neuves cités et leur cadre.

Tous sont frappés de l’excellence du plan et de son unité et se plaisent à rendre hommage à l’intelligence des solutions adoptées pour des agglomérations urbaines vouées à un prompt et considérable développement.

Les remarquables directives qui présidèrent à la construction de Casablanca et Rabat, sont dues à un heureux concours de circonstances. Le maréchal Lyautey fit venir en mai 1914  un homme d’une étonnante sûreté de vues, Henri Prost, architecte du gouvernement, grand prix de Rome, lequel venait dans un grand concours international d’être chargé du plan d’aménagement de la ville d’Anvers, battant les concurrents allemands, qui étaient jusqu’alors les maîtres en matière d’urbanisme.

Et tout de suite le maréchal comprit à quel admirable maître d’œuvre il venait de faire appel. Sans hésitation et sans réticence, il lui confia le soin de mettre  de l’ordre dans le gâchis de ces villes-champignons qui devaient attester d’une manière saisissante la vitalité et la fierté de notre action au Maroc. La tâche était immense.

Henri Prost s’entoura d’une pléiade d’architectes que les hasards de la guerre avaient conduits au Maroc. Son rôle évoque admirablement celui d’un surintendant des bâtiments, sa situation morale équivalait à s’y méprendre à celle d’un Lebrun exerçant par le fait d’un grand prince une haute direction artistique. Et ce fut pour tous ses collaborateurs un honneur et une joie de travailler dans des conditions qui rappelaient si parfaitement les plus belles époques de l’histoire de l’urbanisme en France, celles auxquelles nous devons Versailles, la Place de la Concorde, la Place Stanislas de Nancy.

Dans ce groupement réalisé par Prost dans le service d’architecture et des plans des villes se coudoyaient des architectes comme Albert Laprade, Marrast, auteur du remarquable et original Palais de Justice de Casablanca, Laforgue, frère du poète Jules Laforgue, auteur de ces hôtels des postes de Casablanca et de Rabat, où l’administration métropolitaine peut aller chercher des idées et des modèles et tous apportaient leurs qualités propres.

La besogne au surplus avait été distribuée selon les  aptitudes et les affinités de chacun. A Laprade revint plus spécialement la construction des édifices à l’usage d’habitation et des jardins. Nul choix ne pouvait être plus heureux.

Grièvement blessé à Ypres, il avait été envoyé au Maroc en août 1915 et tout de suite s’était voué avec un enthousiasme égal à sa vive compréhension des formes et des couleurs, à  l’étude de l’architecture et de la décoration autochtones, remplissant ses carnets de route de croquis au trait, notant ici un détail de fontaine, là une arcature historiée, ailleurs un carreau de mosaïque, interprétant avec une fine sensibilité les caractères essentiels de l’architecture locale, si en accord avec des goûts des conceptions raffinées et voluptueuses.

L’œuvre assumée par Laprade dans cette vaste création est elle-même considérable. Il exécuta  successivement à Casablanca l’Hôtel du Commandement Militaire, le parc Lyautey et de nombreux squares, la nouvelle ville indigène qui fut continuée après son départ par son confrère M. Cadet.

A Rabat, il collabora à de nombreux ensembles, en particulier au parc de l’Aguedal, mais son oeuvre la plus importante est sans nul doute, le Palais du Résident Général qu’il dessina entièrement, à l’exception des intérieurs et de la descente à couvert sur la façade Est, réalisés par Laforgue.

La nouvelle résidence générale de France au Maroc, à Rabat, fut commencée en juillet 1918. La propagande allemande, par voie de tracts distribués  aux indigènes, répandait le bruit de notre défaite prochaine et de notre abandon définitif du Maroc. Le maréchal Lyautey riposta par une décision propre à maintenir dans l’Empire chérifien le prestige du nom français. Il fit incontinent poser la première pierre de la villa résidentielle.

Les plans  en furent hâtivement établis : il fallait que les travaux fussent commencés sans délai ! or, la main d’œuvre française était rare. Mais le maréchal estimait à juste titre d’excellente politique de recourir à la main d’œuvre marocaine, d’une habileté réputée.

Les communications avec la métropole étaient difficiles, voire hasardeuses. On ne recevait que parcimonieusement les matèriaux tels que le ciment ou le fer. N’importe. On utiliserait le bois, le moellon, la chaux grasse, en attendant qu’on ait ouvert dans le pays des carrières de pierres dures, en attendant surtout la reprise des transports maritimes, laquelle  se produisit heureusement dés la conclusion de l’armistice.

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Le plan de la résidence générale du Maroc à Rabat par Albert Laprade

 

Se dressant sur une éminence, le Palais de la Résidence domine d’une part le panorama de la ville des deux rives, Rabat-Salé, d’autre part la nécropole mérinide de Chella, entourée de ses remparts rougeâtres et qui, avec ses bastions à créneaux et sa porte admirablement ouvragée, évoque le décor d’une cité de Carcassonne.

Le plan général de la résidence reflète le souci du maréchal de voir réaliser un programme autour d’une claire lisibilité.

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Autour du patio central, ouvert sur le midi, et fermé sur les trois autres côtés se distribuaient, à l’ouest, les bâtiments publics, accueillants, accessibles, où l’expédition des affaires est assurée dans le moindre temps ; au nord, les grands salons de réception au rez-de-chaussée et l’appartement privé du Résident, au premier étage ; enfin, à l’est, l’habitation privée, avec les salles à manger, la domesticité et au-dessus, les chambres d’invités. Ainsi  que l’avait indiqué le maréchal, "pas d’énormes constructions, mais le plus possible de pavillons noyés dans la verdure" .

Joignant à l’art consommé de l’architecte le sens exquis de l’effet pictural, Laprade comprit quel parti il pouvait tirer de la situation exceptionnelle du palais, entouré sur toutes ses faces de magnifiques perspectives.

Au nord, c’est la ville européenne, longue cité-jardin pour laquelle Prost a établi des servitudes de hauteur, qui se prolonge jusqu’à la tour d’Hassane, vestige du plus grand temple islamique du monde, et surplombe l’océan.

Au sud s’étendent en terrasses les jardins d’orangers, limités  par la ligne dorée du rempart almohade construit en 1198 et au-delà duquel l’œil émerveillé aperçoit les ruines aux reflets ocreux de Chella.

Ainsi que pour l’Hôtel du commandement  militaire de Casablanca, Laprade, tout en s’interdisant de reproduire à profusion  les détails archéologiques, a néanmoins conservé, dans l’ensemble, les lignes qui s’imposent dans les pays du soleil, et discrètement transposé les données propres au style andalou-marocain.

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Ainsi les fines colonnettes sobrement décorées qui pourtournent le somptueux patio, ainsi que les ornements et les arabesques dont il a judicieusement agrémenté un chapiteau ou une corniche, ainsi l’accent et la couleur qui se dégagent des carrelages de faïence bleue et verte alternant avec les carreaux de marbre blanc ou des belles tuiles vertes indigènes réparties sur les toitures ou les auvents.

 

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Mais si le rythme essentiel de l’édifice est d’inspiration locale, la formule générale s’affirme moderne : de grands nus sans ornements, de grandes loggias, de grandes baies longitudinales où, dans l’ombre projetée par les saillies en auvent, peuvent se lire de délicates finesses.

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Ainsi fut trouvée la solution d’un difficile problème consistant à établir un style actuel adopté au pays det mariant avec bonheur deux civilisations destinées à s’interpénétrer tout en conservant l’une et l’autre leurs caractères distinctifs. Nulle part pensée plus prestigieuse n’aura été interprétée avec plus de douceur et de charme. Ces nobles architectures ont été enfantées dans la joie, dans un indicible enchantement. La nature elle-même, l’exubérante végétation du Maroc s’est chargée d’ajouter au faste du splendide édifice.

Palmiers, bougainvillers pourpres, géraniums-lierre, volubilis, massifs de roses, groupes d’orangers, offrent de somptueuses tâches de couleurs dont Laprade a su jouer comme d’une palette géante. Son œuvre, toute logique et toute harmonie, unit sans sévérité et avec quel charme à la grâce sensuelle du tempérament mauresque la pureté du génie latin, la fine nuance du goût propre au génie français."

 

Georges Rémon

Jardins et Cottages - 1926 -n°6

 

Sources :

Bibliothèque Nationale de France, département Sciences et Techniques

Archives Municipales de Chatou

Bibliothèque Historique de la Ville de Paris

Archives de la Légion d'Honneur 

 

N.B. :

*Albert Laprade (1883-1978) a conçu notamment les plans du Palais de l'Océanie Porte Dorée en 1931. 

*Les résidents généraux français au Maroc, hôtes du Palais de la Résidence construit par Albert Laprade :

 Général puis Maréchal Lyautey : avril 1912 - octobre 1925

Théodore Steeg: octobre 1925 - janvier 1929

Lucien Saint : janvier 1929 - août 1933

Henri Ponsot : 1933 - mars 1936

Marcel Peyrouton : mars 1936 - septembre 1936

Général Noguès : octobre 1936 - mars 1946

Eirik Labonne : 1946-1947

Général Juin : 1947-1951

Général Guillaume : 1951-1954

Francis Lacoste :1954-1955

Gilbert Grandval : 1955

Général Boyer de Latour : 1955

André Dubois : novembre 1955 - 1956

Source : wikipedia

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

20/09/2011

LE PROJET DE TOUR DE RUEIL A L'ENQUETE PUBLIQUE

LETTRE DEPOSEE PAR L'ASSOCIATION  A L'ENQUETE PUBLIQUE DU PLU DE RUEIL LE 27 JUIN 2011

 

" ENQUETE PUBLIQUE DE REVISION DU PLU DE RUEIL

A l’attention de Monsieur le Commissaire-Enquêteur

Rueil : les deux Empires y ont connu leur intimité, un maître en peinture, Manet, en a laissé le souvenir fugace d’une maison dans la verdure, un roi du vaudeville, Georges Feydeau, y a fini ses jours, un génie de la carrosserie, Marcel Pourtout, en a conduit les destinées, un authentique résistant, Jacques Baumel, lui a donné son développement et son cœur de ville restauré. Les aspects de notre civilisation moderne s’y reflètent et s’y sont bercés.

Rueil semblait avoir été conçue pour accueillir, bien vivre et s’étoffer, non pour écraser. C’est ainsi que le projet de tour d’une des entreprises les plus prestigieuses du pays se heurte à un sentiment plus fort que tout, celui que chaque Français ressent pour son paysage et son environnement. Une tour à la Défense témoigne du progrès économique, une tour à 300 mètres des bords de Seine défie et déflore notre perception de l’environnement. Son annonce est un choc immédiat sans rien connaître du projet.


Ses promoteurs, par définition et par intérêt, ne sont pas enfermés dans l’histoire. Ils cultivent le dynamisme économique, un savoir-faire mondialement reconnu, une création de richesse qui rehausse l’image du pays.

 
Mais Chatou, qui a nourri l’école des Impressionnistes et l’école des Fauves, Chatou dont le clocher témoigne des premiers temps, Chatou, qui incarne à travers le hameau Fournaise au bénéfice de la région, et de Rueil en particulier, la mémoire des bords de Seine, de sa villégiature et de ses artistes sur tous les continents, n’a pas vocation à se présenter en victime expiatoire d’un projet conçu sans respect pour son environnement.

 
Peut-on mesurer les conséquences environnementales et les pollutions sonore et visuelle engendrées par un tel projet ? c’est impossible mais pourtant chacun les imagine.

 
Le concept d’une construction à cet emplacement, vide de toute habitation, pouvait paraître idéal mais le gigantisme du projet obère cette vision malgré une volonté évidente de l’architecte de ne pas répéter les erreurs du passé par un emploi habile du verre.

 
Dans les documents présentés, on commence par regretter le manque de lisibilité pour le public par l’emploi de normes non expliquées (norme de 162 NGF du plan de zonage à laquelle renvoie le règlement de zonage page 19). Puis, lorsque l’on recherche la signification d’une hauteur autorisée de 162 NGF par ses propres moyens, on découvre une hauteur de 132 mètres, soit bien supérieure à la hauteur estimée de 95 mètres annoncée sur le site même de l’architecte du projet.

Mieux encore, un problème surgit quant à l’emprise au sol autorisée. En effet le Plan Local d’Urbanisme doit être compatible avec les règles d’emprise au sol déterminées par le Plan de Prévention des Risques d’Inondation (PPRI).

Or, le PPRI prévoit dans cette zone qualifiée de dense :
« Art. 3.2. Sont autorisés sous conditions :
Tous les types de construction ou d’occupation sont autorisés sous réserve des prescriptions ci-dessous :
a) Les constructions nouvelles
Sur toute unité foncière de plus de 2 500m², l’emprise au sol des constructions à usage principal d’habitation et de bureaux est limitée à 40%. Elle est portée à 60% pour toutes les autres constructions. En cas d’opération d’aménagement d’ensemble, ces emprises au sol sont réparties sur l’entité foncière hors surfaces de voirie. »

 
En contradiction, le PLU prévoit : « article UA 9 : Emprise au sol des constructions : Zones Uac : « les constructions seront situées à l’intérieur des zones constructibles repérées au document graphique » (règlement page 17), donc une emprise au sol autorisée de 100 % de la superficie de la parcelle constructible au lieu des 60% maximum prescrits par le PPRI.

Il y aurait donc incompatibilité entre le règlement du PLU et les prescriptions du PPRI, l’annulation de l’article du PLU pouvant être obtenue à ce titre.

 
Ajoutons qu’aucune perspective de création de ligne nouvelle de transports en commun n’est mentionnée dans le Projet d’aménagement et de développement durable (PADD) en introduction au règlement. Or, le projet concentrera un flux de circulation vers la tour en provenance de l’est et de l’ouest parisien. Cette situation ne pourra que s’aggraver puisque le PADD du projet de PLU de Rueil affiche un objectif de 81.000 habitants en 2015 contre 78.200 recensés en 2008.


Chatou n’a jamais nui au développement de Rueil mais aujourd’hui la question doit être posée : si Rueil n’est pas capable de se plier à une contrainte réglementaire et de rechercher un équilibre urbain, qu’en sera-t-il demain ? croit-on que les populations de la région s’y installent pour contempler des tours ? un siège social ne peut-il rester dans une commune sans nuire à son environnement ? il faut modifier ce projet. L’effet d’écrasement en perspective dans un tel site effacera toujours son intérêt. Or, même si Rueil n’est pas une ville impressionniste, l’intérêt commun reste de réussir ce projet économique en jetant la passerelle sur les rives de nos deux départements. Le choc doit être évité et les propositions revisitées.

Pour l’association, le président,
Pierre Arrivetz

 

Association loi 1901, déclarée en 1994, sans but lucratif,
ayant pour objet la défense du patrimoine et de l'environnement de Chatou, la mise en valeur de son histoire. B.P.22. .78401 Chatou cedex, siège social : 14 avenue de Brimont, 78400 Chatou - chatounotreville.hautetfort.com – tél : 06 33 33 25 76 (Pierre Arrivetz) – piarri@orange.fr "

 

Dernière nouvelle : dans son rapport rendu le 5 août 2011, le commissaire-enquêteur, Monsieur Briend, a fait état d'une très large majorité de Rueillois qui se sont exprimés contre le projet de tour. Il a émis un avis favorable à la révision du PLU avec une réserve et huit recommandations. La seule réserve concerne le zonage du projet de tour. Le commissaire-enquêteur a préconisé de changer la zone UAcn  concernée en zone UAc en n'autorisant qu'une construction R+7 à cet emplacement. Le maire de Rueil dans une lettre du 8 juillet 2011 déposée à l'enquête a indiqué quant à lui qu'il examinait une alternative pour la construction du siège social de Vinci dans un autre lieu. L'entreprise Vinci représente 9% des recettes des impôts communaux selon le maire. Un tel projet ne pourrait voir le jour avant 2015 selon lui. Un emplacement prés de Nanterre qui avait déjà été évoqué serait pressenti. La lettre de l'association n'a été que la 73ème observation sur les 284 émises sur le registre d'enquête. La mobilisation exceptionnelle de l'association Bellerive de Rueil (pétition de 6406 signatures) a porté ses fruits. Les interventions de Chatou ne sont pas évoquées dans les conclusions du commissaire-enquêteur. Sauf adoption en l'état du projet de PLU par le conseil municipal de Rueil, une page devrait donc être tournée.



14/09/2011

LE FORUM DES ASSOCIATIONS 2011

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Comme chaque année, le forum des associations se tenait Gymnase Corbin où une cinquantaine d'associations ont apporté l'information de leurs activités aux Catoviens. Pour la troisième année consécutive, l'association y était invitée par la municipalité, l'occasion de rappeler une action constante et multiple en faveur de l'histoire et du patrimoine de la ville depuis dix-sept ans. Les associations de défense du patrimoine n'encombrent pas le tissu associatif puisqu'elles sont au nombre de deux : l'Association des Amis de la Maison Fournaise consacrée au site des Impressionnistes, et l'Association Chatou Notre Ville, dont l'objet vaut pour l'ensemble de la ville. Suzanne Blache, secrétaire, et Philippe Storm, administrateur (à gauche et à droite sur la photo) ont été les artisans de la réussite de cette journée pendant laquelle nombre de nos publications sur l'histoire de Chatou ont été vendues et plus de 300 prospectus sur l'association distribués aux Catoviens. Arnaud Muller, vice-président, a permis une fois encore la diffusion d'un diaporama. Des échanges intéressants ont eu lieu avec les visiteurs.

L'annonce de la conférence sur Maurice Berteaux pour le centenaire de sa mort lors des Journées du Patrimoine le samedi 17 septembre 2011, de l'édition prochaine d'un coffret audio sans équivalent sur la deuxième guerre mondiale, la présentation de nos livres et revues, le rappel de nos activités passées, de nos propositions de ravalorisation de certains lieux de Chatou (propositions de dénomination du futur conservatoire "Charles Lamoureux" en l'honneur du chef d'orchestre, Catovien de 1876 à sa mort en 1899 et dont les concerts existent toujours et de dénomination du futur parc du boulevard Jean Jaurès parc "Georges Irat" en l'honneur du constructeur automobile de Chatou de 1921 à 1929) confèrent plus que jamais à l'association son titre de  "locomotive du patrimoine".

 

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Locomotive SNCF 241 P compound fabriquée aux usines Schneider du Creusot de 1948 à 1952, emblème de l'association 

 

04/09/2011

L'ASSASSINAT DE GEORGES MANDEL DANS LES PROCES D'APRES-GUERRE

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Dans un article du 26 octobre 1944, le journal "L'Aube" rendit compte du procés des Miliciens qui avaient participé à l'assassinat de Georges Mandel le 7 juillet 1944, un mois après le Débarquement :

"Je vous avouerai que les accusés d’aujourd’hui ne m’intéressent pas. Ces visages d’hommes à tout faire ne resteront pas dans le souvenir. Ils n’attirent le regard que pour le faire détourner. Qu’ils aient été condamnés pour intelligences avec l’ennemi, que la cour n’ait pas retenu le chef d’assassinat, c’est là une question qui a manifestement surpris le public et qui s’explique, sans doute, par la manière dont les questions ont été posées à la Cour.

Ce qui importe, ce ne sont pas tant les trois hommes que tout ce qui a précédé et entouré le drame. Ce sont les ordres donnés. Ce sont les donneurs d’ordre qui ne sont pas là, pas plus que ne s’y trouve celui qui a tiré sur Georges Mandel et l’a abattu avec une férocité telle que le docteur Paul a pu dire qu’il n’avait encore jamais examiné de victime traversée de tant de coups.

Et c’est surtout la victime elle-même. Pour nous qui n’avons pas à traiter de l’homme politique ni des services qu’il a rendus à la France et qu’il lui aurait encore rendus, la dernière image que nous emporterons de ce procès sera celle que l’un des accusés nous donnait en racontant comment, durant le trajet de la Santé à Fontainebleau, il se trouvait dans la voiture à côté  de Mandel et comment celui-ci se mit à lui parler familièrement.

Rien n’est plus émouvant que cet ultime dialogue entre Mandel et l’aide de son bourreau, dialogue d’autant plus émouvant que Mandel connaissait son sort. Et il savait à qui il parlait. (…) Cette image tragique et familière sera la dernière qu’aura laissée cet homme vivant, cet homme à la fois multiple et plein d’unité.

Il est un peu plus de treize heures lorsque Monsieur le Président Pailhé, premier président honoraire de la Cour de Cassation, déclare l’audience ouverte.

C’est Pierre Boero qui ouvre le feu de l’interrogatoire. Boero, Niçois d’origine, a d’abord milité au PSF mais fait bientôt connaissance de Joseph Darnand. A la suite d’incidents avec les autorités allemandes, Darnand le couvre et il entre à la Milice fin mars 1944.

Le président Pailhé retrace les circonstances dans lesquelles s’est perpétré le 7 juillet dernier, l’assassinat de ce grand Français, « élève à l’école de Clemenceau et qui n’avait cessé de songer à la grandeur de la France ».

Le crime était mis au point dés le 6 juillet. Trois voitures parties du centre de la Milice, rue Le Peletier, vinrent à la Santé chercher leur victime.

Et c’est la classique mise en scène. On va, soi-disant, au château Des Brosses dans la région de Vichy. Mais, par hasard, arrivé en Fontainebleau, une voiture tombe en panne. Tout le monde descend. Quelques coups de feu claquent dans la clairière. Mansuy vient de tirer. Un corps gît à terre.

 - Vous saviez quel était le but de ce voyage ? demande le président à Boero

 -  Je l’ignorais. Seuls Fréchoux, Knipping et Mansuy en avaient discuté.

Georges Néroni, à son tour, vient sur la sellette. Barman de son métier, il est entré, vers mars 1944, au service de la documentation de la Milice.

- Vous ne pouviez ignorer les tractations entre les chefs de la Milice.

- Ils ne s’étaient pas confiés à moi. D’ailleurs, précise-t-il plus loin, je n’étais pas armé et croyais personnellement qu’on allait à Vichy.

Enfin le président Pailhé, s’adressant à Pierre Lambert, lui a fait préciser quel est son rôle dans cette tragédie.

- Je n’étais pas au courant. Ce n’est que par hasard…

On entend alors les témoins, et notamment le docteur Paul, médecin légiste, qui, dans un exposé d’une rare précision, situe les blessures. Seize plaies sont observées dans le corps de l’ancien ministre : quatorze au thorax, une au cou et l’autre à la tempe droite.

Après une courte interruption d’audience, Monsieur l’avocat général Vassart prend la parole :

« Un grand Français vient de mourir. Sa vie appartient à l’Histoire. Retraçant les circonstances de l’assassinat, Monsieur Vassart cite encore les belles paroles du grand patriote : « Mourir n’est rien. Je regrette seulement de mourir avant d’avoir vu la Libération de mon pays et la restauration de la République. »

Successivement, Maître Moranne, pour Néroni, Maître Mollé, pour Lambert , Maître Chamant, pour Boero, prirent la parole, faisant surtout le procès de la Milice :

Frappez la tête, tel est leur avis, où est le premier accusé de cette liste ? où est Darnand ? où est Mansuy ? si le crime du chef qui a trahi mérite un châtiment, réserverez-vous le même sort aux soldats de la troupe égarée ? après quarante minutes de délibération, l’audience est reprise. Boero et Neroni s’entendent condamner à mort, Lambert à 20 ans de travaux forcés ».

 

Le tribunal militaire de Paris jugeait en 1949 le cas d’Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne en France pendant l’Occupation. Voici la relation par « L’Aurore » du procès à l'audience du  17 juillet 1949  concernant l’assassinat de Georges Mandel, lequel ne constituait qu’une partie de l’accusation à l’encontre d’Otto Abetz.

Le président

Voyons, je vais vous interroger maintenant sur l’affaire de Monsieur Georges Mandel. Les Allemands avaient une haine particulière contre Messieurs Raynaud et Mandel, qu’ils rendaient responsables de la guerre et de la continuation de la guerre. Le gouvernement de Vichy avait lui-même une animosité contre ces personnes.

Messieurs Mandel et Reynaud avaient été internés en septembre 1940 et le 16 octobre 1941, ils étaient condamnés pour responsables de la défaite à l’internement dans une enceinte fortifiée.

En novembre 1941, Messieurs Blum, Reynaud et Mandel  étaient tous trois internés au Fort du Portalet. Et puis, en novembre 1942, les Allemands les ont transférés en Allemagne dans la région d’Orianenbourg.

Or, voyons comment les faits se sont passés, comment Monsieur Mandel a été assassiné  et nous verrons ensuite ce que l’accusation vous reproche à ce sujet.

Eh bien, en juillet 1944, le gouvernement allemand décida de remettre Monsieur Mandel au gouvernement de Vichy pour que celui-ci le fasse fusiller en représailles des condamnations de Phalangistes en Tunisie. C’est exact, n’est-ce pas ? à ce moment, vous aviez averti Laval que Mandel, Paul Reynaud et Blum devaient être livrés ?

Abetz

Oui, même déjà quelques semaines auparavant.

Le président

Quoiqu’il en soit, Monsieur Mandel a été ramené en avion à Paris par les Allemands, et, après avoir passé deux jours dans un service allemand, il était incarcéré, le 7 juillet, à la Santé, puis amené dans une voiture allemande, avec officiellement, le docteur Schmidt.

Alors, le même jour, vers 17h30, Knipping, adjoint de Darnand, va donc prendre livraison de Monsieur Mandel qui avait été incarcéré à la Santé. Il signe la levée d’écrou et il dit à Monsieur Mandel qu’il va être conduit au château Des Brosses, prés de Vichy et puis le livre à des miliciens sous le commandement  d’un nommé Mansuy, tortionnaire de la Milice.

Et Monsieur Mandel monte dans la voiture conduite par Mansuy et deux miliciens suivent avec l’allemand Schmidt. Les deux voitures passent dans la forêt de Fontainebleau et Mansuy stoppe à un carrefour, en disant qu’il y a une panne.

Tout le monde descend. Mansuy fait le tour de la voiture et tire à bout portant plusieurs coups de revolvers dans la nuque de Mandel. Celui-ci tombe mort instantanément, puis Mansuy tire une rafale de mitraillette dans la voiture de manière à faire croire à une attaque.

Ensuite, Monsieur Mandel est conduit  à Versailles à l’intendance de police, où les miliciens déclarent que la voiture a été attaquée en forêt de Fontainebleau et que Monsieur Mandel a été tué au cours de l’attaque.

Eh bien ! voyons quels sont les faits qui sont retenus contre vous par l’accusation dans cette affaire.

Il semble que vous aviez, tout de même, une certaine antipathie contre Messieurs Reynaud et Mandel, antipathie qui était apparue en 1941, dans l’affaire des Gardes Territoriaux Français poursuivis pour leur lutte contre les parachutistes allemands.

Abetz

Je crois que le mot « antipathie » n’est pas tout à fait exact, pour dépeindre mes sentiments.

Je ne connaissais pas Mandel personnellement, je ne l’avais jamais vu, et en ce qui concerne Reynaud, je l’avais vu une fois, mais cela n’empêche pas que j’ai vu paraître un article de presse dans lequel il a été dit  que j’aurais affirmé à un avocat du procès de Riom que « Reynaud et Mandel étaient des hommes que j’aurais fait périr de mes propres mains ».

Je ne me souviens pas d’avoir dit cela, mais mes sentiments envers eux étaient les suivants – et cela est vrai – je leur en voulais beaucoup, énormément, justement pour l’affaire dont vous me parlez, l’affaire des Gardes Territoriaux.

Juridiquement, je ne pouvais rien faire, cela dépendait des tribunaux militaires qui, seuls, pouvaient intervenir. La seule chose que je pouvais faire, c’était placer cette question sur le plan politique, faire intervenir les Affaires Etrangères.

A ce moment-là, j’ai encore une fois, pour des raisons de tactique, fait la proposition de fusiller non pas les « petits » mais les responsables de cet état de fait. Et les territoriaux ont été graciés, c’est là le point important.

Le président

Bien, en tout cas, en mars 1944, à l’occasion du procès des Phalangistes de Tunisie, dont je parlais tout à l’heure, vous avez réagi, comme je l’ai indiqué, en lisant un document, en proposant qu’on fusille dix fois plus de membres de la dissidence et, après un séjour à Berlin, au printemps de 1944, vous reprenez, au sujet des questions des Phalangistes, la proposition d’exécuter Messieurs Reynaud, Blum et Mandel.

De sorte que vous reveniez, à cette date, au mois de mai 1944, à la proposition que vous aviez déjà faite de faire fusiller Messieurs Reynaud, Blum et Mandel.

Abetz

Oui

Le président

Voulez-vous vous expliquer à ce sujet ?

Abetz

Oui, mais il faut  lire tous les textes, n’est-ce pas ?  c’est un rappel, Ribbentrop m’a ordonné cela, et c’est un rappel à cet ordre qui est antérieur, et du reste est déjà prouvé par d’autres documents.

Le président

Oui continuez

Abetz

Il continue, il qualifie ces exécutions de mesures de représailles absolument nécessaires contre l’exécution des partisans fidèles à Vichy en Afrique du Nord et il considère que c’est une tâche urgente de l’ambassadeur Abetz que de découvrir  des personnes et d’inviter Laval à les faire fusiller.

Or, au moment de ces conversations, des fusillades avaient déjà commencé. Il y en avait eu déjà au plateau des Glières, où six chefs résistants, six petits chefs résistants ont été fusillés à la suite d’une sentence de cour martiale.

Il y avait donc le danger que cela déclenche toute une série de fusillades comme dans l’histoire des otages, et que de nouveau il y ait du sang entre les peuples. Je voulais éviter cela.

Et encore une fois j’ai eu recours au même moyen  qui m’avait si bien réussi en 1941 : proposer une chose qui frappe beaucoup l’imagination, qui fasse gagner du temps, qui fasse intervenir les Affaires Etrangères dans un sens contraire et de ce fait, éviter toutes représailles sanglantes.

Je voulais alors, encore une fois, empêcher une mesure ou des mesures sanglantes qui auraient touché des centaines de personnes, en faisant une  proposition dont j’étais sûr qu’elle ne serait pas réalisée. Je me trompais dans un certain sens.

Le président

Nous revenons n’est ce pas à ce document auquel vous faisiez allusion : cette note de Ribbentrop qui demande de vous entendre sur certaines questions « parce qu’on vous trouvait un peu trop mou », disait Ribbentrop.

Abetz

Il y a un fait en tout cas : c’est que moi et je le déclare de la manière la plus solennelle, je n’ai rien su du transfert de Monsieur Mandel de l’Allemagne à Paris, je n’ai rien su du séjour de Monsieur Mandel à Paris, je n’ai rien su du transfert de Monsieur Mandel en zone sud. Et j’ai appris l’assassinat de Mandel par la protestation de Laval.

Le président

Si je comprends bien, vous reconnaissez avoir fait cette proposition en mai 1944, proposition que vous aviez déjà faite en 1941 de faire fusiller Messieurs Paul Reynaud, Léon Blum et Georges Mandel mais vous dites : « j’étais persuadé que cela n’aurait pas lieu. »

Abetz

Oui

Le commissaire du gouvernement

Je tenais à dire que les policiers condamnés en Tunisie ont été considérés comme traîtres et c’est un tribunal militaire français qui les a condamnés. »  

 

Otto Abetz fut condamné à vingt ans de travaux forcés pour crimes de guerre au terme du procès mais libéré en avril 1954. Il se tua dans un accident de voiture en 1958.

 

 

 

17/08/2011

HENRI IV, UN ROI LIE A L'AMENAGEMENT DE CHATOU

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Henri IV, neveu de François Ier  monté sur le trône en 1589, avait une passion, la chasse, sans doute le seul plaisir avec les femmes qui eut distrait le « Vert-Galant » des intrigues et des complots assiégeant son trône.  Peu avant sa mort, le roi avait pris deux décisions qui marquèrent la vie de la commune et dont l’historien Paul Bisson de Barthélémy  a rappelé l’existence dans son « Histoire de Chatou et des environs » : le 7 avril 1607, Henri IV acheta en raison de son caractère giboyeux au seigneur de Chatou, Thomas Le Pileur, conseiller et secrétaire du roi, la forêt de la Trahison, ces bois du Vésinet appartenant à Chatou que l’Etat devait conserver jusqu’au Second Empire avant de les céder à la compagnie Pallu à la suite d’un échange (prélude à la création de la future commune du Vésinet sur le territoire de Chatou en 1875).

Habitué en outre du château de Saint-Germain-en-Laye  dont il avait terminé l’extension commencée sous Henri II, dite « le château neuf », Henri IV prenait le chemin le plus court pour arriver à bon port, et en l’occurrence, le bac de Chatou. Le 9 juin 1606, les chevaux refusèrent de prendre le bac pour revenir à Paris. Celui-ci se renversa dans la Seine avec le carrosse. Quelques heures plus tard, le roi faillit se noyer avec la reine au bac de Neuilly. Cette journée éprouvante eut une conséquence heureuse pour Chatou : Henri IV demanda que l’on construisît des ponts sur la Seine.

Après nombre de difficultés, les ponts de Chatou virent le jour sous Louis XIII à la suite d’un arrêt du Conseil d’Etat de 1626 (celui de Neuilly fut construit dés 1611). Louis XIII, qui, en tant que dauphin, avait fait partie avec Henri IV des équipées de Chatou, eut des mots semble-t-il très favorables aux habitants de Chatou lorsqu'il fallut choisir un emplacement pour le pont qui ne ruinât pas le commerce du village.

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Gravure du journal "Le Monde Illustré" représentant la restauration du château de Saint-Germain-en-Laye en 1863 avec suppression des pavillons par l'architecte Millet. Napoléon III en fit un musée des Antiquités Nationales. Henri IV y séjourna.

 

 

 

Quant à Henri IV, après avoir ramené la paix intérieure au terme de quatre ans de guerre religieuse (1589-1593), promulgué l'Edit de Nantes (1598) puis signé la paix avec l’Espagne après trois ans de guerre (1595-1598), il releva l’économie du pays, lui donnant ses premières industries. Il succomba le 14 mai 1610 aux coups de poignard de Ravaillac sans que l’on sut jamais s’il s’agissait d’un acte isolé ou d’un complot.

 

12/08/2011

LES VIOLLET : UNE GRANDE FAMILLE DE CHATOU

Parmi les actes de sauvetage sous l’Occupation, l’un est resté à la postérité concernant Chatou grâce au témoignage des victimes, témoignage qui nous a été signalé par un Catovien,  Monsieur Michel Grave, qui lui-même poursuit la préservation de la mémoire  de cette époque.

Ce témoignage concerne les Freilich, un couple de juifs polonais qui vivait à Paris avec leurs deux fils.  Ces derniers furent arrêtés et internés dans un camp mais ayant la nationalité britannique, ils furent traités en prisonniers ennemis et non en juifs. Tel n’était pas le cas de leurs parents, restés juifs polonais. Après la rafle du Vel d’Hiv dont ils réchappèrent,  un homme d’église les adressa au chanoine Jean Viollet (1875-1956) de Chatou qui les hébergea jusqu’à La Libération - comme d’autres réfugiés - dans un immeuble  qui lui appartenait.

Le 25 juillet 1993, le chanoine Viollet reçut la médaille de « Juste des Nations » décernée par Yad Vashem, Jérusalem. C’est pour cette action qu’il figure dans le « Dictionnaire des Justes de France »  (édition établie par Lucien Lazare sous la direction d’Israël Gutzman, éditions Fayard - mars 2003). Le chanoine Viollet, figure indépendante de l’église réputé pour ses écrits et son œuvre ouvrière du Moulin-Vert (l'association du Moulin Vert et la société immobilière du Moulin Vert pour l'habitat social sont ses héritières), s’est vu décerner le nom d’un carrefour dans le quartier Beauregard (quartier dit des "Pentes" dans le cadastre de 1885) derrière la voie ferrée après sa mort. La Ville de Paris lui a également attribué le nom d’un square du XIVème arrondissement.

 

 

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Le chanoine habita  1 rue du Sentier à Chatou à la suite de son père, Paul Viollet (1840-1914). Ce dernier, sorti premier de l’Ecole des Chartes en 1862, entré à l’Académie Française le 28 janvier 1887 au fauteuil d’Ernest Desjardins, fut un archiviste et un médiéviste de réputation internationale par ses publications, professeur de droit civil et de droit canonique. Il était membre de l’Académie Impériale des Sciences de Saint-Pétersbourg, de l’Académie Royale des Sciences et des Lettres de Copenhague et docteur Honoris Causa de l’Université de Cracovie. Intellectuel catholique, il s’était distingué dans l’affaire Dreyfus en rassemblant un cercle de catholiques dreyfusards.

 

 

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La villa du 1 rue du Sentier à Chatou où vécut le chanoine Viollet de 1893 à sa mort en 1956 et son père l'académicien Paul Viollet vers la fin de sa vie.

 

 

La fille de l’académicien Paul Viollet, Jeanne Viollet, épousa en mai 1900 un certain…Henri Roger (1869-1945), ingénieur, chimiste, directeur d’une manufacture de bronzes d’éclairage, astronome distingué découvreur de la « supernova » en 1918, mais surtout passionné de photographie qui ne cessa de 1886 à sa mort en 1945 de prendre des clichés de la vie parisienne qui demeurent aujourd’hui autant de témoignages pour l’histoire.

 

La venue à Chatou d’Henri Roger est immortalisée par des clichés du début du siècle avec Jeanne et  des photos le montrant en uniforme militaire lors de permissions dans la maison de Chatou pendant la première guerre mondiale. Ces photos sont aujourd’hui la propriété de l’agence Roger-Viollet.

 

Jeanne Viollet mourut précocement dans sa maison de Chatou le 13 octobre 1917 à l’âge de 41 ans alors que son mari était au front. Du couple était née une fille le 10 juillet 1901, Hélène, également passionnée, qui reprit le fonds photographique de son père Henri. Disparue en 1985, elle fut la fondatrice en 1938 de l’agence Roger-Viollet.

 

 

Sources :

 

M. Michel Grave

Archives Municipales de Chatou

Service de l'Etat-Civil de Chatou 

Archives de la Ville de Paris

 

 

 

 

08/08/2011

VOYAGE AVEC GEORGES REMON (3)

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L’Exposition des Arts Décoratifs de Paris de 1925 a refermé ses portes mais, sept ans après la dévastation de la Grande Guerre, elle vient inaugurer  le dernier grand courant d’architecture du XXème siècle porté par la France.

Dans Jardins et Cottages de janvier 1927, le Catovien Georges Rémon affiche sa sévérité à l’égard de ceux qui perpétuent le style de la Belle Epoque. En contre-feu, il présente l’œuvre nouvelle de l’architecte Pierre Patout (1869-1955), un hôtel particulier à Auteuil. Le talent de Pierre Patout, comme celui des ateliers Rémon, sera sollicité par la Compagnie Générale Transatlantique et s’exprimera avec éclat sur ses paquebots « Ile-de-France » (1927) et « Normandie » (1935).

« C’est au cours d’une récente conversation avec Monsieur Pierre Patout, un instant interrompue par le téléphone, que, feuilletant une revue technique, mes yeux se portèrent sur cette déclaration d’un architecte belge d’avant-garde, rapportée par Monsieur Mallet-Stevens :  « C’est la dèche qui nous sauvera. »

Cette pensée pourrait être exprimée plus élégamment. Elle ne nous en invite pas moins à prendre en considération l’une des principales caractéristiques de l’art moderne, avide de trouver dans le plus complet dénuement des moyens, dans le rejet systématique de tout ce qui cherche à séduire et à plaire, le fin du fin, la quintessence, l’absolu métaphysique, la beauté pure (comme Monsieur Paul Valéry ne créé que de la poésie pure !), le transcendant obtenu par l’abstraction.

Est-ce à dire, en d’autres termes, qu’à notre époque et par une sorte de fatalité, il ne soit artiste et surtout architecte qui ne s’entende à traiter un programme moins sévère, moins indigent, moins réticent ? ne possédons-nous donc aucun maître d’œuvre qui, tout en respectant le principe éthique et esthétique de la simplification, devenu notre commune mesure, ne puisse se mouvoir à l’aise dans un domaine privilégié et ne sache, par un singulier paradoxe, concevoir une belle œuvre en même temps que luxueuse, du fait seule qu’elle est authentiquement luxueuse. La richesse constitue-t-elle de nos jours un thème d’inspiration en soi si néfaste, qu’il oblige nos architectes à tomber inéluctablement dans le poncif des beaux projets d’école.

Rien à ce propos n’est plus suggestif qu’une promenade à travers ce quartier de La Muette où les heureux de ce monde, grands seigneurs de la finance et des affaires, se sont fait édifier au cours des dix dernières années, de splendides hôtels, dont la somptuosité n’exclut malheureusement  pas la banalité.

Cette somptuosité se signale par la surcharge de l’ornement, par l’utilisation des inévitables beaux motifs traditionnels : colonnades, rotondes composites, frontons renaissants. Ainsi  les architectes, en dépit des beaux programmes qui leur étaient proposés, n’ont pas pu ou pas su s’affranchir de cette manie ostentatoire et de ce mauvais goût qui semblent avoir atteint leur apogée sur certaines façades Champs–Elysées  et qui sévissent un peu partout dans les quartiers riches.

Mais voici une exception, une magnifique réussite due à l’heureuse rencontre d’un homme de goût  parfait et d’un maître architecte d’une remarquable sûreté de vue. Rencontre qui bien souvent aussi s’est transformée en précieuse collaboration.

L’hôtel particulier que Monsieur Ducharne s’est fait construire rue Albéric-Magnard, à Auteuil, accuse dans ses moindres détails l’entente  qui n’a cessé de régner entre lui et son architecte Monsieur Pierre Patout, à ce point de vue infiniment privilégié. Il ne l’a pas moins été par l’excellence, la clarté du programme qu’il avait à remplir, type d’habitation  particulière de haut luxe et d’ample confort et d’une exquise distinction.

L’architecte avait à construire et distribuer un garage pour auto, une galerie de peinture, un grand et un petit salon, une salle à manger avec cuisine voisine, une bibliothèque-bureau, une salle de billard, une grande chambre , trois chambres d’enfants, une chambre d’amis, des salles de bains, un salon d’habillage, un boudoir et, pour les enfants, une salle de culture physique.

L’hôtel, inscrit dans un quadrilatère, comporte trois étages, en retrait l’un sur l’autre du côté du jardin.

 

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La façade sur rue est précédée d’une grille d’un modèle imposé règlementaire, tapissée de plantes grimpantes. Construite suivant le principe de la symétrie, une grande porte rectangulaire en occupe le centre, porte magnifiquement décorée d’une grille en fer forgé, mise en exécution  d’après les dessins de Pierre Patout, par Monsieur Llano Florès et exécutée par Monsieur Carrera.

A cette triple collaboration est dû l’escalier dont nous reproduisons l’élégant départ et le motif de rampe de fer forgé.

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A gauche de cette porte, la conciergerie et l’entrée de service. A droite, une petite porte pour l’entrée des maîtres. L’automobile pénètre par la grande porte, dépose les voyageurs dans le vestibule et va se ranger dans le garage situé au fond. Ce garage est long de vingt mètres et permet à la voiture d’évoluer et de tourner, prête à sortir sans être obligée de le faire à reculons. Une porte sous le vestibule donne accès à l’antichambre des maîtres où les invités trouvent un vestiaire et des lavabos.

Un escalier en marbre conduit à la galerie de peinture, qui occupe longitudinalement, la partie médiane du rez-de-chaussée de réception. Elle figure ici sous deux aspects, non garnie encore des toiles et des sculptures que leur destine le collectionneur. Construite en stuc, avec dallage en pierre et marbre, elle s’orne d’une vasque en marbre, d’une stèle destinée à recevoir un bas-relief  et de hautes colonnes en stuc poli qui communiquent à l’ensemble un caractère de majesté.

On remarque sur une autre vue, l’entrée de la galerie avec les trois degrés de marbre et les hauts piliers tendus d’opulentes soieries de Ducharne. Cette galerie sépare la salle à manger des salons et du billard, situés sur jardins et communiquant avec ceux-ci de plain-pied.

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Perspective du salon à la salle à manger

 

Le premier étage contient la grande chambre et le boudoir, dont les baies donnent sur les terrasses, ainsi que les chambres d’amis, et les trois chambres d’enfants, prenant jour sur la rue. Enfin à l’étage supérieur se trouvent, outre la chambre de la gouvernante, la salle de culture physique et le terrain de jeu en haute terrasse, pour la cure d’air et de soleil.

Telles sont, en bref, les caractéristiques de cette manifestation  dont le moindre détail mériterait d’être longuement analysé et décrit. Tout est ici logique, équilibre, judicieux accord entre la maîtrise du savant constructeur et le sobre et élégant dessin de l’artiste, et Pierre Patout est l’un et l’autre éminemment. Il apporte le même soin, la même minutieuse conscience à résoudre le problème du garage ou de la cuisine qu’à jouer en audacieux symphoniste avec les splendides matières avec lesquelles il a édifié les pièces nobles.

C’est ainsi, comme il nous le fait observer, qu’il a utilisé dans la construction de la cuisine le principe de ventilation des grandes salles  du Moyen-Age aux puissantes cheminées à hotte. L’air chaud, les fumées et la buée sont immédiatement ventilés et transportés à travers des conduites d’éjection.

Nous ne proposons pas pour cette fois de décrire dans leur délicat raffinement et pièce après pièce, cet hôtel dont les ensembles mobiliers ont été confiés à Ruhlmann, choix dont le moindre mérite n’est pas d’unir une fois de plus le maître décorateur à l’architecte qui avait dessiné les plans du charmant « Hôtel pour un collectionneur » de l’Exposition.

L’hôtel  de Monsieur Ducharne procède sensiblement du même esprit. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner la grâce et la sobriété des lignes du jardin, dont le mur du fond dessine un nerveux fronton et dont la surface est si heureusement interrompue par deux pilastres quadrangulaires jumeaux.

Mais ce que nous avons pu longuement admirer, sans risquer une indiscrète visite domiciliaire, c’est la splendide façade sur rue, si ingénieusement composée.

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Supprimant le jeu monotone des fenêtres uniformément percées, l’architecte a fait se détacher de l’ensemble de la façade, dessinée comme un frontispice, exécutée en marbre blanc guilloché. Ce parti reflète sans nulle supercherie ni trompe-l’œil la disposition des pièces. Il en est le corollaire obligé. Il  nous montre en même temps que le dessin discipliné de l’auteur  est sa constante préoccupation de fuir tout arbitraire.

Monsieur Pierre Patout a créé sans nul effort apparent, avec une grâce qui frappe et séduit tout d’abord sans forcer nulle part la note, un ensemble dont on discerne très nettement, en dépit et à cause de son harmonieuse simplicité, le caractère de grandeur et la noblesse.

Et il a résolu avec un singulier bonheur ce problème que d’autres paradoxalement envisagent avec scepticisme ou mépris : faire une œuvre, qui, bien que riche et pourvue de moyens exceptionnels, soit vraiment conçue et réalisée sous le signe de la beauté. »

 

Georges Rémon 

Jardins et Cottages- janvier 1927 - n°10  

 

 

Sources :

 Bibliothèque Nationale de France, département Sciences et Techniques

 Archives Municipales de Chatou

 Bibliothèque Historique de la Ville de Paris

 Archives de la Légion d'Honneur 

 

01/08/2011

NYMPHEE DE SOUFFLOT (1774) : ON FINANCE TOUT SANS ETRE PROPRIETAIRES ?

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Le Nymphée de Soufflot (carte avant 1914)
 
Classé monument historique en 1952, joyau du Parc de Chatou
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photos 1996
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La sauvegarde du Nymphée :

une affaire plus pitoyable que glorieuse

1999 : à la suite d’une importante campagne de presse initiée par l’association de défense du Nymphée de Soufflot que nous avions créée et notamment d’un article d’Emmanuel de Roux dans le journal « Le Monde » du 14 octobre dans lequel l’architecte en chef des monuments historiques déclarait concernant l’état du Nymphée qu’  « un accident n’est pas impossible », la municipalité a décidé de demander une étude sur l’état du monument, classé depuis 1952. Cette étude aurait eu lieu mais n’a jamais pu être produite et est demeurée sans suite.

2006 : lors du vote du plan local d’urbanisme le 9 novembre, a été inclus  dans le nouveau plan le rapport de présentation précisant la position de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) au sujet du Nymphée. On y lit :   « Orientations à venir suggérées par la DRAC : le site est bien conservé et peut être visité. Le syndicat d’initiatives de la ville de Chatou *, en relation avec les propriétaires, organise des visites de cette voûte à la stéréomie surprenante. »

* Précisons que le syndicat d’initiatives de la ville de Chatou avait été dissous trois ans plus tôt par la municipalité

 

2009-2010 : l'association Chatou Notre Ville consacre une page au Nymphée dans un tract distribué en avril 2009 aux Catoviens à quelques milliers d'exemplaires. La municipalité nouvellement élue en 2008 provisionne 75.000 euros sur les deux exercices 2009 et 2010 afin de financer une étude sur l’état du Nymphée

2011 : la municipalité annonce en conseil municipal que le Nymphée pourrait être restauré sur les fonds publics sans participation  des propriétaires et sans acquisition par la collectivité de la parcelle en contrebas sur le quai de Seine sur laquelle se trouve le monument. Le droit de visite serait étendu mais cependant il convient de rappeler que ce droit est négociable annuellement avec les propriétaires.

Notre position : le Nymphée, comme la défunte usine Pathé-Marconi, a été traité de manière pitoyable par les pouvoirs publics qui ne manquent pourtant pas de faire de  la mise en valeur des bords de Seine l’un de leurs  objectifs. Les propriétaires ont quant à eux failli dans leur mission d’entretien prescrite par la loi, témoignant de surcroît de plus d’obstruction que de bonne volonté.

Il est maintenant acquis que la propriété privée du monument l’entraîne à sa perte depuis vingt-cinq ans. Pour y remédier, l’acquisition de la parcelle en contrebas sur laquelle il se trouve, inconstructible, par une collectivité,  nous paraît être la seule solution acceptable et défendable vis-à-vis des Catoviens afin de permettre son exploitation, son rayonnement et par là-même sa sauvegarde, laquelle n'est pas pour nous négociable. Nous indiquons en annexe les articles de loi concernant un changement de propriété du monument.

Face à la Maison Fournaise, le Nymphée représente l’un des derniers vestiges de l’art Français des jardins à la fin de l’Ancien Régime. Il se trouve également lié à l'histoire politique de cette époque par la qualité de son commanditaire, le ministre Bertin.   

 

Extraits de la loi de 1913 sur les monuments historiques :

"Article 9-1

(Loi n° 66-1042 du 30 décembre 1966, art. 2)

(Loi n° 77-1467 du 30 décembre 1977, art. 87)

Indépendamment des dispositions de l'article 9, troisième alinéa ci-dessus, lorsque la conservation d'un immeuble classé est gravement compromise par l'inexécution de travaux de réparation ou d'entretien, le ministre chargé des affaires culturelles peut mettre en demeure le propriétaire de faire procéder aux dits travaux, en lui indiquant le délai dans lequel ceux-ci devront être entrepris et la part de dépense qui sera supportée par l'Etat, laquelle ne pourra être inférieure à 50 p. 100. La mise en demeure précisera les modalités de versement de la part de l'Etat.

L'arrêté de mise en demeure est notifié au propriétaire. Si ce dernier en conteste le bien-fondé, le tribunal administratif statue sur le litige et peut, le cas échéant, après expertise, ordonner l'exécution de tout ou partie des travaux prescrits par l'administration.

Le recours au tribunal administratif est suspensif.

Sans préjudice de l'application de l'article 10 ci-dessous, faute par le propriétaire de se conformer, soit à l'arrêté de mise en demeure s'il ne l'a pas contesté, soit à la décision de la juridiction administrative, le ministre chargé des affaires culturelles peut, soit faire exécuter d'office les travaux par son administration, soit poursuivre l'expropriation de l'immeuble au nom de l'Etat. Si les travaux sont exécutés d'office, le propriétaire peut solliciter l'Etat d'engager la procédure d'expropriation ; l'Etat fait connaître sa décision sur cette requête, qui ne suspend pas l'exécution des travaux, dans un délai de six mois au plus et au terme d'une procédure fixée par décret en Conseil d'Etat. Si le ministre chargé des affaires culturelles a décidé de poursuivre l'expropriation, l'Etat peut, avec leur consentement, se substituer une collectivité publique locale ou un établissement public.

En cas d'exécution d'office, le propriétaire est tenu de rembourser à l'Etat le coût des travaux exécutés par celui-ci, dans la limite de la moitié de son montant. La créance ainsi née au profit de l'Etat est recouvrée suivant la procédure applicable aux créances de l'Etat étrangères à l'impôt et aux domaines, aux échéances fixées par le ministre chargé des affaires culturelles qui pourra les échelonner sur une durée de quinze ans au plus, les sommes dues portant intérêt au taux légal à compter de la notification de leur montant au propriétaire. Eventuellement saisi par le propriétaire et compte tenu de ses moyens financiers, le tribunal administratif pourra modifier, dans la même limite maximale, l'échelonnement des paiements. Toutefois, en cas de mutation de l'immeuble à titre onéreux, la totalité des sommes restant dues devient immédiatement exigible à moins que le ministre chargé des affaires culturelles n'ait accepté la substitution de l'acquéreur dans les obligations du vendeur. Les droits de l'Etat sont garantis par une hypothèque légale inscrite sur l'immeuble à la diligence de l'Etat. Le propriétaire peut toujours s'exonérer de sa dette en faisant abandon de son immeuble à l'Etat.

Article 9-2

(Loi n° 66-1042 du 30 décembre 1966, art. 2)

Les immeubles classés, expropriés par application des dispositions de la présente loi, peuvent être cédés de gré à gré à des personnes publiques ou privées. Les acquéreurs s'engagent à les utiliser aux fins et dans les conditions prévues au cahier des charges annexé à l'acte de cession. Des cahiers des charges types sont approuvés par décret en Conseil d'Etat. En cas de cession à une personne privée, le principe et les conditions de la cession sont approuvés par décret en Conseil d'Etat, l'ancien propriétaire ayant été mis en mesure de présenter ses observations.

Les dispositions de l'article 8 (quatrième alinéa) restent applicables aux cessions faites à des personnes publiques, en vertu des dispositions du premier alinéa du présent article."

Pour l'association, la situation est claire : la cession du terrain du Nymphée, inconstructible et en contrebas du terrain principal des propriétaires, soit par voie amiable soit par voie d'expropriation par l'Etat puis sa cession- pour une somme symbolique compte-tenu des travaux à entreprendre - par l'Etat à une collectivité publique, commune, conseil général ou autre, est la seule garantie d'une exploitation en proportion des sacrifices financiers consentis unilatéralement, mais surtout la seule garantie d'une préservation du monument jusqu'ici livré à la situation d'incapacité de propriétaires privés et d'absence d'ouverture au public significative.

Cette opportunité de devenir propriétaire du terrain du Nymphée ne se représentera pas. Ne commettons pas une erreur définitive.

 
 

 

 

 

 

 

Histoire : le Nymphée représente le seul vestige du domaine de Bertin, dernier seigneur de Chatou de 1762 à 1789, intendant du Roussillon en 1750, de Lyon en 1754, lieutenant général de police de Paris en 1757, puis ministre de Louis XV (contrôleur général des finances) et de Louis XVI (affaires étrangères, agriculture, mines...) de 1759 à 1781.  Partisan de la réforme Maupéou des Parlements sous Louis XV,  le ministre Bertin se distingua par sa probité et son activité en faveur des Finances (guerre de Sept Ans), de l’Agriculture, des Chartes, des Postes et des Mines, laquelle lui valut une considération sans faille des souverains.

 

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Gravure de Bertin, par Roslin, Institut de France, Tous droits réservés , don du comte et de la comtesse de Lambertye – décembre 1937. Le dernier seigneur de Chatou fut ministre de Louis XV et de Louis XVI, pour en savoir plus, consulter l'article qui lui est consacré dans notre rubrique "Le dernier seigneur de Chatou."

 

 

Bertin       développa les sociétés d’agriculture sur l’ensemble du territoire, créa les écoles vétérinaires, le cabinet des Chartes, le premier réseau postal d’envergure, eut l’intelligence de promouvoir l’instauration d’un cadastre, ce qui entraîna sa chute du contrôle des finances en 1763 à la suite de la révolte des Parlements, et d’encourager les ministres réformateurs. Afin de l’honorer à la suite de sa délicate mission de Contrôleur Général des Finances pendant la guerre de Sept Ans, Louis XV lui accorda la seigneurie de Chatou et de Montesson.

 

 

A Chatou, il réalisa un parc, un château et un nymphée, ainsi qu'un terrain voué à l’agronomie et à l’élevage des moutons mérinos qui s’étendait aux terres de Montesson.

 

Le parc fut une œuvre décorative comportant six statues de l’ancien fronton de l’aile droite du château de Versailles, des statues antiques, douze bustes en marbre d’empereurs romains, un pavillon chinois et un jeu de bagues dont l’exécution fut confiée à Lequeu. Deux pots à feu du château de Versailles et conservés depuis à l’ancien bailliage furent disposés également.

 

Le château fut réalisé en 1780 par Jacques Germain Soufflot, l’un de nos plus grands architectes, auteur du futur Panthéon et des « travaux d’embellissement » de Lyon, Intendant des Bâtiments Civils du roi de 1776 à sa mort prématurée en 1780.

 

Le Nymphée fut conçu par Soufflot qui en délivra les plans en 1774. Par suite de sa maladie, son exécution fut terminée en 1777 par Lequeu. 

 

Le parc fut anéanti à la Révolution.

Le château fut détruit en 1912.

 

Le Nymphée échappa de peu à la destruction en 1914 grâce à la guerre, laquelle fit sombrer un projet de lotissement sans état d’âme. Un article de l’Illustration faisant état des démarches de la Société de Protection du Paysage et de l’Esthétique de la France en atteste. Sa conservation fut finalement acquise dans le lotissement du parc de Chatou dans les années 20.

 

Folie ornementale, le Nymphée recueillait les eaux de ravinage en provenance du domaine pour les conduire jusqu’à la Seine. Le monument, d’une trentaine de mètres de long, éclaire les bords de Seine de sa polychromie originale, assise sur des matériaux ordinaires, scories de mines et pierres meulières, apportées sans doute par Bertin, qui fut notamment ministre des Mines.

 

Ci-dessous, une affiche de la conférence réalisée par l'association le 19 mai 1999 avec Monique Mosser, chercheur de renommée internationale sur les jardins, sur l'oeuvre de Soufflot.

 

A cette époque, nous avions créé une seconde association consacrée uniquement au cas du nymphée de Chatou et alerté les médias. "Le Monde", sous la plume du regretté Emmanuel de Roux, fit un article éloquent sur la situation calamiteuse du nymphée abandonné par les ministères de la culture successifs, les propriétaires et les collectivités locales démissionnaires.

 

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